• Les Australiens interdits de revenir d’Inde sous peine de prison
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/04/les-australiens-interdits-de-revenir-d-inde-sous-peine-de-prison_6079040_321

    Pour se protéger de la pandémie, l’Australie, qui applique la stratégie « zéro Covid », empêche ses ressortissants de rentrer chez eux. Les contrevenants s’exposent à une amende de plus de 42 000 euros et à cinq ans d’emprisonnement.Fermer les portes du pays à ses propres ressortissants, c’est un pas que l’Australie n’avait jamais franchi depuis le début de la pandémie malgré le bouclage de ses frontières internationales dès le mois de mars 2020. « On ne peut pas empêcher les Australiens de rentrer chez eux », avait toujours défendu le premier ministre, Scott Morrison. Lundi 3 mai, le gouvernement a changé son fusil d’épaule.
    Face à la grave dégradation de la situation sanitaire en Inde, il a interdit d’entrée sur le territoire national, jusqu’au 15 mai, toute personne ayant séjourné dans ce pays durant les quatorze jours précédant son voyage, y compris ses 9 000 citoyens actuellement bloqués sur place. Les contrevenants s’exposent à une amende de 66 600 dollars australiens (42 800 euros) et à cinq ans de prison.
    « Le gouvernement ne prend pas cette décision à la légère mais il est crucial de préserver l’intégrité de la santé publique australienne et de son système de quarantaine qui ont permis de réduire le nombre de cas de Covid à un niveau acceptable », a justifié, vendredi, le ministre de la santé, Greg Hunt. Depuis plus d’un an, toute personne arrivant sur l’île-continent est placée en quarantaine dans un hôtel. Fin avril, le nombre de cas positifs enregistrés dans ces structures a bondi de 90 à 143 cas en une semaine. Parmi les malades, 57 % revenaient d’Inde contre seulement 10 % en mars. Une hausse significative du nombre d’individus contaminés synonyme d’un risque accru de propagation de l’épidémie.
    A la mi-avril, l’un d’eux a transmis le SARS-CoV-2 à d’autres voyageurs dans un hôtel de la ville de Perth, en Australie-Occidentale. Le premier ministre local, Mark McGowan, qui a immédiatement décrété un confinement de trois jours pour empêcher le virus de se répandre dans l’Etat, a accusé le gouvernement fédéral d’autoriser trop de ressortissants à revenir de cette zone à risque. Depuis le début de la pandémie, grâce à une stratégie « zéro Covid », l’Australie déplore moins de 30 000 cas et seulement 910 morts. Le coronavirus a quasi disparu du pays. Mais, ces derniers mois, à la suite de l’apparition de nouveaux variants plus contagieux, les autorités ont dû contenir une douzaine de « fuites » de ces établissements hôteliers. Dès le 27 avril, elles ont suspendu les vols venant d’Inde avant d’étendre les mesures de restriction à tous les voyageurs en provenance du pays.
    « Si notre gouvernement se préoccupait de la sécurité des Australiens, il nous autoriserait à rentrer chez nous. C’est une honte !! », s’est étranglé, sur Twitter, l’ancien joueur de cricket, Michael Slater, réfugié aux Maldives après avoir fui l’Inde ce week-end. Ces derniers jours, une multitude de voix se sont élevées pour dénoncer une mesure « extrême ». « Nous devrions aider les Australiens (…) à rentrer plutôt que de les mettre en prison », a notamment dénoncé le sénateur conservateur Matt Canavan, tandis que le chef du Parti travailliste, Anthony Albanese, demandait à l’exécutif « pourquoi, avec des chiffres en Inde qui sont similaires [proportionnellement] à ceux qu’il y a eus, dans le passé, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, nous n’avons pas vu ce genre de mesures avant ».Pour certains, il s’agit d’une décision « raciste ». « S’il y avait [là-bas] 10 000 Australiens blancs de peau, est-ce qu’ils auraient fait la même chose que ce qu’ils font maintenant ? Non », a ainsi estimé Jagvinder Singh Virk, président de l’Alliance stratégique indo-australienne. Une idée totalement rejetée par le gouvernement, qui se veut avant tout pragmatique et qui, en vertu de la loi sur la biosécurité, dispose de pouvoirs étendus pour gérer les questions de santé publique en période de pandémie.
    Cette décision est-elle pour autant légale ? Des juristes émettent des doutes. Non seulement, selon la législation, les mesures prises ne doivent pas être « plus restrictives ou intrusives que ce qui est requis par les circonstances », mais l’Australie est signataire du pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, qui dispose que « nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays ». Le gouvernement, qui a envoyé une aide matérielle d’urgence en Inde, a rappelé que cette décision était temporaire. Elle sera revue le 15 mai. Les épidémiologistes lui demandent surtout de renforcer l’imperméabilité du système de quarantaine et d’accélérer la campagne de vaccination.