Gigantisme des navires : le regard des armateurs - Mer

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  • Trafic maritime : comment éviter les catastrophes - Mer - Le Télégramme
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    Le 23 mars dernier, l’Ever Given se met en travers du Canal de Suez, bloquant une centaine de bateaux sur cet axe commercial hyper fréquenté. Il faudra sept jours pour réorienter le gigantesque porte-conteneurs et trois jours de plus pour désengorger le canal.
    Photo EPA

    Et si l’Ever Given s’était échoué au passage du rail d’Ouessant ou dans le détroit du Pas-de- Calais ? Surveillance, intervention, réglementation : comment les gendarmes de l’autoroute maritime la plus fréquentée au monde anticipent ce risque.

    Le 23 mars, lorsque l’Ever Given s’échoue au beau milieu du canal de Suez, les risques induits par le gigantisme des navires sautent aux yeux du grand public. Arrivant de Chine, ce porte-conteneurs taïwanais de 400 mètres de long, lancé en 2018, était chargé de 20 000 boîtes à destination de Rotterdam (Pays-Bas). Annoncé au port hollandais le 31 mai par le site MarineTraffic, il est encore retenu par les autorités égyptiennes (), qui viennent de revoir à la baisse le montant (550 millions de dollars) des dommages et intérêts réclamés à l’armateur et à ses clients.

    *L’Ever given suivi à la trace dans le rail d’Ouessant
    Les autorités françaises guettent le moment où se dénouera le différend. Elles ont l’intention de suivre à la trace l’Ever Given dès qu’il pointera en vue du rail d’Ouessant (29), la porte d’entrée obligatoire dans la Manche. Aussitôt, il sera pisté par le Cross Corsen, à la pointe du Finistère, puis par le Cross de Jobourg, au Cap de la Hague, et enfin, par celui de Gris-Nez, à l’extrémité du Pas-de-Calais. Leurs opérateurs croiseront les données de l’AIS du navire (son système d’authentification automatique par radio), avec les images de leurs radars, voire les informations émanant des sémaphores côtiers, où l’on scrute aussi la mer à la jumelle.

    75 000 navires par mois en Manche
    Ce réseau de vigies interconnectées surveille en permanence la navigation sur l’autoroute des mers la plus chargée du globe. Un quart du trafic mondial transite en Manche. Ce flux de 75 000 navires par mois doit cohabiter avec la centaine qui assurent quotidiennement les liaisons transManche, avec les pêcheurs aux routes erratiques par nécessité (800 unités répertoriées) et, aux beaux jours, avec les plaisanciers.

    Les conditions sont souvent délicates. Les courants de marées sont les plus importants d’Europe. Les vents dominants d’Ouest/Nord-Ouest, forts un tiers de l’année, poussent les navires vers les côtes françaises, où fleurissent les parcs d’éoliennes marines : cinq sont en cours d’installation et un sixième en projet.

    Préfet maritime de la Manche, le vice-amiral Philippe d’escadre Dutrieux, exerce son autorité du Mont Saint-Michel à la frontière belge : « Avec l’Ever Given, nous serons vigilants, prêts à réagir. Mais nous ne sommes pas particulièrement inquiets. Nous voyons déjà passer des plus gros navires. Le porte-conteneurs CMA-CGM Jacques Saadé, présent au Havre en janvier, emporte 23 000 boîtes ».

    Cela fait dix ans que les « gendarmes » français de cette autoroute liquide réfléchissent aux impacts du gigantisme sur la sécurité, assure le capitaine de frégate Raphaël Fachinetti. Il est le patron du Centre d’expertise des pratiques de lutte anti-pollution (CEPPOL), implanté à Brest, référent de la Marine nationale pour la lutte anti-pollution, l’assistance aux personnes et aux navires en difficulté. L’officier explique : « L’augmentation du tonnage allant de pair avec le renouvellement des flottes, nos interventions sont moins fréquentes. En revanche, les avaries se sont complexifiées. Pour le remorqueur Abeille Bourbon, que l’on pré-positionne dans les parages d’Ouessant, il faudra peut-être quatre à cinq heures, par mer formée, pour installer une remorque sur un très gros navire. Cela laisse en définitive assez peu de marge avant l’échouement ».

    189 avaries au large du Finistère en 2019
    En 2019, dernières statistiques connues, 189 avaries ont été signalées sur les gros navires au large du Finistère, un tiers de moins qu’en 2018. Cela a donné lieu à un remorquage, deux escortes et trois missions à bord des équipes d’évaluation et d’intervention du CEPPOL. Résultat des études menées, la France porte auprès de l’Organisation maritime internationale (OMI) une résolution obligeant tous les gros navires à imiter les supertankers qui disposent d’un mécanisme de prise en remorque simplifié et capable de résister par mauvais temps (8 mètres de creux, 50 nœuds de vent). Sans plus attendre, CMA-CGM, le troisième armateur mondial, a décidé d’équiper ses mastodontes. Les assureurs ont le pouvoir d’amplifier le mouvement, souligne le CEPPOL. Frappés d’obsolescence, deux des quatre remorqueurs Abeille d’assistance et d’intervention affrétés par la Marine Nationale seront enfin remplacés, en 2023, par des unités capables de tracter les géants des mers et recueillir 300 personnes. Pour cette façade maritime, l’Abeille Languedoc, basé à Boulogne, est concerné.

    L’amiral Dutrieux, qui supervise régulièrement des mises en situation pour éprouver le dispositif général de sécurité, explique qu’une « évolution de la réglementation dans le sens de davantage de transparence dans les chargements est nécessaire car si avant d’intervenir, nous connaissions plus vite la nature des cargaisons, notamment celle des conteneurs, nous gagnerions en efficacité ».

    Les pourparlers entre l’Autorité du canal de Suez (SCA) et le propriétaire de l’« Ever Given » au sujet d’une indemnisation n’avancent pas. La semaine dernière, un tribunal égyptien a confirmé l’immobilisation du navire.

    *Capacités d’interventions ? : notre assurance contre des préjudices sans prix
    Basé à Brest, le remorqueur de haute mer Abeille Bourbon avait réalisé, en mars 2013, un exercice de remorquage avec le porte-conteneurs géant Marco Polo, de la compagnie CMA CGM.
    Dans la nuit du 3 au 4 mai, dans les eaux britanniques, à l’entrée de la voie descendante du rail des Casquets, le câble reliant le remorqueur grec Christos XXIV au Varzuga, un pétrolier russe désarmé, se brise. Le vent souffle à 120 km/h, la mer est formée. Aussitôt, le Varzuga dérive vers l’est en direction des côtes françaises. Le Prémar de Cherbourg met alors en demeure le remorqueur de faire cesser le danger, pour 18 h, le 4 mai. Mais l’équipage grec est dépassé. En fin de journée, la météo s’améliorant, la Marine nationale entre en action. Un hélicoptère Caïman dépose une équipe d’intervention à bord afin de récupérer la remorque lancée depuis l’Abeille Liberté. La menace est enfin neutralisée.

    Coopération franco-brittanique
    L’accord de coopération franco-britannique « Mancheplan » organise la coordination des actions de sécurité maritime dans la Manche. Mais seule la France dispose de véritables capacités d’intervention dédiées. La Marine nationale maintient en alerte permanente trois hélicoptères (deux Caïman marine, à Lanvéoc- Poulmic (29) et Maupertuis, et un Dauphin, au Touquet) et trois puissants remorqueurs Abeille (« Bourbon » à Brest, « Liberté » à Cherbourg et « Languedoc » à Boulogne). Ces moyens sont complétés par deux navires anti pollution (à Brest et Cherbourg), capables aussi de tracter des coques de 200 m. Pour le dispositif relevant du Prémar de la Manche, la facture annuelle s’élève à 23 millions d’euros. Un coût à rapporter à celui du préjudice évité grâce ces moyens, souligne l’amiral Dutrieux : « Une étude annuelle conduite dans ma zone de responsabilité montre qu’un euro investi permet en moyenne d’éviter 240 euros de dommages. Concrètement, chaque mois, nous empêchons deux accidents ». Comme en aéronautique, le facteur humain est souvent la cause des incidents à la mer.

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      Le blocage du canal Suez, un grain de sable à l’échelle du trafic maritime. On s’en doute maintenant. L’incident qui a bloqué le canal de Suez du 23 au 31 mars est dû à une combinaison de facteurs. La taille de l’Ever Given n’est pas la seule cause, explique au Télégramme, Antoine Person, le secrétaire général de Louis Dreyfus Armateurs, qui contrôle une flotte de 90 navires. De surcroît, son incidence sur le trafic maritime a été dérisoire à l’échelle du flux planétaire : « En un mois, tout était rentré en ordre. Et si le blocage avait duré, les navires en provenance d’Asie se seraient déroutés au plus tôt vers le cap de Bonne- Espérance, n’allongeant que de sept jours leur route vers l’Europe, l’impact n’aurait pas été durable sur la logistique ».

      La course au gigantisme ne fait pas débat
      « De quoi parle-t-on ? », interroge Antoine Person. « En 2021, les plus gros navires n’atteignent pas la taille des supertankers de la fin des années 1970. Ces géants jaugeaient 550 000 tonnes de port en lourd (Tpl), soit le double d’un Ever Given ». Pour l’expert, tout conduit au gigantisme car il rime avec économies d’échelles. « Grâce à la poussée d’archimède, la taille des navires n’est bridée par aucune limite physique. Or, la tonne supplémentaire transportée sera toujours meilleur marché que la précédente. Les mastodontes sont à la fois les plus économiques et les plus écologiques. Voilà pourquoi augmenter la fiscalité sur les émissions de CO2 des navires inciterait à accroître leur taille ». Seuls des paramètres externes freinent cette évolution. En Europe, en particulier, les ports ne sont pas extensibles à l’infini. Le coût d’assurance lié au naufrage de navires aussi gros peut constituer un frein important.

      La sécurité n’est pas un frein au gigantisme
      Le nombre d’accidents n’a pas varié en dix ans, remarque Antoine Person. Comment l’expliquer ? « Confrontés une équation sécuritaire plus complexe, les acteurs innovent ». La mise en service des géants de la croisière - le dernier né des Chantiers de l’Atlantique, le MSC Virtuosa, transporte 9 000 passagers - est permise par la norme « #Safe_Return_To_Port » (SRTP). Leur évacuation étant devenue inenvisageable, on a préféré miser sur le fait de garantir le retour du navire à quai. Pour ce faire, les sécurités contre les risques d’incendie et de voie d’eau ont été considérablement renforcées. Simultanément, les équipements des nouveaux navires sont à la fois « plus fiables, plus nombreux, plus performants ». Ils réduisent considérablement les risques liés à la navigation, y compris dans les rails étroits et encombrés. Seul le brouillard résisterait encore à la technologie.

      La cybersécurité, le talon d’Achille des géants ?
      La flotte mondiale compte près de 80 000 gros navires. Elle se scinde en deux catégories, explique Antoine Person. Des « deux-chevaux », encore nombreux, qui sont inaccessibles aux cyber-pirates. Mais de plus en plus de « Tesla » bourrées d’électronique, et donc vulnérables. Pour ces navires, il est « du devoir de l’armateur de s’assurer que les équipements sont cyber- protégés ou de limiter les connexions ».