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  • Ce que furent les « années de plomb » en Italie, par Toni Negri (Le Monde diplomatique, août 1998)
    https://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/NEGRI/3918

    Parler des années 70 dans l’histoire italienne, c’est parler du présent. Non seulement parce que les conséquences des politiques répressives d’alors perdurent — les lois spéciales n’ont pas été abrogées, deux cents personnes au moins sont encore incarcérées et autant en exil (1). Non seulement parce que la désagrégation du système politique d’après-guerre, réduit en miettes par la chute du mur de Berlin, avait atteint des limites insoutenables. Mais aussi, et surtout, parce que le traumatisme social (et psychologique) de cette décennie n’a encore été ni refoulé ni cicatrisé.

    Les années 70 sont présentes parce qu’elles ont posé à l’Italie le problème de la représentation démocratique dans la transformation des modes sociaux de production, ce nœud central des sociétés capitalistes avancées qui n’est pas encore dénoué. En Italie, la présentation de ce nœud de problèmes a pris à ce moment-là une tournure tragique.

    Toutes les forces politiques impliquées dans ce drame ont été vaincues. Deux auteurs, plus que d’autres, ont témoigné sur cette tragédie radicale : d’un côté Leonardo Sciascia (2), de l’autre Rossana Rossanda (3). Le premier assurait la chronique des événements en soulignant combien la crise tenait du labyrinthe, la seconde relatait chaque jour, sans jamais se désengager, l’impuissance désespérée des protagonistes à trouver une issue.

    « Les années de plomb » : un « passé qui ne passe pas » | Cairn.info
    https://www.cairn.info/journal-mouvements-2003-3-page-196.htm

    on ne peut comprendre « les années de plomb », sur lesquelles se focalisent la grande majorité de la littérature et des commentaires, sans référence aux mouvements de contestation qui débutent en 1967. Il y a en effet continuité entre les deux événements, non seulement humaine – environ un quart des militants de 1968 ont poursuivi leur engagement dans un groupe armé – mais aussi idéologique et pratique. L’enchevêtrement des luttes légales, semi-légales, totalement illégales, mais aussi des violences dites de masse, spontanées, d’avant-garde, clandestines est réel. Il faudra attendre plusieurs années avant qu’une distinction claire entre groupes d’extrême gauche acceptant le principe du recours à la violence et groupes armés clandestins apparaisse. La première « génération terroriste » (qui termine sa trajectoire autour de 1977) a fait ses armes politiques dans le mouvement étudiant et souvent dans les groupes extra-parlementaires. Les actions des uns et des autres ne divergent guère dans un premier temps ; la distinction s’établit progressivement par effet de seuil et ensuite par étiquetage dans le cadre de la vaste entreprise de contre-mobilisation engagée à partir de la fin des années soixante-dix [2].