• Levothyrox : les experts judiciaires éreintent Merck et les autorités sanitaires
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/28/levothyrox-les-experts-judiciaires-ereintent-merck-et-les-autorites-sanitair


    Aurel

    Selon le rapport d’expertise demandé par le tribunal de Marseille, le changement de formule du médicament a été insuffisamment évalué et l’Agence nationale de sécurité du médicament était consciente d’un problème potentiel, dès septembre 2017.

    Pertes de mémoire, chute de cheveux, troubles digestifs sévères, migraines invalidantes, asthénie et fatigue chronique… Au printemps 2017, dans les semaines qui suivent le changement de formule du Levothyrox par son fabricant, le laboratoire Merck, le système français de pharmacovigilance enregistre des dizaines de milliers d’événements indésirables.

    Crise sanitaire ? Défaut d’évaluation de la nouvelle version du traitement commercialisé auprès des malades de la thyroïde ? Des mois durant, médecins leaders d’opinion et autorités ont attribué ces troubles à un effet nocebo, généré par l’anxiété liée au changement de formule du médicament.

    Quatre années plus tard, les experts commis par le tribunal de Marseille, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 2 mars 2018 pour blessures involontaires et mise en danger d’autrui – élargie un an plus tard au chef d’homicide involontaire –, font valoir une tout autre histoire. Révélé par le site Les Jours, leur rapport d’expertise, que Le Monde a pu consulter, liste une série de failles réglementaires et de graves manquements du laboratoire Merck et des autorités sanitaires, tous de nature à expliquer certains des effets indésirables liés au changement de formule.

    Pis : selon le rapport, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) était consciente, dès septembre 2017, d’un problème potentiel. Le gendarme du médicament n’a pourtant pris aucune mesure corrective, ni même reconnu, dans les mois suivant, la possible origine pharmacologique des troubles déclarés par les patients.

    Les conditions de fabrication varient
    Le rapport note d’abord que les conditions de fabrication du médicament varient selon les sites de production. « Les conditions opératoires de fabrication enregistrées pour une production industrielle sur le site de Merck Darmstadt [en Allemagne] et sur le site de fabrication situé en Espagne [Famar Healthcare Services, Madrid] sont différentes », expliquent les quatre experts, des universitaires spécialistes de galénique, de pharmacocinétique ou de chimie analytique. Granulation des comprimés, température de séchage, renouvellement de l’air, etc. : « Il est évident dans le cas présent que, si ces différents paramètres critiques ne sont pas rigoureusement reproduits d’un lot à l’autre, écrivent les experts, la vitesse de libération de la lévothyroxine [le principe actif] pourrait s’en trouver modifiée. »

    Le changement d’excipient opéré sur la nouvelle formule est aussi critiqué. Le retrait du lactose et son remplacement par un mélange de mannitol et d’acide citrique devait, selon le dossier soumis par Merck, permettre « l’obtention d’un médicament plus stable et qui présenterait la même efficacité thérapeutique ». Les experts s’inscrivent en faux, et citent plusieurs études démontrant l’exact inverse.