• Les invisibles « élections professionnelles des travailleurs indépendants des plates-formes »

    Des dizaines de milliers de travailleurs indépendants d’un secteur qui pose nombre de questions sociales, environnementales, économiques sont concernés par ce scrutin, riche de transformations futures du métier de livreur, dont presque personne ne parle, analyse l’urbaniste Laetitia Dablanc, dans une tribune au « Monde ».

    « Les premières élections de représentativité des travailleurs indépendants utilisant des plates-formes de mise en relation se tiendront du 9 au 16 mai 2022 », selon le site de l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (ARPE), consulté le 22 avril. Qui le sait ? Qui en parle ?

    Sur un sujet qui concerne des dizaines de milliers de livreurs d’un secteur qui pose nombre de questions sociales, environnementales, économiques et en ces temps éminemment politiques, il y a étonnamment peu de débats publics. Les réseaux sociaux, les médias font un bruit minimal sur ces élections. Elles sont pourtant d’un type particulier, les premières , à notre connaissance, pour lesquelles les votants peuvent choisir d’être représentés soit par une organisation syndicale, soit par une organisation patronale . Et elles sont riches de transformations futures du métier de livreur des plates-formes.

    Nous savons maintenant qui se présentera au vote – six organisations syndicales (CFTC, CGT, CNT-SO, SUD-Commerces, FO et UNSA), deux organisations professionnelles (Fédération nationale des microentrepreneurs et Fédération nationale des transports routiers/FNTR) ainsi que Union-Indépendants –, mais les informations sur le corps électoral sont rares.

    Selon les articles L. 7341-1 et L. 7342-8 du code du travail, sont concernés les travailleurs indépendants recourant à une ou plusieurs plates-formes de mise en relation par voie électronique pour l’exercice de leur activité professionnelle (livraison et courses VTC, au total plus de 100 000 personnes). Mais combien de votants ? Combien par villes ? Qui sont-ils ? Ni les médias, ni l’ARPE, ni les organisations représentatives ne nous le disent. Il y a un vide de discussion.

    Très peu de femmes

    La bonne nouvelle, c’est que les livreurs, eux, sont au courant, en tout cas une bonne partie d’entre eux. Selon une enquête réalisée par la chaire Logistics City/6t auprès de cinq cents livreurs dans le nord et l’est de Paris, du 9 au 18 mars, 57 % des livreurs exerçant à Paris se déclarent informés de la tenue des élections et 34 % d’entre eux sont sûrs de vouloir y participer (47 % sont sûrs de ne pas y participer et 19 % hésitent).

    Ces taux, y compris pour les intentions de vote, sont d’ailleurs remarquables tant on qualifie souvent la génération des livreurs du numérique de passive ou individualiste. Enquêter sur ces nouveaux travailleurs est riche d’enseignements. Les livreurs des plates-formes sont divers et ont des vues multiples sur leur métier même si des traits de leur situation de travail convergent.

    Au cœur de cette activité de la « livraison instantanée », née dans les années 2015 dans les grandes villes du monde, on trouve des jeunes hommes (très peu de femmes) payés à la tâche en free-lance, circulant avec un deux-roues.

    A Paris, 41 % des livreurs pour des plates-formes comme Deliveroo et Uber Eats se déclarent autoentrepreneurs (dont seulement une partie est composée d’étudiants ou d’actifs, beaucoup étant livreurs à plein temps). Les autres se déclarent salariés ou intérimaires, ou – catégorie récemment apparue dans les réponses à nos enquêtes –, coopérateurs (7 %). Entre 12 % et 20 % d’entre eux n’ont pas de statut leur permettant de travailler en France, ils exercent en louant le compte d’un autre (ce qui pose un problème pour l’identification du corps électoral, par ailleurs) ; 31 % des livreurs ne possèdent aucun diplôme, alors que 27 % sont diplômés bac + 2 ou plus.

    Discussions à venir

    Ils passent beaucoup de temps au travail (54 % sont sur le terrain au moins six jours sur sept, dont 59 % qui travaillent plus de huit heures par jour en moyenne ) et ont un nombre très inquiétant d’accidents de la route (26 % en ont eu un, dont 47 % ont nécessité un passage aux urgence s et 33 % une autre prise en charge médicale). Ils utilisent de plus en plus des scooters, voitures, Vélib’ et Véligo, même si tout ceci leur est théoriquement interdit.

    Leur vision du métier s’est dégradée depuis 2021, notamment les relations avec les plates-formes (40 % les jugeaient difficiles en 2021 pour 59 % en 2022). La pandémie de Covid-19 a augmenté le nombre de commandes mais encore davantage le nombre de livreurs, ce qui a réduit les revenus par livreur . Les livreurs sont rarement membres d’un collectif de défense des droits, mais le taux augmente (13 % en 2022, contre 7 % en 2021 ). En ce qui concerne les autoentrepreneurs, ils sont attachés à 70 % d’entre eux à leur autonomie et au choix des horaires.

    Les élections qui s’annoncent seront suivies de discussions entre les plates-formes et les représentants nouvellement élus pour élaborer des accords collectifs dans le secteur de la livraison par plate-forme. Seront discutées rémunération, garanties sociales ou encore conditions de rupture avec les plates-formes.

    Il faudra parler des questions critiques révélées par les enquêtes, notamment l’insécurité routière, la hausse des rémunérations horaires et la baisse du temps global de travail. Ainsi que l’insécurité juridique forte de ce métier : contrôle des partages de compte, admission au séjour par le travail pour les autoentrepreneurs, promotion de la licence de transport intérieure.

    La promotion de carrières qualifiées dans le transport et la #logistique est aussi un sujet pressant ( 70 % des #livreurs autoentrepreneurs ont indiqué être intéressés par une offre d’emploi dans ce secteur).

    Un autre Jadot est possible.
    « Les plates-formes doivent prendre leurs responsabilités face à la précarité et la mise en danger de leurs livreurs », 20 mai 2021
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/20/les-plates-formes-doivent-prendre-leurs-responsabilites-face-a-la-precarite-

    Après la mort de Chahi, un livreur Uber Eats à vélo, des élus de la métropole de Rouen rejoints par des élus écologistes parmi lesquels David Cormand, Yannick Jadot, Eric Piolle, Mounir Satouri appellent, dans une tribune au « Monde », à une régulation plus stricte de ce modèle d’exploitation, dans le respect du droit du travail français.

    Tribune Le jeudi 6 mai, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), un livreur à vélo a perdu la vie, alors qu’il essayait péniblement de la gagner. Il s’appelait Chahi et laisse derrière lui une femme et quatre enfants. Après une journée pluvieuse et froide, cet homme de 41 ans livrait un repas sous pression, dans la fatigue et le surmenage. Nous apportons notre plus grand soutien et nos pensées à sa famille, à ses proches, à ses collègues.

    Ce drame n’est malheureusement pas le premier, il doit être le dernier. Aujourd’hui en France, environ 4 % de la population active dépend directement des plates-formes en ligne de ce type. En Europe, ce sont 24 millions de personnes qui en vivent totalement ou partiellement. On estime qu’en 2024, ce modèle de livraison pourrait représenter 20 % des ventes des restaurants.

    La massification de cette activité doit s’accompagner d’une régulation du modèle d’exploitation inhumain de ces plates-formes et d’une protection des livreurs en vertu du droit du travail. En effet, le qualificatif d’« autoentrepreneur » est bien loin de la réalité de leur quotidien. Plusieurs décisions de justice ont déjà permis de faire la lumière sur les pratiques intolérables de ces plates-formes.

    Le lien de subordination

    Car le lien de subordination est avéré entre ces entreprises, leurs algorithmes et les livreurs. Rythme de travail infernal, systèmes de notation, de pénalités infligés par les plates-formes sur des critères de performance et de disponibilité. Voici la « liberté » qu’elles vantent tant. Les verdicts s’accumulent partout et sont sans appel.

    Pas de contrat de travail, aucun droit ni protection sociale, pas de cotisation retraite, chômage, pas de congés, pas d’indemnisation ni couverture des frais médicaux en cas d’accidents hormis de très rares motifs précisés dans les contrats d’assurance des plates-formes.

    Pas de salaire minimum non plus, ni de rémunération pendant les temps d’attente, elle est fixée à la tâche, au nombre de kilomètres parcourus, calculée en toute opacité par les applications. La cadence de travail des livreurs leur est imposée à la fois par les algorithmes des plates-formes, par les exigences d’immédiateté des clients, et par cette forme de rémunération qui leur impose de travailler le plus possible, sans pause ni congé.

    L’Espagne en pionnière

    Plus d’un siècle après la naissance du droit du travail, les pratiques des plates-formes qui les exploitent constituent un effrayant retour en arrière. Avec des conséquences toutes plus graves les unes que les autres. Là où ces droits constituent également une régulation de la concurrence sociale entre les travailleurs, le modèle prédateur de ces plates-formes impose à celles et ceux qui sont les plus précaires, celles et ceux qui n’ont pas le choix, de faire le travail que personne d’autre ne veut faire.

    Une sorte de chaîne alimentaire, avec à la toute fin les seuls qui ne peuvent pas refuser les quelques euros gagnés ainsi. La location de « comptes livreurs » à des personnes sans-papiers est par exemple très fréquente. En échange d’une commission chèrement payée au propriétaire officiel du compte, on peut ainsi effectuer des courses et espérer que le propriétaire sera honnête et nous donnera en liquide une part des revenus à la fin de la semaine.

    Grâce à la mobilisation collective des travailleurs, plusieurs pays font enfin évoluer les lois pour que les plates-formes se mettent en conformité avec le droit du travail. Pionnière en Europe, l’Espagne a proposé la « loi Riders », qui reconnaît aux livreurs le statut de salarié et exige de plus la transparence des plates-formes sur le fonctionnement de leurs algorithmes, qui devra désormais être communiqué aux organisations syndicales.

    Prendre des mesures de protection

    En France, plusieurs tentatives n’ont pas abouti. Il est urgent de protéger celles et ceux qui sont en première ligne face au Covid-19 et de garantir l’égalité des droits et de la protection sociale pour les travailleurs dans notre pays. Les plates-formes doivent prendre leurs responsabilités face à la précarité et la mise en danger de leurs livreurs.

    Des contrats de travail doivent être signés, afin de leur donner accès à leurs droits les plus fondamentaux. L’organisation de formations, la dotation en accessoires de sécurité nécessaires (casque, lumières, rétros, sonnette, manteau réfléchissant, etc.) doivent devenir des obligations légales.

    Un travail important doit également être mené au niveau des collectivités sur l’adaptation de l’espace public à tous les modes de déplacement, avec des aménagements sécurisés pour tous les cyclistes, mais aussi de la pédagogie pour une prise de conscience des automobilistes sur le partage de la voie publique.

    Faire évoluer la loi

    Il nous faut aussi nous interroger collectivement sur nos comportements et sur le modèle de société que nous voulons pour l’avenir de nos enfants. Derrière un simple clic sur l’une de ces plates-formes, c’est un système d’exploitation d’hommes et de femmes précaires, forcés à se soumettre à ce modèle faute d’avoir accès à un emploi juste et sécurisant.

    La loi doit évoluer, des choix politiques forts doivent être faits pour accompagner les transformations de la société tout en garantissant les droits et la protection de chaque citoyen. Nous pouvons soutenir les nouvelles formes d’organisation collectives et entrepreneuriales dans ce secteur, comme les coopératives locales qui émergent.
    Cette société libérale et destructrice que tentent de nous imposer certains pour leur profit ne peut ni ne doit être notre seul horizon. L’ubérisation du travail, la précarité grandissante, la santé et la vie sacrifiée de millions de travailleurs ne sont pas un hasard. Elles sont le fruit de nos choix, individuels et collectifs. A la lumière de la crise du Covid-19 et de la nécessaire humanité et solidarité dont nous devrons faire preuve pour nous relever, il est plus que temps de faire les bons choix.

    Collectif https://fr.scribd.com/document/508457199/Liste-Des-Signataires

    https://www.lemonde.fr/emploi/article/2022/04/27/les-invisibles-elections-professionnelles-des-travailleurs-independants-des-

  • « Les plates-formes doivent prendre leurs responsabilités face à la précarité et la mise en danger de leurs livreurs »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/20/les-plates-formes-doivent-prendre-leurs-responsabilites-face-a-la-precarite-

    La massification de cette activité doit s’accompagner d’une régulation du modèle d’exploitation inhumain de ces plates-formes et d’une protection des livreurs en vertu du droit du travail. En effet, le qualificatif d’« autoentrepreneur » est bien loin de la réalité de leur quotidien. Plusieurs décisions de justice ont déjà permis de faire la lumière sur les pratiques intolérables de ces plates-formes.
    Le lien de subordination

    Car le lien de subordination est avéré entre ces entreprises, leurs algorithmes et les livreurs. Rythme de travail infernal, systèmes de notation, de pénalités infligés par les plates-formes sur des critères de performance et de disponibilité. Voici la « liberté » qu’elles vantent tant. Les verdicts s’accumulent partout et sont sans appel.

    Pas de contrat de travail, aucun droit ni protection sociale, pas de cotisation retraite, chômage, pas de congés, pas d’indemnisation ni couverture des frais médicaux en cas d’accidents hormis de très rares motifs précisés dans les contrats d’assurance des plates-formes.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Allemagne, la concurrence entre les plates-formes de livraison s’intensifie

    Pas de salaire minimum non plus, ni de rémunération pendant les temps d’attente, elle est fixée à la tâche, au nombre de kilomètres parcourus, calculée en toute opacité par les applications. La cadence de travail des livreurs leur est imposée à la fois par les algorithmes des plates-formes, par les exigences d’immédiateté des clients, et par cette forme de rémunération qui leur impose de travailler le plus possible, sans pause ni congé.

    Des contrats de travail doivent être signés, afin de leur donner accès à leurs droits les plus fondamentaux. L’organisation de formations, la dotation en accessoires de sécurité nécessaires (casque, lumières, rétros, sonnette, manteau réfléchissant, etc.) doivent devenir des obligations légales.

    Un travail important doit également être mené au niveau des collectivités sur l’adaptation de l’espace public à tous les modes de déplacement, avec des aménagements sécurisés pour tous les cyclistes, mais aussi de la pédagogie pour une prise de conscience des automobilistes sur le partage de la voie publique.
    Faire évoluer la loi

    Il nous faut aussi nous interroger collectivement sur nos comportements et sur le modèle de société que nous voulons pour l’avenir de nos enfants. Derrière un simple clic sur l’une de ces plates-formes, c’est un système d’exploitation d’hommes et de femmes précaires, forcés à se soumettre à ce modèle faute d’avoir accès à un emploi juste et sécurisant.

    #Livreurs #Droit_travail #Plateformes #Nouvelle_domesticité

  • Darmanin oppose « le bon sens du boucher-charcutier » aux études de victimation | HuffPost
    https://www.huffingtonpost.fr/entry/delinquance-darmanin-oppose-le-bon-sens-du-boucher-charcutier-aux-etu

    [...] le locataire de la place Beauvau [était] interrogé sur les travaux de chercheurs qui, grâce aux études de victimation réalisées par l’Insee, affirment que la délinquance stagne.

    #sans_vergogne