• Covid-19 : comment la Chine mène une guerre de l’information pour réécrire les origines de la pandémie
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/26/l-offensive-de-pekin-pour-faire-oublier-le-virus-chinois_6074498_3210.html

    Long et passionnant article sur les méthodes de désinformation menées par la Chine autour de la pandémie Covid-19.
    Il est intéressant de voir que la stratégie médiatique du gouvernement chinois recouvre pleinement ce que Zeynep Tufekci décrit dans son livre "Twitter & les gaz lacrymogènes (https://cfeditions.com/lacrymo) : noyer le poisson est plus efficace que de censurer...

    Sur les réseaux sociaux ou auprès de l’OMS, la Chine fait parler sa propagande pour écrire un nouveau récit et convaincre le monde que le point de départ de la pandémie se trouve aux Etats-Unis.

    Quand Xi Jinping parle pour la première fois du nouveau coronavirus aux Chinois, le 20 janvier 2020, après un mois de silence, sa stratégie est fixée. Le dirigeant communiste part en guerre pour « résolument enrayer » l’épidémie. Il doit contrôler le désordre sanitaire qui a surgi au début de décembre 2019 à Wuhan, une ville de 11 millions d’habitants, et touche désormais Pékin et Shanghaï. Xi veut placer la Chine à l’avant-garde de la lutte planétaire qui s’engage. Il décide, surtout, de tout faire pour que le monde doute de l’origine du SARS-CoV-2. L’histoire doit oublier le « virus chinois ».

    Une puissante campagne de propagande d’Etat s’engage, dont tous les contours ne sont pas encore connus. Elle débute dans la sidération causée par le nouveau virus, en ce début d’année 2020. Pour les autorités chinoises, il convient d’abord de ne pas raviver le traumatisme du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), la première épidémie mondiale du XXIe siècle, qu’elles avaient mal gérée et qui avait paniqué l’Asie en 2002-2003 (774 morts dans le monde).

    A Wuhan, depuis plusieurs semaines, sévit une pneumonie. « Pour le moment, la police de Wuhan a arrêté huit personnes qui ont répandu des rumeurs liant la pneumonie au SARS », écrit le Global Times le 6 janvier 2020. Heureusement, « le virus trouvé à Wuhan apparaît beaucoup moins grave que celui qui a causé le SRAS », rassure, dans le journal d’Etat, Liu Youning, un épidémiologiste travaillant dans un hôpital militaire.

    La chaîne australienne ABC établira que, dès octobre 2019, des douzaines de personnes étaient hospitalisées avec des symptômes de fièvre et de toux dans la capitale régionale du Hubei. De leur côté, le New York Times et ProPublica révéleront que, pour dissimuler l’étendue de l’épidémie à ses débuts, la propagande chinoise s’est appuyée sur 3 200 directives et 1 800 mémos envoyés à des agents locaux dans tout le pays.

    Par ses aspects composites et ses modes opératoires, la campagne de propagande qui a tenté de convaincre le monde que l’origine du virus se trouve aux Etats-Unis est « une des plus emblématiques » menées récemment par la Chine, a expliqué, le 19 novembre 2020, Paul Charon, de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem), à Paris. S’exprimant dans le cadre du colloque Médias en Seine, ce chercheur a établi que « ce fut un exercice de manipulation de l’information relativement sophistiqué pour renverser la stigmatisation, s’inspirant des méthodes soviétiques des années 1970 et 1980 qui avaient été appliquées au virus du sida ».

    A l’appui de leur campagne, les services chinois ont créé un expert virtuel, « Larry Romanoff », titulaire de comptes sur les réseaux occidentaux. Cet avatar crée une centaine d’articles pseudo-scientifiques en huit mois, diffusés partout dans le monde, depuis un site complotiste canadien (Globalresearch.ca), jusqu’à un faux quotidien japonais, en passant par le canal d’un virologue taïwanais… Le 13 mars, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Zhao Lijian, endosse franchement la manipulation en citant le faux Romanoff. « Lisez son article, lance alors l’officiel, il apporte plus de preuves selon lesquelles le virus vient des Etats-Unis. »

    D’autres gouvernements, en Iran et au Venezuela, ont servi de relais à Pékin. Mais c’est avec Moscou, dont le ministère de la défense diffusait dès janvier 2020 la thèse du virus américain, que la conjonction des intérêts fut la plus organisée. La crise a servi de catalyseur, en donnant toute leur portée à des accords bilatéraux récents passés entre médias russes et chinois, portant sur des échanges de contenus, la promotion réciproque d’informations sociétales, ou le développement en ligne : accords de Sputnik avec l’agence officielle Xinhua, Global Times et Alibaba en 2017 ; entre l’agence extérieure russe Rossiya Segodnia et China Media Group en 2018 ; entre Rossiya Segodnia et Huawei en 2019.

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