Notre Sang. Prédictions et discours sur la politique sexuelle – Le blog de Christine Delphy

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  • Préface d’#Andrea_Dworkin à son livre : Notre Sang. Prédictions et discours sur la politique sexuelle
    https://christinedelphy.wordpress.com/2021/05/12/preface-dandrea-dworkin-a-son-livre-notre-sang-prediction

    Notre sang est un livre qui a germé d’une situation, la situation étant que je n’arrivais pas à faire publier mon travail. J’ai donc pris la parole en public – non pas avec l’étalage improvisé de pensées ou l’effusion de sentiments, mais avec une prose façonnée pour informer, persuader, perturber, provoquer la reconnaissance, autoriser la rage. Je me suis dit que si les éditeurs ne publiaient pas mes travaux, je les contournerais complètement. J’ai décidé d’écrire directement aux gens, pour ma propre voix. J’ai commencé à écrire de cette façon parce que je n’avais pas d’autre choix : je ne voyais pas d’autre moyen de survivre en tant qu’écrivaine. J’étais persuadée que c’était l’establishment de l’édition – les rédactrices en chef timides et impuissantes, la superstructure des hommes qui prennent les vraies décisions, les critiques misogynes – qui s’interposaient entre moi et un public composé surtout de femmes que je savais être là. L’establishment de l’édition formait une formidable digue, et mon plan était de la contourner à la nage. En avril 1974, mon premier livre de théorie féministe, Woman Hating, a été publié. Avant sa publication, j’avais eu des difficultés. On m’avait proposé de remplir pour des magazines des missions qui étaient écœurantes. On m’avait proposé beaucoup d’argent pour écrire des articles qu’un éditeur m’avait déjà décrits dans les moindres détails. Il devait s’agir de femmes ou de sexe ou de drogues. Ces articles étaient stupides et remplis de mensonges. Par exemple, on m’a offert 1 500 dollars pour écrire un article à propos de la consommation de barbituriques et d’amphétamines par les femmes des banlieues. Je devais dire que cet usage de drogues constituait un acte de rébellion hédoniste contre les conventions ennuyeuses de la vie stérile de ménagère, que les femmes utilisaient ces drogues pour s’éclater, faire de l’échangisme et accéder à un merveilleux nouveau style de vie. J’ai dit à l’éditeur que je soupçonnais les femmes d’utiliser les amphétamines pour passer au travers de journées misérables et les barbituriques pour passer au travers de nuits misérables. J’ai suggéré, aimablement je crois, que j’aille demander aux femmes qui les utilisent pourquoi elles le faisaient. On m’a rétorqué que l’article dirait à quel point c’était amusant. J’ai refusé la mission. Cela ressemble à une amusante rébellion de dire à l’establishment d’aller se faire foutre avec ses poignées de dollars, mais quand on est très pauvre, comme je l’étais, ce n’est pas drôle. C’est plutôt profondément déchirant. Six ans plus tard, j’ai finalement gagné la moitié du même montant pour un article de magazine, c’est la somme la plus élevée que j’aie jamais reçue pour un article. J’avais eu l’occasion de jouer le jeu et j’avais refusé. J’étais trop naïve pour savoir que l’écriture sur commande est le seul jeu payant en ville. Je croyais dans « la littérature », « les principes », « la politique » et « le pouvoir de la grande écriture pour changer les vies ». Quand j’ai refusé de faire cet article et d’autres, je l’ai fait avec une indignation immense. L’indignation m’a désignée comme une sauvageonne, une garce, une réputation qui se renforça lors de conflits éditoriaux au sujet du contenu de La haine des femmes, une réputation qui m’a hantée et blessée : pas blessée dans mes sentiments, mais blessée dans ma capacité à vivre de mon travail. Je ne suis en fait pas une « dame », pas une « dame écrivaine », pas une « douce jeune chose ». Quelle femme l’est ? Mon éthique, ma politique et mon style ont fusionné pour faire de moi une intouchable. Les filles sont censées être invitantes et touchables, à la surface ou plus bas.

    Pour la france, quelques exemplaires payant seront disponibles sur demande à cette adresse : yeun.l-y@hotmail.fr