Ou peut-être une nuit : retours critiques | by Leïla | May, 2021

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  • Ou peut-être une nuit : retours critiques | by Leïla | May, 2021 | Medium
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    Les mots choisis, “exclusivement, jamais”, ne faisaient pas simplement de moi une anomalie statistique mais une aberration ; une experte tenait un discours qui annihilait la possibilité même de l’existence de mon vécu. Être ramenée à une parole inaudible par un podcast qui s’efforce justement de briser le silence qui entoure l’inceste, ça tient du tragicomique. Moi qui, lors des premiers épisodes, pensais envoyer le lien vers la série à ma mère… je me suis retrouvée dans l’impossibilité de le faire par peur d’être ramenée encore une fois à une minimisation de ce que j’avais vécu.

    • Si j’ai eu de la haine quotidienne et des souhaits de vengeance pendant des années, cela fait longtemps que ce n’est plus le cas. Mais je crois que, s’il avait été adulte, ou en situation de pouvoir sur moi par ailleurs, mes sentiments auraient sans doute plus difficilement évolué dans cette direction. Quand, en tant que victime, on parle de son inceste, on marque aussi de la honte sociale de l’inceste la personne qu’on nomme comme notre agresseur. Et si je n’avais pas à porter cette honte si longtemps, et si j’aimerais pouvoir m’en débarrasser définitivement, je n’ai aucune envie qu’elle change de camp. Qu’on lui fasse honte ne me soulagera pas de la mienne. Il me semble que le risque que nommer puisse entraîner de la violence est un frein plus grand quand il s’agit de nommer quelqu’un du même âge ou de plus jeune que soi.

    • Pourquoi je dis que ça fait des dégâts psychiques, de penser l’amour et la domination comme mutuellement exclusifs, y compris dans le cadre de l’inceste ? Du côté des victimes, la plupart d’entre elles seront amenées, au cours de leur vie amoureuse et sexuelle, à revivre de la violence. Ce n’est pas juste une condamnation à la répétition de schéma : c’est aussi qu’on vit dans un monde violent entre humain·e·s traumatisé·e·s. Sans pour autant s’y résigner, on peut s’attendre, à des degrés divers, au surgissement de la violence dans les relations. Donc, une personne victime d’inceste qui a intégré ce discours, une personne qui croirait que l’amour et la violence sont mutuellement exclusifs, serait condamnée à relire chacune de ses relations dans laquelle de la violence émergerait comme n’ayant, finalement, pas contenu d’amour. Le genre de pensées, puis d’émotions que ça peut entraîner tendent à ajouter une forte douleur morale aux dégâts déjà importants causés par les violences en elles-mêmes (qu’il s’agisse des violences premières ou de la répétition par la suite, d’ailleurs). “En fait il ne m’aimait pas, je me suis fait avoir depuis le départ” est une pensée qui conduit à miner la confiance d’une personne dans ses ressentis (“tous ces moments où j’ai cru reconnaître et vivre de l’amour dans la relation, je me trompais”) et dans sa capacité de décision. Cela invite l’idée qu’il y a des personnes qui feraient semblant d’aimer mais qu’on est pas capables de détecter (“si je ne sais pas distinguer ce qui est de l’amour ou pas, suis-je condamné·e à vivre dans la peur de me tromper à nouveau ?”). Cela entretient donc un rapport au monde emprunt de méfiance ainsi que de l’hypervigilance, deux symptômes récurrents suite à des expériences d’abus traumatisantes.