• « Il faut que l’air intérieur soit considéré comme un bien public », Isabella Annesi-Maesano

    Le SARS-CoV-2 a été retrouvé en suspension dans l’air pendant plusieurs heures, rappelle l’épidémiologiste Isabella Annesi-Maesano. Pour empêcher la transmission aéroportée du virus, il faut mettre en œuvre un plan d’assainissement de l’air intérieur dans les lieux publics.

    Tribune. En 2020, j’ai fait partie du groupe de 239 chercheurs qui ont publié une lettre d’alerte sur l’importance de la contamination par le SARS-CoV-2 en suspension dans l’air à l’intérieur des locaux https://academic.oup.com/cid/article/71/9/2311/5867798. Cet appel est resté lettre morte ! Plusieurs mesures sont proposées pour contenir la transmission du virus, mais paradoxalement, on oublie d’agir là où la transmission est la plus dangereuse.

    Nous savons maintenant que le SARS-CoV-2 se transmet principalement par aérosol, terme utilisé pour indiquer tout mélange de particules de taille inférieure à 5 micromètres, solides ou liquides, de nature chimique (métaux, diesel…) ou biologique (spores de moisissures, bactéries, virus…).

    70-130 nanomètres

    Plus ces particules sont petites, plus elles sont légères et restent facilement dans l’air en s’agrégeant sous la forme d’aérosols. C’est le cas du SARS-CoV-2 qui est très petit (70-130 nanomètres) et qui a été retrouvé en suspension dans l’air pendant plusieurs heures (jusqu’à 3 heures) après avoir été émis par des sujets porteurs, même asymptomatiques, qui parlaient, chantaient, exhalaient de l’air.

    C’est ce qui explique la contamination, par une personne présentant des symptômes bénins de Covid-19, des chanteurs d’une chorale dans le comté de Skagit (Etats-Unis) https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2020/05/18/etats-unis-deux-morts-du-covid-19-parmi-cinquante-deux-personnes-contaminees, qui initialement avaient respecté les mesures barrières, masques, gel hydroalcoolique, plusieurs mètres de distanciation, mais qui avaient enlevé le masque pour chanter. A la suite de la répétition, plus de cinquante personnes avaient contracté la maladie et deux étaient décédées dans les semaines suivantes.

    Ou encore plus spectaculaire, les clients d’un restaurant à Wuhan (Chine), contaminés par un individu porteur du virus assis à des étages de distance, par le biais d’un système de ventilation mal adapté.
    Désormais, la contamination par le SARS-CoV-2 en suspension à l’intérieur des locaux, accrue s’ils sont de petite dimension et mal ventilés, ne fait plus de doute.

    Le dioxyde de carbone indicateur

    En France, l’étude ComCor de l’Institut Pasteur https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-03155847/document montre que, dans le cas des contaminations extra-domiciliaires, 80 % des contacts avaient lieu à l’intérieur des locaux, fenêtres fermées, et cela en dépit du respect des gestes barrière. Aussi, l’OMS a reconnu que la transmission aéroportée était possible dans les espaces bondés, fermés ou mal ventilés. La récupération d’aérosols émis a démontré la présence de virions infectieux et réplicatifs, qui étaient intacts et ainsi capables d’infecter.

    Ainsi, il paraît évident que pour endiguer efficacement la propagation du SARS-CoV-2, il faut compléter les mesures actuellement adoptées (hygiène, port du masque, distanciation interindividuelle, confinement) par des mesures de prévention de la transmission des aérosols à l’intérieur des locaux. L’enjeu est de taille car, dans les pays industrialisés, les individus passent jusqu’à 90 % de leurs temps à l’intérieur.

    En plus de l’ouverture des fenêtres https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/10/16/covid-19-l-aeration-pilier-jusqu-ici-neglige-de-la-prevention_6056262_165068, qui n’est pas toujours possible, il faut augmenter la distanciation dans les espaces bondés, définir des jauges de fréquentation des locaux et installer des appareils capables de piéger l’aérosol en suspension contenant le virus (ventilations, hottes, purificateurs d’air et filtres, pompes à chaleur actuellement à l’étude).

    D’ailleurs, dans tous les lieux à fréquentation du public, il faudrait employer le dioxyde de carbone (CO2) comme indicateur d’alerte, car plus sa teneur augmente plus le risque de transmission du SARS-CoV-2 est important.

    L’exemple du Japon

    D’une façon plus générale, il faut établir et appliquer des règles de façon à contrôler la qualité de l’air dans les immeubles et ainsi prévenir des futures menaces infectieuses, mais aussi à diminuer la pollution de l’air intérieur, qui est responsable de plusieurs problèmes sanitaires graves. En somme, il faut que l’air intérieur soit considéré comme un bien public, car ayant un impact communautaire.

    Plusieurs raisons confirment l’urgence de la situation. Le confinement sans air purifié peut être vraiment délétère pour les individus des classes sociales défavorisées qui habitent des logements exigus, comme nous l’avons observé dans le Grand Paris où la précarité est associée à la sévérité et à la surmortalité par le Covid-19, où l’état des patients souffrant de maladies chroniques s’aggrave en raison de l’augmentation des expositions intérieures.

    Par ailleurs, le confinement parfait semble difficile à mettre en œuvre https://www.nature.com/articles/s41598-021-84092-1, comme indiqué par une analyse récente montrant que dans 98 % des quatre-vingt-sept études considérées, le confinement ne réduisait pas le nombre de décès par le Covid-19.

    D’autre part, le Japon nous a montré que le confinement pouvait être évité par le biais du contrôle de la transmission aérienne du SARS-CoV-2. A ce jour, le Japon fait état de 9 242 décès dans une population de 126 millions d’habitants, dont 26 % sont âgés de plus de 65 ans et présentent a priori un risque plus élevé de contracter le coronavirus (sources : https://covidly.com). Cela grâce à la politique des « 3 Cs » ( « closed spaces, crowded places, close-contact settings » ), à savoir l’évitement des espaces fermés, des lieux bondés et des contacts étroits.

    Manque de vaccins

    Assainir l’air intérieur est à entreprendre aussi car en raison des mutations du virus, du manque de vaccins pour les enfants, de l’existence au niveau mondial de poches de vulnérabilité où la maladie peut surgir et se propager à tout moment, l’immunité collective pourrait être plus difficile que prévu, voire impossible à atteindre. Même Israël, présenté comme l’exemple à suivre, ne peut rien contre le fait que les pays frontaliers vaccinent très peu.

    A cela, il faut rajouter des considérations de type contextuelles : le manque de vaccins pour les presque 8 milliards d’habitants de la Terre. Comme l’a indiqué le pape François, il faut qu’aussi les habitants des pays pauvres reçoivent la protection vaccinale requise.
    Dans ce contexte morose, empêcher la transmission aéroportée du virus constitue le défi à relever. Il faut mettre en œuvre un plan d’assainissement de l’air dans les lieux à fréquentation du public (écoles, universités, lieux de culture, hôtels, restaurants, cafés, magasins…), les bureaux, les transports, les logements, soit par intervention directe de la part de l’administration, soit par des aides directes et du support technique.

    C’est un beau chantier qui nous attend. En France, il y a tout le savoir-faire et l’expertise nécessaire à le réaliser. Cela va de soi que cela contribuerait aussi à créer de l’emploi.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/06/isabella-annesi-maesano-il-faut-que-l-air-interieur-soit-considere-comme-un-

    #aérosols #covid-19 #aération #prévention

  • « Nous refusons que nos vies soient délibérément sacrifiées » : l’appel de 27 associations de malades à risque de forme grave du Covid-19
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/06/covid-19-nous-personnes-souffrant-de-maladies-graves-refusons-que-nos-vies-s

    S’estimant « absentes des préoccupations des dirigeants », des associations de malades du cancer, du diabète ou de la mucoviscidose alertent sur les conséquences dévastatrices de la pandémie.

    Tribune. Mais où sont les patients vulnérables, ceux qui meurent par centaines chaque jour, dans une indifférence croissante ? Où sommes-nous, avec nos cortèges de soucis, de douleurs physiques et morales, d’inquiétudes, d’angoisses ? Où sommes-nous dans le système social citoyen qui est censé affronter cette grave crise ?
    Nous sommes quelques lignes parmi les tonnes de chiffres et les masses de commentaires qui bourdonnent sans arrêt. Nous sommes clairement absents des préoccupations politico-sanitaires des dirigeants. Nous sommes à peine des statistiques. Nous sommes une fatalité, nos morts sont devenues acceptables.

    Nous sommes dialysés, greffés, atteints de cancers, de pathologies chroniques, rares, mentales, auto-immunes, etc. Avant l’épidémie, nous devions vivre avec le fardeau déjà bien lourd de nos maladies. Puis nous avons été décimés par un virus qui pour nous est effroyable, à plusieurs titres.

    Nombre de greffes d’organes en baisse
    Qui sait que la mortalité en cas de Covid-19 des patients dialysés (17 %) et greffés (15 %) est sensiblement supérieure à celle des résidents en Ehpad (13 %), pourtant bien plus âgés ? Celles et ceux qui survivent ne sont pas épargnés par les séquelles et les Covid longs. Le nombre de greffes d’organes réalisées en 2020 était en chute de plus de 25 % par rapport à 2019, et 2021 s’annonce à nouveau dramatique, impliquant d’interminables attentes aux lourdes conséquences.
    Qui a mesuré que la tragédie du Covid-19 révèle au monde un brutal et mortel télescopage entre le coronavirus et l’obésité ? Les chiffres conjugués de ces deux épidémies sont accablants : une hospitalisation sur deux en service de réanimation et près d’un décès sur deux à l’hôpital concerne des personnes souffrant d’obésité. Après le premier confinement, une lettre ministérielle précisait : « Ces déprogrammations doivent être effectuées tout en garantissant que les patients atteints de cancer doivent être pris en charge dans les meilleures conditions possibles, soit en hospitalisation, soit en ambulatoire. »

    La réalité devant l’ampleur de l’épidémie dans certaines régions amène à déprogrammer des interventions pour des cancers qui nécessiteraient un passage en réanimation. Le droit à l’information n’est pas toujours respecté et le « tri » de patients a bien lieu entre les personnes soignées pour le Covid-19 et les autres, qui ne bénéficient plus de l’accès aux soins. Le nombre de diagnostics de cancer a chuté de 23,3 % en 2020 en raison des deux premiers confinements. Les morts provoquées par cette pandémie ne se limiteront pas à celles du Covid-19. Il conviendra d’y ajouter les décès, ces prochaines années, de toutes les personnes privées de soins ou de diagnostic.

    #paywall

    • « Nous refusons que nos vies soient délibérément sacrifiées », suite

      Autoconfinement

      Nous subissons tous les retards, les déprogrammations, les annulations, les pertes de chances, la dégradation de notre santé physique et mentale. L’autoconfinement auquel nous nous astreignons nous condamne à l’isolement, à la privation de lien social, à l’éloignement de nos vies professionnelles. Il confronte aussi nos proches à l’immense culpabilité liée au risque de nous contaminer.

      Enfin, alors que la menace tant redoutée des tris pour l’accès aux soins critiques se révèle plus aiguë que jamais, nous savons que le risque est grand que nos pathologies deviennent de bonnes raisons pour nous priver de nos maigres chances de survie.

      On devrait s’insurger contre cette hécatombe, ces drames humains, et tout faire pour les arrêter. Etre vulnérable aujourd’hui, en raison de son âge, ou de son état de santé, c’est être invisible dans l’antichambre de la mort. Telle est notre réalité. Certes, des associations de patients montent au créneau. Mais dans la cacophonie ambiante, qui entend leurs voix ? Nos représentants n’ont pu s’exprimer que de façon très exceptionnelle dans les médias, aux côtés des médecins omniprésents tout au long de la crise.

      Nous priver de parole audible, continuer à nous exclure de la chaîne opaque des décisions politico-sanitaires, c’est faire de graves entorses à la démocratie et aux droits humains. C’est aussi se tirer une balle dans le pied et laisser perdurer des systèmes de prise en charge désespérément médiocres, au mépris de ce que nous ont appris d’autres épidémies comme celle du VIH, et au prix de pertes de chances énormes. Qui mieux que nous peut dire si telle ou telle décision est appropriée à notre condition, et assez réaliste pour être suivie, et donc efficace ?

      Reprendre le contrôle

      Nous sommes des citoyens, des patients, des humains, dans une démocratie, une république, où nous sommes tous égaux, où la moindre des équités serait de s’occuper de ceux qui en ont le plus besoin. Nous vivons avec des maladies graves, des traitements contraignants, mais nous pensons, nous travaillons, nous aimons, nous appartenons pleinement à la société. Alors écoutez ceci : nous entendons bien rester vivants.

      Il est, pour nous, clair que les restrictions sanitaires actuelles ne permettent pas et ne sont pas destinées à nous protéger. A l’instar des médecins qui ont décidé de ne pas rester silencieux ces derniers jours, nous ne voulons plus nous taire. Alors nous le crions : nous n’acceptons pas que nos vies soient délibérément sacrifiées.

      Nous demandons que soient prises sans délai les mesures qui ont déjà fait leurs preuves et qui sont les seules à même de freiner rapidement l’épidémie. Le retour à un niveau faible de circulation du virus doit permettre une reprise de contrôle, l’instauration de dispositifs « tester-tracer-isoler » efficaces, et la poursuite d’une campagne de vaccination rapide et ambitieuse.

      Ces décisions, nécessaires pour notre protection, sont aussi les seules en mesure de venir à bout de l’épidémie, sans céder à la barbarie.

      Principaux signataires : Bertrand Burgalat, président de Diabète et méchant ; Yvanie Caillé, présidente de Coopération patients ; Pierre Foucaud, président de Vaincre la mucoviscidose ; Nicolas Giraud, président de l’Association française des hémophiles ; Axel Kahn, président de la Ligue nationale contre le cancer ; Agnès Maurin, présidente de la Ligue contre l’obésité ; Pascal Mélin, président de SOS hépatites et maladies du foie ; Nathalie Mesny, présidente de Renaloo (maladies rénales, greffe, dialyse) ; Philippe Thebault, président d’Alliance du cœur ; Nathalie Triclin-Conseil, présidente d’Alliance maladies rares. Liste complète sur renaloo.com