Gérard Noiriel : « Peut-on imposer la catégorie de « race » à des gens qui ne le demandent pas ? »…

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    Mais, précisément, dites-vous que la classe est plus déterminante que la race ?
    G. N. : Je me suis rendu compte que ce genre de question intéressait beaucoup les journalistes mais, encore une fois, posée à un tel niveau de généralité, elle n’a pour moi aucun sens.

    Si vous prenez les contrôles de police ou l’entrée dans les boîtes de nuit, il est vraisemblable que la race (définie à partir du critère de la couleur de peau) ait une importance plus grande que la classe.

    En revanche, dans beaucoup d’autres domaines, c’est le critère socio-économique qui est déterminant. Prenons l’exemple qu’affectionnent les universitaires qui sont à la pointe des études sur la « question raciale ». Comme on l’a montré dans notre livre, l’un de leurs principaux arguments consiste à dénoncer la « colorblindness » , l’aveuglement à la couleur qui expliquerait la sous-représentation des « minorités » dans notre espace politique.

    Pourtant, cette sous-représentation est encore bien plus flagrante si l’on prend en compte le critère social, puisqu’il n’y a aujourd’hui aucun député issu du monde ouvrier, alors que ceux-ci représentent 20 % de la population active. Pourquoi les tenants de « l’intersectionnalité » ne prennent-ils jamais au sérieux ce type de discrimination dans la sphère publique ?

    Le dernier point que je voudrais souligner c’est que, dans une recherche, les critères qui permettent de définir les personnes ne sont pas alignés les uns à côté des autres. Ils sont étroitement liés les uns aux autres. La majorité des personnes que certains définissent aujourd’hui uniquement par leur race, très souvent issus de l’immigration post-coloniale, font aussi partie des classes populaires. On compte parmi elles des hommes et des femmes, de telle ou telle nationalité d’origine, qui peuvent partager telle ou telle croyance religieuse, etc.

    Quand on prend en compte tous ces critères on peut affirmer, comme nous le faisons dans le livre, que la plupart des membres des minorités appartiennent aux classes populaires, ils sont même dominés à l’intérieur de la classe des dominés. Ceux qui s’expriment au nom de ces minorités font partie, quant à eux, des classes moyennes fortement scolarisées. Ils ont donc la possibilité de s’exprimer par eux-mêmes. Et c’est très bien ainsi !

    Mais cela fait une grande différence avec les classes dominées socio-économiquement, comme les ouvriers, qui ne peuvent pas s’exprimer publiquement parce qu’elles n’ont pas de porte-parole directement issus de leurs rangs. Elles sont devenues des « classes objets », comme le disait Pierre Bourdieu à propos des paysans https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2572 , à une époque où les ouvriers étaient représentés au sein du Parti communiste.
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