Jérusalem en marge et au coeur des mobilisations palestiniennes

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    Entretien avec l’historien Vincent Lemire
    paru dans lundimatin#289, le 24 mai 2021

    Vincent Lemire est historien, il a notamment dirigé l’ouvrage Jérusalem. Histoire d’une ville-monde (Flammarion, 2016). Depuis la ville sainte, il a accepté de répondre aux questions de Vivian Petit, lui-même auteur de Retours sur une saison à Gaza (Scribest, 2017), afin de nous éclairer sur le contexte historique et politique des luttes palestiniennes autour du quartier de Sheikh Jarrah et au-delà.

    (...) Une série de manifestations a eu lieu en Cisjordanie, puis une grève générale, mardi dernier, le 18 mai. Tu peux en parler ?
    Il faut d’abord rappeler que la grève générale est un support de mobilisation extrêmement ancien et fondateur en Palestine, qui remonte à la première Intifada de 1936. Je le dis parce que ça m’a frappé ici, y compris parmi mes interlocuteurs israéliens bien au fait des précédents historiques, certains se demandaient pourquoi il y avait une grève générale, à quoi cela pouvait servir. On est dans le cas d’une grève qui vise effectivement à exprimer sa solidarité, de façon simple et visible, et qui vise aussi à libérer les forces et les énergies pour pouvoir éventuellement aller au contact avec les forces de sécurité israélienne. Et c’est aussi un appel à la grève qui, comme dans un contexte syndical, permet de « prendre la température » d’une population, de façon très immédiate. Et pour le coup cette journée de grève a été extrêmement impressionnante, notamment en Cisjordanie dans les zones A qui sont sous le contrôle total de l’Autorité Palestinienne. Il y a eu des affrontements importants, qui ont fait plusieurs morts côté palestinien. La grève a aussi été importante à Jérusalem, même les Palestiniens qui travaillent à Jérusalem-ouest n’étaient pas à leur travail ce jour-là. Et puis également en Israël, où les Palestiniens ont participé à la grève assez massivement, dans les hôpitaux, les écoles, les transports publics.

    Ça été un choc pour les observateurs israéliens, et on perçoit ici une intelligence tactique du Fatah, car la grève générale est un levier qui fait appel à une mémoire militante extrêmement forte, qui peut être repris par tout le monde et décliné sous différentes formes. On peut faire grève pour aller au check-point de Qalandia affronter les soldats israéliens, comme on peut faire grève pour gêner ses employeurs israéliens et leur montrer qu’on reste Palestinien malgré tout. Il y a plein de façons de se mettre en grève, et surtout ça a permis, in extremis, à la galaxie du Fatah d’afficher des formes de solidarité inter-palestiniennes au-delà des différences de statuts, de conditions socio-politiques et socio-économiques, générationnelles, idéologiques, territoriales, ce que le Hamas avait aussi tenté mais de façon plus brutale et plus grossière avec ses tirs de roquettes du lundi 10 mai au soir . (...)