se souvient que la première fois qu’elle avait débarqué dans le patelin, il y a maintenant pas mal d’années de cela, il y avait encore une épicerie à cet endroit-là — oh, un tout petit truc, hein : on n’y vendait pas de tofu, la boîte de petits pois périmés coûtait 800000 dollars et la « Tatie Danielle » qui tenait l’échoppe faisait les additions au pif et au crayon de bois sur un coin de papier-journal. Mais bon : il y avait ça quand même.
Par la suite des temples commerciaux beaucoup plus vastes ont commencé à s’installer dans les environs. Ça a coïncidé à peu près avec le moment où la vioque a claboté, l’épicerie a fermé (z’avez qu’à avoir une bagnole pour aller faire vos courses au chef-lieu de canton), le local est resté inutilisé un bon moment puis des Parisien(ne)s ont eu la riche idée d’y établir... un salon de thé. Lol ! Un salon de thé en pleine cambrousse, dans une région où la quasi-totalité de la population est torchée à la trouspinette dès huit heures du mat’ ! Bien entendu ça n’a pas marché : quelques mois et quelques boîtes d’anxiolytiques plus tard les ceusses sont reparti(e)s ruiné(e)s, la queue entre les jambes, déjà bien chanceuses(-eux) d’avoir échappé aux crachats, quolibets, menaces et clouages de chouettes sur la vitrine.
Là-dessus rebelote, le petit emplacement redevient vacant durant un an ou deux et là... incroyable ! Troisième vie ! À cet endroit il y a maintenant un truc genre « start-up » au nom branchouille en franglais, avec un kéké tout seul en vitrine, assis devant un ordinateur posé sur une planche et deux tréteaux. Le ceusse porte bien sûr des mocassins à glands, un tricot noué autour des épaules et une barbe de trois jours, il est coiffé au choix comme Tante Pim de Pim Pam Poum ou comme un Prop’Sac®, il a une bouteille d’eau posée à côté de lui et il reste planté là toute la journée, s’ennuyant ostensiblement à tapoter on-ne-sait-quoi sur son clavier (en fait il est plus que probable qu’il joue à Candy Crush Saga® ou regarde « Les Marseillais à Honolulu ») et n’osant pas lever les yeux quand il sent qu’on le regarde — la scène a un petit côté « Quartier rouge à Amsterdam », en beaucoup moins olé-olé.
Non mais sans rire, on ne va pas plaindre ce deuxième ou troisième couteau d’une obscure boîte de margoulins vu que c’est un garçon probablement cisgenre et macrono-lepeniste, hein, mais quand même : pourquoi est-ce qu’on l’expose comme ça derrière une vitre, dans un local tout blanc et presque entièrement vide ? Ce qu’il fait là, si jamais il fait quelque chose, il ne serait pas mieux à le faire chez lui, en télétravail ? Quel est le but, de l’afficher comme ça ? Il n’est même pas décoratif, il a exactement la même tête de fumiste que TOUS les autres droitards de sa génération !
Enfin bon, ça distrait les vieilles punkàchiennes qui passent devant. Tiens, la Garreau aurait les moyens, elle lui offrirait même des cacahuètes.