• « C’est vrai que l’on se sent coupable et égoïste de partir, mais tout régresse » : la Tunisie affaiblie par une hémorragie de médecins
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/06/01/c-est-vrai-que-l-on-se-sent-coupable-et-egoiste-de-partir-mais-tout-regresse

    « C’est vrai que l’on se sent coupable et égoïste de partir, mais tout régresse » : la Tunisie affaiblie par une hémorragie de médecins. La dégradation du système de santé publique pousse toujours plus de praticiens à l’exode vers la France et l’Allemagne, ce qui complique la gestion de la pandémie. Le thème doit être abordé lors de la visite de Jean Castex à Tunis les 2 et 3 juin. En pleine pandémie, Narjes Soua, médecin tunisienne, a posé ses valises en Ardèche méridionale pour travailler en tant que stagiaire associée avant d’obtenir le concours d’équivalence. « C’était très rapide, j’ai commencé ma procédure de départ en août 2020. J’ai eu un contrat assez facilement parce qu’il y a une grande demande de soignants en France », explique la jeune femme de 29 ans, qui est arrivée dans l’Hexagone en octobre, après avoir soutenu sa thèse en Tunisie et fini ses années de stage.Ce départ à l’étranger était un projet de longue date. Au début, il s’agissait d’acquérir « une expérience différente ». Aujourd’hui, Narjes Soua l’envisage plus comme une installation sur le long terme. « C’est très difficile pour moi de savoir si je reviendrai travailler dans mon pays un jour. Nous n’avons aucune perspective d’avenir en Tunisie avec les salaires qu’on nous propose, et la qualité de vie n’est plus la même. Je me sens plus libre ici », confie-t-elle. Maamoun Khamassi, médecin En Tunisie, près de 80 % des jeunes inscrits à l’ordre des médecins ont fait une demande de radiation et sont partis à l’étranger en 2020. Entre 700 et 800 praticiens quittent le pays chaque année, et leur nombre ne fait qu’augmenter. Cette fuite des cerveaux vers la France ou l’Allemagne s’est banalisée pour les nouveaux diplômés, en souffrance face aux salaires proposés dans le secteur public, autour de 1 200 dinars, soit 360 euros par mois (pour un revenu minimum tunisien de 120 euros).« Pendant la pandémie, j’ai préféré travailler bénévolement aux services du SAMU plutôt qu’à l’hôpital, tellement je trouvais ça ridicule d’être payé ce prix-là, lorsqu’on enchaîne les gardes et que l’on est exposé au virus », explique Maamoun Khamassi, 34 ans, lui aussi débarqué en Ardèche, il y a deux mois.
    L’arrivée du Covid-19 en Tunisie a accentué l’effet de loupe sur les défaillances du système de santé publique, pointées du doigt par les soignants depuis des années. « La plupart des recrutements sont bloqués à cause de l’endettement de l’Etat et, lorsqu’on recrute, les contrats sont très précaires et ne fournissent même pas une couverture santé en cas de Covid, considéré comme une maladie professionnelle seulement pour les salariés », explique Ridha Dhaoui, président de l’ordre des médecins de Tunisie.
    « Il est arrivé qu’en plein Covid-19 nous ayons des lits de réanimation, mais sans le personnel nécessaire pour s’en occuper. » Ahlem Belhadj, secrétaire générale du Syndicat des médecins. Ce chirurgien appartient à la génération partie en France pendant sa jeunesse pour enrichir son expérience, avant de revenir exercer en Tunisie. Aujourd’hui, cette mobilité est plus compliquée. D’abord parce que de nombreux professionnels ne souhaitent plus rentrer au pays, découragés par les conditions de travail. En décembre, la mort de l’un d’entre eux après une chute dans une cage d’ascenseur, en panne, dans un hôpital régional, avait suscité la colère et incité les jeunes médecins à descendre dans la rue. Signe que leur statut social s’est dégradé, « les violences de certaines familles de patients se sont multipliées dans les urgences, nous n’avions pas cela il y a dix ans », rappelle Ridha Dhaoui.
    Autre préoccupation, l’impossibilité de la bi-appartenance, un médecin inscrit à l’ordre tunisien ne peut pas exercer en France, et inversement lorsqu’il s’inscrit en France. Un problème pour les anesthésistes et les réanimateurs, l’un des plus gros contingents de l’exode. « Je connais certains médecins de cette spécialité qui font des cycles de garde en France sur quelques mois et qui pourraient revenir exercer dans le public en alternance en Tunisie s’ils en avaient la possibilité », ajoute Ridha Dhaoui, qui estime que cette mobilité pourrait pallier les nombreux départs.
    Douloureux dilemme. De son côté, Ahlem Belhadj, pédopsychiatre et secrétaire générale du Syndicat des médecins, plaide pour la négociation d’accords bilatéraux entre les deux pays, « afin de lutter contre l’hémorragie, sans limiter les libertés individuelles de nos jeunes ». Cet exode a de lourdes conséquences en Tunisie. Et la crise sanitaire n’a rien arrangé. « Il est arrivé qu’en plein Covid-19 nous ayons des lits de réanimation, mais sans le personnel nécessaire pour s’en occuper », poursuit Ahlem Belhadj. Si bien que le gouvernement a été contraint en 2021 d’augmenter de 13 % le budget du ministère de la santé et d’annoncer le ­recrutement de près de 300 médecins. Pour Maamoun Khamassi qui s’acclimate progressivement à son travail dans le service des urgences d’un centre hospitalier régional français, le dilemme est toujours présent. « C’est vrai que l’on se sent coupable et égoïste de partir parce que l’on sait que l’on a besoin de nous, mais tout régresse en Tunisie. Un jeune médecin passe son temps à faire le travail de cinq personnes en même temps, c’est un gaspillage d’énergie. »
    La France ne représente pourtant pas toujours la panacée pour les expatriés tunisiens, qui doivent patienter de longues années avant de pouvoir s’inscrire à l’ordre français et espérer un salaire supérieur à 3 000 euros. Le statut des 5 000 médecins diplômés hors de l’Union européenne et travaillant aux services des urgences et de réanimation des établissements publics français, dont les salaires sont souvent inférieurs à ceux de leurs homologues français, avait été dénoncé à plusieurs reprises au cœur de la crise sanitaire. Mais ces contraintes ne découragent pas les plus jeunes. « Je pense rentrer un jour avec un projet, mais c’est tributaire de l’amélioration de la situation en Tunisie. Le départ n’est jamais une décision facile », conclut Sleh Chehaibi, urgentiste installé en France depuis plusieurs années. Son hôpital a recruté huit Tunisiens cette année.

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  • « En déléguant le contrôle de ses frontières à des pays voisins, l’Europe encourage le “chantage migratoire” »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/29/en-deleguant-le-controle-de-ses-frontieres-a-des-pays-voisins-l-europe-encou

    « En déléguant le contrôle de ses frontières à des pays voisins, l’Europe encourage le “chantage migratoire” ». L’immigration constitue l’arme ultime des pays du Sud, « un atout entre les mains des faibles pour faire pression sur les puissants ». L’UE doit imaginer des mécanismes de régulation pour ne pas être à la merci d’Etats sans grand scrupule, souligne Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique. Derrière chaque immigré, il y a un émigré dont les origines bousculent l’ordre national du pays d’accueil. En s’exilant, aucun être humain ne fait une croix sur sa vie passée, a analysé subtilement le sociologue Abdelmalek Sayad dans La Double Absence (Seuil, 1999). A l’échelle collective, les migrations ne concernent pas seulement les pays de destination ; elles sont avant tout une réalité internationale mettant en jeu des rapports de force géopolitiques.
    Le Maroc, en ouvrant soudainement sa frontière avec l’enclave espagnole de Ceuta, lundi 17 mai, laissant filer vers l’Union européenne (UE) quelque 8 000 de ses ressortissants, souvent très jeunes, pour faire pression sur Madrid à propos du Sahara occidental, a mis en lumière cette réalité trop souvent occultée : l’immigration constitue l’arme ultime des pays du Sud, un atout entre les mains des faibles pour faire pression sur les puissants. Non seulement les hommes peuvent être chassés de chez eux par les guerres, les persécutions et la pauvreté, attirés par les lumières des pays nantis, mais ils constituent autant de pièces sur l’immense échiquier des relations diplomatiques.
    Cette réalité n’est pas nouvelle. En 1980, Fidel Castro avait mis dans l’embarras le président américain Jimmy Carter en ouvrant les vannes de l’émigration au port de Mariel, provoquant un afflux incontrôlé de migrants, parmi lesquels de nombreux délinquants libérés de prison pour l’occasion par les autorités. Et, depuis plusieurs décennies, la pression migratoire des pays latino-américains constitue un enjeu central des relations entre le Mexique et les Etats-Unis et de la vie politique américaine.
    En Europe, le « chantage migratoire » a pris une dimension courante avec la construction de l’espace Schengen, où la libre circulation a pour corollaire le contrôle strict des frontières extérieures. Depuis les années 1990, la politique européenne d’« externalisation » a consisté à reporter ce contrôle sur les pays voisins, singulièrement ceux du Maghreb et, plus récemment, la Turquie. L’Union européenne sous-traite aux Etats qui la bordent la charge d’empêcher l’entrée de migrants illégaux. En contrepartie, elle finance des installations de surveillance, des centres de rétention et de garde-côtes, elle octroie des facilités en matière de visas pour les ressortissants des pays en question, exige la signature d’accords les obligeant à réadmettre les illégaux et le durcissement de leur législation sur l’immigration.
    Sous la pression de l’UE, plusieurs Etats africains ont été amenés à considérer comme un délit le fait de quitter leur sol. Le « droit de quitter tout pays y compris le sien », considéré comme fondamental du temps où l’URSS le bafouait, n’a pas résisté au rapport de force inégal entre l’Afrique et l’Union européenne. Il est pourtant inscrit à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Alors que l’UE incite de fait à le relativiser, ce droit est aussi consacré par la Convention européenne des droits de l’homme.Ainsi, en déléguant le contrôle de ses frontières, l’Europe encourage-t-elle l’exercice de ce « chantage migratoire » qui la vise. Des hommes forts au pouvoir aux abords de l’UE ont su et savent user et abuser du pouvoir que leur donne ce rôle de gendarme. Mouammar Kadhafi a longtemps excellé à ce jeu tragique, bloquant l’embarquement de migrants des côtes libyennes ou, au contraire, encourageant des départs massifs, selon l’état de ses relations avec l’UE, en particulier l’Italie. En 2010, un an avant sa chute, le dictateur libyen avait réclamé « au moins 5 milliards d’euros par an » à l’UE pour « éviter une Europe noire ». En mars 2020, le président turc, Recep Tayyip ­Erdogan, a manipulé les migrants en prétendant que la frontière de l’UE était ouverte, afin d’obtenir la renégociation de l’accord de 2016 aux termes duquel Ankara s’engageait à barrer la route de l’Europe aux réfugiés syriens, moyennant 6 milliards d’euros.En refusant de délivrer les « laissez-passer consulaires » indispensables au retour des migrants illégaux reconduits à la frontière, les pays d’origine disposent d’un autre levier. Ce refus de réadmettre les sans-papiers est l’une des principales raisons pour lesquelles seules 30 % des décisions de reconduite prises dans l’Union sont exécutées. La coopération en matière de renseignement antiterroriste est une autre monnaie d’échange.Le grand marchandage des migrations ne fait que commencer. Les pays du pourtour de la Méditerranée en connaissent les effets potentiellement délétères sur les sociétés européennes (raidissement des opinions, montée de l’extrême droite) et sur l’UE elle-même, amenée à malmener ses propres principes. Les tensions économiques et sociales exacerbées par le Covid-19 alliées aux faibles contrepoids démocratiques expliquent pourquoi un pays comme le Maroc, à l’instar d’Etats subsahariens, peut inciter sa jeunesse à risquer sa vie en Méditerranée.
    Si l’Europe veut éviter de se trouver à la merci des politiques de certains Etats sans grand scrupule, elle doit imaginer des mécanismes permanents et solidaires de régulation des migrations qui lui permettent de rester fidèle à sa tradition d’ouverture et d’asile. Inquiétante à cet égard apparaît la grande panne du « pacte pour l’immigration » présenté comme un compromis acceptable par les Vingt-Sept. A la fois forteresse et incapable de gérer de façon cohérente les entrées comme les sorties, l’UE est enferrée dans une impasse migratoire.Si les migrants représentent une richesse sur bien des plans, ce sont aussi des enjeux diplomatiques. Une politique humaine à leur égard ne peut ignorer qu’ils peuvent être victimes non seulement de persécutions et de la pauvreté, mais aussi du cynisme et du mépris des dirigeants de leur pays ou de ceux qu’ils traversent. Philippe Bernard

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  • Air Algérie va reprendre ses vols vers quatre pays, dont la France
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/25/air-algerie-va-reprendre-ses-vols-vers-quatre-pays-dont-la-france_6081365_32

    Air Algérie va reprendre ses vols vers quatre pays, dont la France. Après une suspension de plus de quinze mois en raison de la pandémie de Covid-19, trois liaisons hebdomadaires avec Paris et Marseille seront assurées à partir du 1er juin.
    Le 1er juin, Air Algérie va reprendre progressivement ses vols à destination de quatre pays après une suspension de plus de quinze mois en raison de la pandémie de Covid-19, a annoncé, lundi 24 mai, un communiqué des services du premier ministre diffusé par l’agence APS. « Trois vols hebdomadaires de et vers la France seront assurés » à partir du 1er juin par la compagnie algérienne, à raison de deux vols de/vers Paris et un vol de/vers Marseille, en plus d’un vol hebdomadaire qui sera assuré de/vers la Turquie (Istanbul), l’Espagne (Barcelone) et la Tunisie (Tunis), selon le texte.
    Plusieurs millions d’Algériens de l’étranger ont dû composer avec la fermeture des frontières et la suspension des vols commerciaux et des liaisons maritimes décidées le 17 mars 2020. Depuis, les autorités ont organisé des vols de rapatriement pour leurs ressortissants, sous conditions, mais ces derniers ont été suspendus le 1er mars en raison de l’apparition du variant anglais, fin février, en Algérie.
    Les autorités avaient indiqué le 18 mai que les frontières terrestres resteraient fermées alors que les liaisons aériennes reprendraient, elles, à partir du 1er juin. Les frais de confinement et de dépistage à l’arrivée seront à la charge des passagers, qui devront s’en acquitter avant l’embarquement. Un confinement de cinq jours sera obligatoire dans un des hôtels désignés par les autorités. En cas de test positif après ce confinement, le passager devra payer un second séjour de cinq jours à l’hôtel. Auparavant, les personnes rapatriées étaient entièrement prises en charge par l’Etat dans les hôtels. Le communiqué ne précise pas pourquoi le nombre de vols est passé à six par semaine alors que les autorités avaient annoncé la semaine dernière que la reprise des liaisons aériennes se ferait avec cinq vols quotidiens. Plus de 3 500 décès et près 127 000 cas ont été recensés en Algérie depuis le premier cas de Covid-19, détecté le 25 février 2020.

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