Les jeunes paient cher la réforme du calcul de l’allocation logement

/les-jeunes-paient-cher-la-reforme-du-ca

  • Les jeunes paient cher la réforme du calcul de l’allocation logement
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/08/les-jeunes-paient-cher-la-reforme-du-calcul-de-l-allocation-logement_6083288

    Selon une enquête de l’Union professionnelle du logement accompagné, publiée lundi, la part des allocataires de l’APL est passée, entre avril 2020 et avril 2021, de 53 % à 48 %. Le montant moyen de l’aide a, lui, chuté de 7 %, passant de 265 euros à 247 euros par mois.

    La réforme du calcul de l’allocation personnalisée au logement (APL), versée à 6 millions de ménages, est finalement entrée en vigueur le 1er janvier, après moult reports depuis son inscription, sans étude d’impact préalable, dans la loi de finances 2019. Le nouveau calcul se fait sur la base des revenus des douze mois précédents, non plus de ceux de deux ans auparavant, et est réactualisé chaque trimestre.
    Après quelques mois d’application, les associations qui gèrent des résidences sociales dressent un bilan bien négatif d’une réforme qui, selon elles, pénalise surtout les jeunes en voie d’insertion professionnelle.

    Selon une enquête de l’Union professionnelle du logement accompagné (Unafo) – qui gère 140 000 logements en résidences, foyers et pensions – auprès de 13 000 résidents, publiée lundi 7 juin, la part des allocataires de l’APL est passée, entre avril 2020 et avril 2021, de 53 % à 48 % ; le montant moyen de l’aide a, lui, chuté de 7 %, passant de 265 euros à 247 euros par mois, voire 240 euros pour les jeunes.

    « Je n’achète rien et économise sur tout »

    Dès le 1er janvier, Laurent (le prénom a été changé), 24 ans, cuisinier pensionnaire d’une résidence de jeunes travailleurs au Mans, a vu son APL passer, d’un coup, de 372 euros à 179 euros, puis 173 euros : « Elle n’arrête pas de baisser et pourtant mon salaire n’est pas top, entre 800 et 900 euros, car je ne travaille que vingt-cinq heures par semaine, témoigne-t-il. Je dois donc faire attention à toutes mes dépenses. Après avoir payé le loyer, la carte de transports et la nourriture, il ne reste rien pour, par exemple, un vêtement. Quant à louer un appartement en ville, il n’en est pas question. »

    A 21 ans, Maeva enchaîne les petits boulots depuis un an, après avoir traversé des moments difficiles, au chômage et sans ressources : « Avec mon copain, on vivait à Melle [Deux-Sèvres] dans un squat et on se nourrissait avec les invendus des magasins ou les colis d’urgence des associations. Puis, j’ai trouvé cette résidence Habitat Jeunes qui m’a littéralement sauvé la vie. Je gagne, aujourd’hui, 1 500 euros par mois avec des missions d’intérim et j’arrive à surmonter la baisse d’APL, passée de 288 euros à 99 euros. Mais je continue à me nourrir avec les invendus, je n’achète rien et économise tout, car j’angoisse à l’idée de perdre mon boulot », confie-t-elle.

    Quant à Mamady, il est, 35 heures par semaine, agent d’entretien au centre hospitalier universitaire de Montpellier. Ce jeune homme de 22 ans a une compagne et deux enfants, mais pas encore les moyens de prendre un logement autonome pour vivre avec eux sous le même toit : « J’ai un tout petit salaire, pas beaucoup d’aides, dont une APL qui a baissé de 246 à 100 euros. Je donne environ 100 euros par mois à ma compagne pour la nourriture des enfants mais ne peux rien économiser », regrette-t-il.

    « Facteur d’incertitude »

    « Les plus pénalisés sont les jeunes qui commencent à travailler, touchent un revenu entre 800 et 1 300 euros par mois et subissent une baisse d’environ 95 euros, analyse Aude Pinault, chargée de mission auprès de l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj), qui accueille, chaque année, 200 000 jeunes dans 40 000 chambres et a publié, le 3 juin, sa propre étude sur les conséquences de la réforme, menée auprès de 4 000 personnes. Du jour au lendemain, ils ne bénéficient plus du calcul favorable qui, jusque-là, prenait en compte les revenus très faibles des années précédentes et s’appliquait pendant deux ans, assurant une certaine stabilité. »

    « Recalculer l’APL tous les trois mois est un facteur d’incertitude supplémentaire pour des jeunes dont la situation évolue très vite, suivant un parcours qui est loin d’être linéaire, avec des allers et retours entre emploi, études, chômage, apprentissage, stages », observent les auteurs de l’étude de l’Unhaj. « L’aide au logement est plus qu’une aide au paiement du loyer : elle permet concrètement d’accéder à un logement autonome », insistent-ils.

    Conscient des difficultés des jeunes, le gouvernement a, par l’entremise d’Action Logement, débloqué, en février, des aides ponctuelles de 1 000 euros. Mais l’enveloppe de 30 millions d’euros, puis de 50 millions, a été épuisée en quinze jours. « Donner une aide de 1 000 euros d’un coup est moins solvabilisateur que de verser 100 euros chaque mois pendant dix mois et ce n’est, de toute façon, pas un soutien suffisamment pérenne pour construire son avenir », estime Aude Pinault.

    Moins de bénéficiaires

    Les constats de l’Unafo et de l’Unhaj recoupent les statistiques de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé et des solidarités, qui constatait, fin mars, une diminution forte (8,4 %) du nombre de bénéficiaires d’une aide au logement. « La baisse de janvier s’explique par un effet saisonnier habituel, mais elle est plus forte en 2021 en raison de la mise en place de la contemporanéisation [ou calcul en temps réel] de ces aides », détaille son dernier suivi mensuel, publié le 31 mai.

    Julien Denormandie, alors ministre du logement, vantait, en 2019, « une réforme juste, car l’APL va ainsi suivre de près l’évolution des revenus ». Une fois en vigueur, elle permet surtout des économies pour le budget de l’Etat, qui en espérait 1,2 milliard d’euros par an et peut s’attendre, en 2021, à 750 millions d’euros d’économies. L’Unafo et l’Unhaj unissent, elles, leurs voix pour réclamer un calcul forfaitaire plus favorable aux jeunes actifs.

    #logement #Apl