• Les adeptes du candomblé, une religion afro-brésilienne, persécutés par les pentecôtistes et les narcotrafiquants au Brésil
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    ReportageDans les favelas de Rio, les « terreiros », lieux de culte du candomblé, sont détruits les uns après les autres et ses adeptes subissent l’intolérance religieuse, à tel point qu’ils doivent abandonner leur religion.

    « Je n’étais pas revenue depuis deux ans. C’est affreux. Ici, c’était un lieu de vie, de paix, de fête ! », sanglote Carla. Mis à sac par des assaillants, l’Ilê Axé de Bate Folha de la ville de Duque de Caxias, dans la banlieue nord de Rio, était autrefois, dans la région, l’un des principaux terreiros, lieux de culte du candomblé, une religion afro-brésilienne mêlant croyances chrétiennes et rites ­africains. Un endroit où, des décennies durant, fidèles et croyants dansaient en robes blanches ou tenues chamarrées, au rythme des tambours atabaques sacrés et des chants entonnés en langue yoruba, célébrant les pouvoirs de la belle Oxum, déesse noire des rivières, de la joie et de l’amour vrai.
    Une atmosphère de terreur

    Carla, qui fut initiée au culte ici même, se calme et s’assoit. « C’était le 11 juillet 2019. Il était aux alentours de 9 h 30 et il faisait très beau », commence-t-elle. Ce jour-là, Maria Eduarda*, 85 ans, grande prêtresse du candomblé – mãe de santo Yatemyquiamasi, selon son nom religieux – vient passer un coup de balai dans son terreiro. Quelques minutes plus tard, on frappe à la porte. Face à la vieille dame, « trois garçons de moins de 25 ans en short et sandales, armés de pistolets ». L’un d’eux, menaçant, pénètre dans les lieux : « Maintenant, ma vieille, fini de plaisanter. Tu vas arrêter avec ta sorcellerie du démon ! »

    Une heure durant, la mãe de santo est contrainte à briser elle-même, un à un, les objets sacrés de son sanctuaire. Les tenues rituelles et les instruments de musique, eux, sont jetés en pleine rue et incendiés. « Elle a essayé de les calmer, les a suppliés d’arrêter, elle pleurait », poursuit Carla. La barbarie prend fin au bout d’une heure avec l’arrivée de la police. Mais, le calme revenu, les fidèles épouvantés se résolvent à fermer le terreiro. « Tout ce qui était sacré a été détruit. Ce sont nos vies qui ont été brisées », soupire Carla.

    Ces rituels mystérieux, où les femmes tiennent une place prépondérante, honorant divinités Orixas et autres figures ésotériques, faisant alterner danse transcendantale, offrandes d’animaux ou jeux de coquillages, ont toujours fasciné les voyageurs étrangers. Mais suscité aussi un profond rejet au Brésil. « Le candomblé a longtemps été vu comme quelque chose de honteux, de marginal et d’inférieur, associé aux esclaves et à la magie noire », explique Reginaldo Prandi, sociologue spécialiste des religions afro-brésiliennes.

    Les choses ne s’améliorent vraiment qu’à partir des années 1950 et 1960 : le cinéma, la musique, la littérature s’emparent alors des racines africaines du Brésil. Vinicius de Moraes, poète fondateur de la bossa-nova, « Blanc le plus noir du Brésil », comme il se décrit lui-même, chante en hommage à Xangô et Iemanjá, divinités du feu et de la mer.

    Arrêté à une barricade, Roberto se retrouve avec un pistolet sur la tempe. « Ils ont hurlé : “Le diable est en toi ! Si tu reviens habillé comme ça, tu vas souffrir” », poursuit le jeune homme, qui subit une fouille en règle de son logement et se voit finalement intimer l’ordre de quitter la favela sous sept jours. « Ça a été le moment le plus terrifiant de ma vie. Les trafiquants armés étaient postés devant chez moi en permanence pour vérifier que j’obtempérais et emportais tout avec moi. » Les voisins ne réagissent pas. « Tout le monde était terrifié », soupire Roberto.

    Au Brésil, la progression des néopentecôtistes, très présents auprès des plus exclus, est foudroyante : jusqu’à un tiers de la population se déclare évangélique. L’alliance des religieux et des narcos apparaît comme naturelle. « Ces trafiquants sont très croyants. Ils voient le monde comme une guerre du bien contre le mal et se donnent pour devoir de détruire les religions dites diaboliques, comme le candomblé », explique l’anthropologue Sonia Giacomini, spécialiste des religions afro-brésiliennes.

    Mais des raisons bien plus prosaïques président aussi à cette alliance d’apparence contre-nature. « Persécuter les pratiquants de religions afro-brésiliennes, c’est aussi une manière pour les trafiquants et les pasteurs d’assurer leur domination sur un quartier, en expulsant toute autorité concurrente de leur territoire », poursuit notre source judiciaire. Qui ajoute : « Il existe également de forts soupçons, selon lesquels les Églises permettraient aux gangs de laver l’argent sale de la drogue. »

    « La religion est manipulée par les religieux, mais aussi par les politiciens », ajoute Kátia de Lufan. Le « lobby de la Bible », composé de pasteurs néopentecôtistes, riches et médiatiques, hostiles au candomblé et aux religions afro-brésiliennes, a une grande influence auprès des politiques, depuis les conseils municipaux jusqu’au sommet de l’Etat, en la personne de Jair Bolsonaro. Né catholique, le président a été « baptisé » en 2016 dans les eaux du Jourdain par un pasteur évangélique.

    Dans cette lutte, les candomblécistes ont obtenu l’appui d’une pasteure évangélique : Mônica Francisco, militante de la cause noire et, depuis 2019, députée socialiste à l’assemblée régionale de Rio. « Il faut défendre les religions afro-brésiliennes, elles sont la matrice de ce pays, le reflet de notre diversité, de notre histoire », clame cette femme chaleureuse de 50 ans, née dans les favelas de la zone nord de Rio.

    Mais les succès récents sont avant tout symboliques, reconnaît la députée. « L’intolérance se diffuse et menace de devenir majoritaire dans la communauté évangélique. Il faut à tout prix offrir un discours alternatif aux pasteurs qui manipulent la foi », s’inquiète-t-elle.

    Dans les favelas, le modèle du narcopentecôtiste séduit au-delà du TCP. « Toutes les factions criminelles comptent désormais des trafiquants évangéliques », confirme la chercheuse Christina Vital, professeure à l’université fédérale Fluminense (UFF) et autrice du livre Oração de traficante (2015, non traduit), traitant des liens entre religion et narcotrafic dans les favelas de Rio.

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