• Pénurie et flambée des prix : la filière bois au bord de la crise de nerfs
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/05/26/penurie-et-flambee-des-prix-la-filiere-bois-au-bord-de-la-crise-de-nerfs_608

    Le marché est soumis à de fortes tensions. A la clé, des délais d’approvisionnement qui s’allongent et des chantiers retardés.

    Ce qui devait être un simple appel pour s’assurer que la commande passée en février d’un millier de panneaux de particules était bien livrée le lendemain a été une nouvelle déconvenue pour Christophe Bonnin, qui codirige, avec sa sœur Karine Bouhier, Les Charpentiers de l’Atlantique, une entreprise spécialisée dans le gros œuvre en bois. « Vous n’êtes pas au courant ? On a supprimé toutes les commandes. On alloue maintenant des lots par pays, et aux commerciaux de chaque secteur », s’est entendu répondre, le 20 mai, celui qui composait déjà, depuis janvier, avec des délais d’approvisionnement passés d’un à quatre mois pour certaines poutres.

    Quant au deuxième camion, attendu en juillet pour démarrer le chantier d’une école et d’une crèche dans le sud des Hauts-de-Seine, il a aussi été annulé, a répondu l’usine luxembourgeoise. « Je vais chercher des matériaux de remplacement, mais ce sont les mêmes fabricants, ils sont débordés », poursuit Christophe Bonnin. Et c’est sans compter la hausse des prix. Avec sa sœur, ils s’attendent à des surcoûts de 10 % sur certaines opérations, quand leurs marges n’étaient que de 3 % ou 4 %. « Mais cela, on ne regarde même plus. On est prêts à tout acheter pour ne pas retarder les chantiers. »
    Dans le petit milieu qu’est celui du bois, les anciens, souvent à la tête d’entreprises héritées du père ou du grand-père, sont formels : les tensions que rencontre actuellement le secteur et les conséquences sur les chantiers sont sans précédent. « En 1974, au moment du choc pétrolier, les prix avaient augmenté de 30 %. Mais jamais je n’ai vécu une telle crise », observe Luc Charmasson, 74 ans, président du Comité stratégique de la filière bois, qui confie ne « même plus savoir comment conseiller [s]on fils Thomas », qui dirige le groupe Gipen-Roux.

    Un effet Covid-19
    Ce n’est pas la ressource en forêt qui manque, précisent d’emblée les scieurs, constructeurs et promoteurs. Tous redoutent que cette crise, « conjoncturelle » – insistent-ils –, freine l’engouement pour un matériau qui, rappellent-ils, répond aux impératifs de réduction de l’empreinte carbone des bâtiments. Mais la chaîne de production du bois est indéniablement grippée et pourrait l’être encore plusieurs mois, reconnaissent-ils.
    « En 1974, au moment du choc pétrolier, les prix avaient augmenté de 30 %. Mais jamais je n’ai vécu une telle crise », Luc Charmasson, président du Comité stratégique de la filière bois […]

    #paywall

    dans la partie visible, rien sur la ou les causes…
    dans le bâtiment, on évoque la spéculation

    • peut-être aussi, des anticipations sur une future interdiction par la Russie d’exportation de troncs bruts et l’appétit chinois pour le bois de construction …
      (article de novembre 2020)

      Russia plans to implement log export ban by 2022 - Wood Business
      https://www.woodbusiness.ca/russia-plans-to-implement-log-export-ban-by-2022

      Softwood log exports from Russia have been in steady decline for the past 15 years and could reach zero in 2022 if President Putin’s new log export ban is implemented

      In a recent statement, Russian president Vladimir Putin ordered the government to strictly control the exportation of roundwood and low-value forest products, and to clamp down on the illegal trade of logs (in his terms: “hard-hitting decriminalization of the industry”).

      He also requested a “complete ban on shipments of unprocessed or roughly processed conifer and valuable hardwood out of Russia by January 1, 2022.

      This statement would indicate that lower-value hardwood logs, such as birch pulplogs exported to Finland, may be excluded from the future export ban.

      To encourage domestic processing of Russian timber, Putin also wants to implement a government program of subsidized loans for investing in wood processing facilities, primarily in Siberia and Russia’s Far East, targeting the growing wood markets in Asia.

      These industry loans would be available for facilities producing lumber and panels, and pellet manufacturers which predominantly use small-diameter logs for their wood furnish.

      If the log ban is enacted, it will be the end of Russia’s long-lasting role as one of the world’s largest exporter of softwood logs. Over many decades, the country exported large volumes of wood raw-material, predominantly to forest products manufacturers in Asia and Europe.

      Softwood log export volumes peaked at 37 million m3 in 2006, but when log export tariffs were implemented in 2008, shipments fell dramatically and were down to only 8.5 million m3 in 2019.

      This year, the decline has continued and only an estimated six million m3 is likely to be exported, according to the Wood Resource Quarterly. A majority of the shipments have gone to China (about 75 per cent) and Finland (10 per cent) in the first half of 2020.

      Russian hardwood log exports have fluctuated between 7-8 million m3 the past five years but are likely to fall in the next two years if higher-value logs such as oak and ash are banned for exports.

      China has sourced about 10-12 million m3 of softwood and hardwood logs annually from Russia for the past five years. Subsequently, the log export ban will substantially impact the future sourcing of both wood raw-material and processed products to China, a potentially troublesome scenario due to their outlook for increased consumption of forest products.

    • Comme pour les autres matériaux, il y a eu, bien sûr, un effet Covid-19. La mise à l’arrêt des scieries et des usines de transformation a fait chuter la production mondiale. Mais personne n’avait anticipé une reprise aussi forte et rapide. La demande est d’abord venue des Etats-Unis. Les milliards injectés dans l’économie par les présidents Trump et Biden ont dopé la #construction comme jamais. « Au printemps, on a atteint un niveau supérieur à celui de 2019, lorsque la mise en chantier de logements était remontée à 1,5 million, voire 1,6 million de logements, détaille Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à l’université Paris-Dauphine. Cela nous ramène à des niveaux qu’on n’avait pas connus depuis 2007. » Or, aux Etats-Unis, 80 % des maisons individuelles sont en bois.

      Cette demande subite, conjuguée à des stocks encore trop faibles, a fait s’envoler les cours sur le marché à terme de la Bourse de Chicago. Habituellement, les prix du lumber, le bois d’œuvre, oscillent entre 300 et 500 dollars (entre 245 et 408 euros). Ils ont été multipliés par quatre. On parlait déjà de record, à l’été 2020, quand les 1 000 pieds-planche (2,36 m3) approchaient la barre des 1 000 dollars, atteinte en décembre. Mais cet hiver, un pic a même été enregistré à 1 600 dollars, avant que la courbe ne se stabilise autour des 1 200 dollars. « Les importateurs américains se sont branchés sur le marché européen » , poursuit M. Chalmin, et ont acheté du résineux aux pays scandinaves, à l’Allemagne et à l’Autriche.

      De multiples conséquences en bout de chaîne

      Dans le même temps, la demande a aussi grimpé en France. Elle n’est pas seulement due à cette passion soudaine des cafetiers pour les terrasses en palettes. Les Français confinés ont voulu surélever leur maison, aménager des espaces extérieurs. Les scieurs, ils sont plus d’un millier, qui s’approvisionnent sur la forêt française – la quatrième d’Europe en termes de surface –, ont tenté de suivre. Mais même en faisant travailler les équipes le samedi, en annulant des vacances, la capacité de l’outil de production stagne à 120 % et ne suffit pas à couvrir les besoins d’un marché auquel manque aussi une partie des stocks partis outre-Atlantique. Les scieurs français ont dû faire des choix : « On a réduit nos exportations pour privilégier le territoire national » , explique Jean Piveteau, le président du groupe vendéen du même nom. Et, reconnaissent-ils, les clients qui soutenaient le bois français ont été servis les premiers.

      En bout de chaîne, où les livraisons et même les prix ne sont plus garantis, les conséquences sont multiples. La situation pour les entreprises devenait si délicate que, sous la pression de la Fédération française du bâtiment, le gouvernement a demandé, le 20 mai, à l’Etat, de montrer l’exemple en n’appliquant pas de pénalités lorsque le retard est lié « aux envolées des prix des matières premières ou aux pénuries d’approvisionnement » . Les collectivités sont invitées à faire de même. Pour le privé, c’est une autre histoire. Quant aux prix, « on commande sans connaître le montant, et pour des contrats conclus avec les chiffres de 2020, détaille Thomas Charmasson. Or, pour des sociétés comme la nôtre, la matière première représente 35 % à 40 % de la vente globale d’un bâtiment. »

      Une compétition accrue

      La décision prise par la Russie, le deuxième exportateur mondial de bois, d’interdire, dès 2022, l’exportation de certaines essences de grumes – les troncs bruts –, n’arrange rien au tableau et ne fait qu’accroître la compétition autour d’une ressource mondialement chassée. Un négociant lituanien ambitionne d’acheter les lots d’une des plus grandes ventes annuelles de résineux de l’Office national des forêts pour les envoyer en Chine.

      Tout cela plaide pour une meilleure structuration de la filière. Le mouvement est enclenché. Début mai, Bouygues Bâtiment signait un contrat-cadre avec le groupe vendéen Piveteaubois, roi du résineux, pour sécuriser son approvisionnement en panneaux pour plus de deux années à venir. Bpifrance, la banque publique d’investissement, est, elle, sur le point d’annoncer que son objectif de réunir 75 millions d’euros pour lancer son nouveau fonds de soutien aux industriels du #bois est déjà largement atteint.