• Le Conseil d’Etat juge illégal le recours à la « technique des nasses » par les forces de l’ordre lors des manifestations
    https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/06/10/le-conseil-d-etat-juge-illegal-le-recours-a-la-technique-des-nasses-par-les-

    Le Conseil d’Etat a annulé, jeudi 10 juin, quatre dispositions phares du schéma national de maintien de l’ordre sur lequel il avait été saisi par plusieurs syndicats et associations. Parmi elles, la très sensible « technique des nasses », utilisées pour encercler des groupes de manifestants. —« Si cette technique peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances précises, elle est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir »—, note le Conseil d’Etat dans son communiqué. « Le Conseil d’Etat annule ce point car rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances », est-il précisé dans le communiqué.

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    S’agissant de la presse, l’instance considère que les journalistes « n’ont pas à quitter les lieux lorsqu’un attroupement est dispersé » et qu’ils n’ont pas « l’obligation d’obéir aux ordres de dispersion » des forces de l’ordre. « Les journalistes doivent pouvoir continuer d’exercer librement leur mission d’information, même lors de la dispersion d’un attroupement. »

    (...) Concernant la technique de la « nasse », dite de « l’encerclement », le ministère a estimé que le Conseil ne l’interdisait pas mais demandait « que les conditions d’emploi soient précisées ». « Le gouvernement va s’y employer », affirme le ministère.

    (...) A Beauvau, on a relevé que la juridiction administrative précisait en outre que les journalistes « ne devaient pas faire obstacle aux forces de l’ordre ».

    #police #maintien_de_l'ordre

    • Maintien de l’ordre : le désaveu politique du Conseil d’Etat
      https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/06/11/le-conseil-d-etat-annule-quatre-dispositions-du-schema-national-du-maintien-

      Quatre dispositions du schéma national du maintien de l’ordre ont été annulées par la juridiction. Parmi celles-ci, la pratique de la « nasse », qui consiste à encercler les manifestants, a été jugée jeudi illégale car insuffisamment précise.

      C’est un camouflet pour le ministère de l’intérieur. Dans une décision rendue publique, jeudi 10 juin, le Conseil d’Etat a annulé quatre dispositions majeures du schéma national du maintien de l’ordre (SNMO), la « bible » des forces de sécurité en matière de gestion des manifestations. La réflexion autour de cette nouvelle doctrine, lancée en juin 2019 par Christophe Castaner, alors ministre de l’intérieur, avait été parachevée quinze mois plus tard – avec une année de retard sur le calendrier prévu – le 16 septembre 2020, à l’occasion de la publication d’un document de 29 pages.

      Le texte, aux dires des associations, avait été formalisé « sans réelle concertation ni transparence » dans le but de doter police et gendarmerie de règles d’action communes après des mois d’affrontements avec les « gilets jaunes ». Dès sa parution, il avait été critiqué, notamment en raison de la consécration du recours à des services non spécialisés – brigades anticriminalité, brigades de recherche et d’intervention ou de répression de l’action violente – dans les opérations de maintien de l’ordre, ou de la confirmation d’usage des grenades de désencerclement et des lanceurs de balles de défense (LBD) à l’origine de dizaines de mutilations et de blessures graves, essentiellement entre 2018 et 2019.
      Lire aussi Le ministère de l’intérieur dévoile la nouvelle doctrine du maintien de l’ordre

      Défense de la liberté d’informer
      Les plus vives dénonciations, portées par une quarantaine d’associations dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Syndicat de la magistrature (SM) ou le Syndicat national des journalistes (SNJ), visaient également des pratiques considérées comme gravement attentatoires aux libertés publiques, parmi lesquelles celle de la « nasse », consistant à encercler des protestataires un temps indéfini, et dont l’usage était devenu quasi systématique en cas de manifestation d’ampleur. Si le SNMO validait son recours « utile, sur le temps juste nécessaire (…) aux fins de contrôle, d’interpellation ou de prévention d’une poursuite des troubles », le Conseil d’Etat a purement et simplement annulé cette disposition en considérant qu’elle n’encadrait pas de manière suffisamment précise les cas dans lesquels il était possible de mettre en œuvre cette technique.
      C’est cependant en matière de défense de la liberté d’informer que la juridiction suprême de l’ordre administratif s’est montrée la plus incisive en rappelant son caractère essentiel à la vie démocratique « en ce qu’elle permet de rendre compte des idées et opinions exprimées et du caractère de cette expression collective ainsi que, le cas échéant, de l’intervention des autorités publiques et des forces de l’ordre ». Et en annulant trois mesures emblématiques relatives au travail des journalistes lors des manifestations.

      Le SNMO prévoyait ainsi que le port d’équipements de sécurité par des reporters soit assorti d’éléments d’identification et n’induise aucune « infraction ou provocation ». Cette obligation aux termes « ambigus et imprécis » ne relève pas, a estimé le Conseil d’Etat, de la compétence du ministre de l’intérieur, auquel il n’appartient pas davantage « d’édicter ce type de règles à l’attention des journalistes comme de toute personne participant ou assistant à une manifestation » .

      Idem en matière d’obligation faite aux journalistes de quitter les lieux d’une manifestation après un ordre de dispersion. Balayant cette injonction, le Conseil d’Etat a jugé la mesure entachée d’illégalité. Aussi, pour « rendre compte des événements qui s’y produisent », les journalistes peuvent-ils « continuer d’exercer librement leur mission lors de la dispersion d’un attroupement sans être tenus de quitter les lieux, dès lors qu’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne fassent obstacle à l’action des forces de l’ordre ».

      Enfin, en réservant aux seuls journalistes « accrédités auprès des autorités » un droit d’accès au canal d’informations dédié des forces de l’ordre lors de manifestations, sans autre forme de précision, le SNMO aurait porté « une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et à la liberté de communication ». La disposition a également été annulée.

      Arrêt jugé trop timide

      Pour les associations, une telle décision apparaissait loin d’être acquise. Au cours de la procédure, le rapporteur public, dont les conclusions préfigurent en règle générale la position du Conseil d’Etat, n’avait, en effet, rien trouvé à redire aux dispositions soumises à l’examen du juge administratif suprême, se bornant à requérir l’annulation des conditions imposées au port d’équipements spéciaux par les journalistes. « Le Conseil d’Etat, se félicite Me Patrice Spinosi, qui intervenait au nom du SNJ et la LDH, a clairement mis un coup d’arrêt à la volonté caractérisée du gouvernement de fragiliser l’indépendance de la presse. Un journaliste n’est pas un manifestant, il est là pour informer. Sans lui, il n’y a plus de regard. »

      Plusieurs associations se montrent toutefois déçues par l’arrêt, jugé trop timide. Eric Mirguet, directeur du pôle programme et plaidoyers de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, une ONG partie à la procédure, déplore ainsi « une décision a minima » . L’interdiction des nasses, notamment, « est basée sur la seule liberté de manifester alors que c’est aussi une pratique dangereuse qui peut porter atteinte à l’intégrité physique des personnes qui y sont soumises, qui est indiscriminée en ce qu’elle s’applique à des individus ciblés sur leur seule présence dans un lieu donné et non des actes qu’on leur reprocherait ».

      Parmi d’autres, l’association, qui a publié en mars 2020 un volumineux rapport d’observation sur les conditions du maintien de l’ordre, fruit d’une année de travail sur le terrain, estime que le Conseil d’Etat « a fait le choix de taire ces préoccupations » . Jeudi dans la soirée, le ministère de l’intérieur a fait savoir que « des modifications seront apportées pour permettre d’atteindre les objectifs voulus par le texte, tout en respectant les orientations de la décision rendue par le Conseil d’Etat », qui a validé « la très grande majorité du texte ».