Loi « climat » : la majorité cale sur l’avenir des voitures - Page 1

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    Vendredi soir et samedi, les députés ont débattu à l’Assemblée du volet transport de la future loi « climat ». Tous les amendements ciblant les voitures polluantes ou proposant des aides en faveur des ménages précaires ont été rejetés, au grand dam de certains élus de la majorité.

    Le vendredi 9 avril dernier, les bancs de l’Assemblée nationale étaient indéniablement clairsemés. Il était près de 19 heures quand à peine 70 députés se sont attelés au titre « Se déplacer » du projet de loi « climat ». Au programme : 14 articles et 800 amendements à passer en revue.

    Les discussions ont débuté sur l’article 25 du texte qui prévoit l’interdiction à la vente des véhicules émettant plus de 95 g de CO2/km – en clair, les autos les plus polluantes – d’ici à 2030. Une résolution beaucoup trop tardive au goût de la gauche, comme l’a exprimé Éric Coquerel, député La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis : « Alors que Météo France prévoit une augmentation des températures comprise entre 3 et 6 degrés d’ici à la fin du siècle, il est clair qu’il faut prendre des décisions qui s’appliqueront non pas dans 30 ou 40 ans, mais tout de suite. Nous sommes en train de perdre une course contre la montre. »

    À droite de l’hémicycle, Vincent Descoeur, élu Les Républicains (LR) du Cantal, s’est inquiété de l’accompagnement de la filière automobile, notamment « les dizaines de milliers de jeunes qui se sont engagés dans le domaine de la mécanique au cours des trois dernières années ou qui le feront dans celles qui viennent ».

    Mais leurs demandes de modifications du texte ont sur-le-champ reçu un double avis défavorable de la part du rapporteur comme de la ministre chargée de l’environnement, Barbara Pompili.

    Damien Adam, député La République en marche (LREM) de Seine-Maritime, a alors tenté de défendre un amendement qui spécifiait d’élargir l’obligation de mettre fin à la vente des véhicules les plus émetteurs de CO2 d’ici à 2030 aux véhicules utilitaires. La mesure a été renvoyée fissa aux calendes grecques par Barbara Pompili, qui a déclaré : « Il me semble nécessaire d’approfondir la question et l’étude de l’impact de la mesure, en concertation avec les acteurs concernés. » Dans la foulée, l’amendement a été retiré par le jeune élu de Seine-Maritime lui-même.

    Les députés ont ensuite voté à l’unanimité la fin de la vente des véhicules lourds de transport de personnes et de marchandises utilisant « majoritairement » des énergies fossiles d’ici à 2040. Une mesure saluée de concert par Damien Adam et Barbara Pompili pour sa cohérence « avec les annonces de l’Union des entreprises de transport et logistique de France et de l’Association des constructeurs européens d’automobiles ». Un alignement avec les demandes des industriels automobiles qui a le mérite d’être clair.

    À 21 h 40, Jean-Charles Colas-Roy, député LREM de l’Isère, a pris la parole pour défendre sa proposition d’amendement : celle d’avancer à 2035 l’interdiction des ventes de voitures neuves essence ou diesel. La loi d’orientation des mobilités de 2019 ne prévoit en effet cette proscription que pour 2040.

    « Quinze ans nous séparent de 2035. Ce délai me semble tout à fait réaliste et raisonnable pour mener à bien cette conversion avec nos constructeurs et leurs sous-traitants. D’ailleurs, Les Républicains sont désormais favorables à cette date », a indiqué Jean-Charles Colas-Roy.

    Après que François-Michel Lambert, du groupe Liberté et territoires, eut informé que l’amendement recueillait « l’approbation d’une large partie des membres de cette assemblée », Valérie Petit, députée Agir ensemble du Nord, a lâché : « J’ai l’impression que, sur les bancs du gouvernement, on est secrètement d’accord pour se montrer plus ambitieux ! »

    Durant plus d’une demi-heure, et après que Barbara Pompili et le rapporteur LREM Jean-Marc Zulesi eurent émis un avis défavorable sous prétexte de s’en tenir à la trajectoire fixée en 2019, les débats ont fait rage. C’est que la Grande-Bretagne, la Suède ou encore le Danemark ont annoncé la fin des ventes des automobiles à carburant fossile dès 2030.

    « Nos industriels donnent déjà l’exemple : la plupart sont aujourd’hui en ordre de marche pour décarboner, encore faut-il leur en laisser le temps, et je vous y invite. La différence entre 2035 et 2040 est minime », a essayé de justifier Huguette Tiegna, élue LREM du Lot. Vincent Descoeur, qui ne semble pas au courant de l’urgence climatique, a avancé : « Pourquoi tout précipiter ? »

    Valérie Petit a quant à elle rappelé à la ministre de la transition écologique qu’Emmanuel Macron a en décembre dernier modifié « les objectifs et le calendrier de nos engagements climatiques » en actant une baisse de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre non plus de 40 %, mais de 55 % d’ici à 2030.

    Face à ces passes d’armes, Barbara Pompili est restée muette, Jean-Marie Sermier, député LR du Jura, allant jusqu’à relever : « Vous êtes bien silencieuse depuis le début de ce débat sur l’échéance de 2035 ou de 2040. » Juste avant le vote, le rapporteur Jean-René Cazeneuve a pour sa part tenté d’avertir que cet avancement du calendrier de cinq ans « risque de créer un drame social et industriel majeur ».

    Malgré l’appui de nombreux députés, l’amendement de Jean-Charles Colas-Roy a finalement été rejeté – 31 voix pour, 68 voix contre. Une vingtaine de députés LREM aurait visiblement débarqué en troupe à l’Assemblée pour s’opposer à cette mesure, le nombre de votants étant soudain passé de 73 une demi-heure plus tôt à 99.

    Autre proposition défendue par tous les bancs de l’hémicycle, LREM compris : la création d’un prêt à taux zéro mobilité garanti par l’État afin d’aider les plus précaires à acquérir des véhicules moins polluants ou un vélo.

    Le 17 mars, Barbara Pompili et Jean-Baptiste Djebbari avaient annoncé jusqu’à 5 000 euros de microcrédit « Véhicules propres » destiné « aux ménages très modestes ». Mais le Réseau action climat, le Secours catholique et le WWF France ont jugé le dispositif insuffisant : il ne garantirait que 7 500 microcrédits par an, contre le million de prêts à taux zéro nécessaires chaque année pour que les plus pauvres puissent changer de voiture.

    Par ailleurs, le projet de loi « climat » prévoit d’ici à la fin 2024 la création de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans les agglomérations de plus 150 000 habitants afin d’interdire les autos polluantes dans les centres-ville. L’enjeu social du prêt à taux zéro mobilité était donc majeur puisqu’il pallierait le risque d’exclure des centres urbains les ménages qui n’ont pas les moyens de s’offrir une nouvelle voiture moins émettrice de CO2.

    Loin d’être échaudé par le rejet de son précédent amendement, Jean-Charles Colas-Roy est revenu à la charge en insistant : « La transition écologique est avant tout une question de justice sociale : ce sont les plus modestes d’entre nous qui sont le plus durement touchés par les changements climatiques. »

    Côté droit de l’Assemblée, Vincent Descoeur insiste : « Nous touchons à la question centrale de l’accompagnement de la transition. » Michel Vialay, également élu Les Républicains, a souligné que pour un crédit de 6 000 euros, les taux d’intérêt étaient actuellement de 9,9 % et que cet emprunt correspondait à « 100 euros par mois pendant cinq ans, soit un peu plus de 8 % du Smic. Pour des personnes modestes, c’est très compliqué à rembourser. » Enfin, Éric Coquerel a précisé que les ménages précaires « sont souvent les mêmes qui, habitant loin des centres urbains, sont contraints d’utiliser leur véhicule personnel faute d’un réseau de transports en commun suffisamment développé ».

    Arguant que le prêt à taux zéro était « un exemple typique de fausse bonne idée », Barbara Pompili et à sa suite le rapporteur ont alors émis un double avis défavorable quant à cette demande portée par des députés de tous bords politiques. La totalité de leurs amendements sur le sujet a été retoquée.

    La seule bonne nouvelle de cette soirée désastreuse pour le climat comme pour les plus pauvres aura été le vote à l’unanimité de l’élargissement de la prime à la conversion au vélo et le renforcement du bonus à l’achat des bicyclettes électriques pour les vélos cargos. Mais cet espoir d’éclaircie a été douché dès la reprise de la séance publique le lendemain à 9 heures.

    Alors que la convention citoyenne pour le climat a proposé un malus poids pour les voitures de plus de 1,4 tonne afin de cibler les SUV (sport utility vehicle) – des 4 x 4 urbains qui, ces dix dernières années, représentent la deuxième source de croissance des émissions de CO2 françaises –, le projet de loi a revu à la hausse le seuil du malus à 1,8 tonne, ce qui toucherait moins de 3 % des automobiles vendues.

    Les députés LREM Pâcome Rupin et Émilie Chalas, ainsi que le socialiste Gérard Leseul, ont défendu durant la matinée l’impératif écologique de rabaisser le malus de 1,8 tonne à 1,6 tonne à compter de 2023, puis 1,4 tonne dès 2024. Après avis défavorable de Barbara Pompili, leurs amendements n’ont pas été adoptés. « Il me semble être un peu tôt pour modifier les seuils, a argumenté la ministre chargée d’une loi censée répondre à l’urgence d’agir face à la catastrophe climatique. Attendons encore un peu. »

    Et voilà... En France, on touche pas à la ouature. Surtout pas !
    (bon, faut dire, comme on ne réfléchit pas plus à une transformation des moyens de transport et de leurs usages, on s’interdit complètement d’y toucher).

    #écologie #tartuffes