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  • « Si on m’avait dit que je travaillerais au calme dans cet endroit paradisiaque… » : en Thaïlande, un éden pour les télétravailleurs sans frontières
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/19/si-on-m-avait-dit-que-je-travaillerais-au-calme-dans-cet-endroit-paradisiaqu

    L’île de Koh Phangan accueille de nombreux exilés occidentaux, adeptes du travail à (longue) distance. La crise sanitaire a accentué le phénomène des « nomades numériques », soucieux de changer de cadre de vie. Un casque sur les oreilles, les yeux rivés sur l’ordinateur, Jonathan Dizdarevic est concentré sur son écran : cet ingénieur en informatique, Français d’origine bosniaque, travaille d’arrache-pied sur le développement d’une application VPN, réseau privé virtuel qui permet d’établir une connexion Internet sécurisée. L’air est si chaud, si moite, à peine rafraîchi par un ventilateur, que ce grand blond de 33 ans a tombé la chemise. Derrière lui, un paysage paradisiaque : une plage à la splendeur de carte postale, sable blanc sur horizon bleuté, la « zen beach » où une foule d’exilés volontaires vient chaque soir admirer le soleil rouge sang qui s’enfonce dans le golfe de Thaïlande. Un peu plus loin, il y a même une zone réservée aux nudistes.
    Jonathan Dizdarevic, 33 ans, de nationalité française, travaille sur le développement d’une applcation VPN. Ici le 5 mars 2021, au Zen Hub, espace de coworking dans l’île de Koh Phangan, en Thaïlande.
    C’est un après-midi tranquille sur l’île de Koh Phangan, l’une des places fortes mondiales des « nomades numériques », expression désormais convenue pour désigner tous ces jeunes en errance sur la planète, ordinateurs portables en bandoulière, prêts à travailler n’importe où, au gré de leurs envies. Ils ont la trentaine, la quarantaine pour les plus âgés, et ce sont des gens du voyage d’un genre nouveau : les errants de l’univers éternellement mouvant des écrans sans frontières.
    La pandémie a précipité les choses : poussés par les vents mauvais du Covid-19, les digital nomads – l’expression anglaise que tous utilisent pour se désigner – ont vu leurs rangs s’épaissir. Certains, tels des naufragés, ont échoué à Koh Phangan. Ils ne sont toujours pas repartis ; ils y attendent des jours meilleurs, quand ils pourront de nouveau parcourir la planète. « Après avoir travaillé à Paris comme responsable technique dans une boîte de développement numérique, puis continué par la Californie, le Mexique, la Colombie, les Canaries, Hongkong et Singapour, j’ai réalisé que la liberté n’a pas de prix », témoigne Jonathan Dizdarevic. La route a été longue, mais il a fini par se « poser ». Même si ce refuge asiatique n’est pas sa destination finale, l’essentiel, à ses yeux, est d’avoir échappé à l’enfer urbain des grandes villes d’Occident et d’Extrême-Orient : « Je ne me sentais pas à ma place dans le monde du travail ordinaire, et je n’en pouvais plus de dépendre des idées des autres : j’ai terminé en burn-out et j’ai fui.
    Burn-out, dépression, lassitude de la vie dans le « monde d’avant » des sédentaires stressés… A Koh Phangan, certains de ces nomades reviennent de loin. Sophie Vaxelaire, par exemple : une brune de 30 ans au sourire rêveur, désormais professeure de yoga. En 2019, elle a quitté son emploi dans un cabinet de conseil en finance du quartier d’affaires de la Défense, près de Paris. « Depuis longtemps, je ne me sentais plus à l’aise », se souvient-elle devant une tasse de thé à la table du café Indigo, un antre numérique où, dans la grande pièce du premier étage, l’on s’assoit sur un coussin devant l’ordinateur dans le silence quasi sépulcral d’une sainte chapelle. « Un jour, j’ai réalisé que je me mettais à écrire des phrases qui n’avaient plus aucun sens, j’étais complètement déphasée. »
    Sophie Vaxelaire, marquée par son passé d’adolescente anorexique – « J’ai commencé à faire des régimes à partir de 12 ans » – s’emploie désormais à « casser la vision » négative que « certaines femmes ont de leur corps ». Pour ce faire, elle vient de créer son site, Jiva Moon Yoga (Jiva veut dire « âme vivante », en sanskrit), où elle va proposer à des femmes en souffrance une série de cours en ligne comprenant du yoga, de la méditation et des exercices de développement personnel. Il est loin, le temps des jours moroses de la Défense : « Si on m’avait dit, il y a un an et demi, que je travaillerais au calme dans cet endroit paradisiaque… » Et pour pas cher : même si elle vit encore sur ses économies d’ancienne cadre, elle habite un charmant bungalow avec piscine privée pour l’équivalent de 400 euros par mois…
    Une autre Française, la pétillante Marie-Laure Gallez, 27 ans, arrive elle aussi de l’autre côté du miroir, victime d’une modernité devenue étouffante. Ex-ingénieure en informatique et chef de projet à Toulouse pour un prestataire d’Airbus, elle avait déjà « craqué » avant le Covid-19, mais la pandémie l’a amenée, comme d’autres, à s’installer sur les rivages de Koh Phangan. « En France, j’ai passé des mois à me réveiller chaque matin la boule au ventre à la pensée d’aller au boulot, se souvient-elle. Je vivais éternellement insatisfaite, toujours tournée vers le futur. »A son arrivée dans ce pays bouddhiste, une retraite vipasana – l’une des plus anciennes techniques de méditation de l’Inde – lui a permis de se « refroidir », comme elle dit. « L’introspection m’a aidée à retrouver mon équilibre, à me réaligner par rapport aux valeurs qui sont les miennes. » Comme Sophie, elle a créé un site, baptisé « E-motion Coaching », où elle propose des vidéos de quinze minutes déclinées sur vingt-huit jours et consacrées à l’apprentissage du yoga, à la relaxation, à la « poursuite du bien-être ».

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