• Darmanin met la France au service du tueur islamiste Kadyrov
    10 juin 2021 Par François Bonnet

    Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, ne fait pas que fouler aux pieds des principes fondamentaux du droit d’asile et des chartes ou traités européens. Il collabore avec celui qui règne par la torture et les assassinats.



    L’homme est un islamiste, un tueur et un tortionnaire polygame, un défenseur des crimes de sang et des mariages forcés, un ennemi de la France, un dénonciateur vindicatif de Charlie Hebdo qui a qualifié Emmanuel Macron de « chef de file et inspirateur du terrorisme » en France. Cet homme s’appelle Ramzan Kadyrov et il dirige par la terreur, depuis 2005, la petite République de Tchétchénie, partie intégrante de la fédération de Russie.

    Gérald Darmanin a fait le choix depuis plusieurs mois de rendre service à Ramzan Kadyrov en lui livrant quelques-unes de ses proies. Celles que le dictateur-voyou n’est pas encore parvenu à faire assassiner à l’étranger. Le ministre français de l’intérieur se moque pour cela des traités internationaux, des conventions sur le droit d’asile, de la législation française, sans même parler d’une tradition d’accueil. Les alertes de la Cour européenne des droits de l’homme, un avis négatif de la Cour nationale du droit d’asile ? Le ministre n’en a cure.

    Depuis l’automne 2020, plus d’une dizaine de Tchétchènes installés en France depuis plusieurs années, y ayant eu des enfants, réfugiés ou demandeurs d’asile, ont été expulsés en Russie (tous les cas de renvoi ne sont pas connus). Arrivés à Moscou, ils sont livrés par les services russes aux Kadyrovtsy, ces miliciens du dictateur, réputés pour les horreurs qu’ils font subir à leurs prisonniers. Tout cela est piloté par le ministère de l’intérieur dans une indifférence à peu près générale, même si la France s’abaisse à violer des principes fondamentaux.

    Le tournant a été l’horreur et le choc de l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty, le 16 octobre 2020, par un jeune réfugié tchétchène, Abdoullakh Anzorov, 18 ans. Mais il avait été amorcé dès le mois de juin 2020 lorsque plusieurs dizaines de personnes de la communauté tchétchène avaient mené une expédition punitive dans un quartier de Dijon, provoquant trois jours d’affrontements violents.

    Ramzan Kadyrov, pour sa part, n’a condamné que du bout des lèvres l’assassinat de Samuel Paty, préférant insister sur le fait que « la société française confond souvent démocratie et permissivité excessive, ou affichage de relations inadmissibles aux valeurs de l’islam ». Deux semaines après l’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, il avait organisé une manifestation pour laquelle des centaines de milliers de personnes avaient été convoquées au centre de Grozny pour dénoncer la publication des caricatures du Prophète.

    Ramzan Kadyrov, dictateur de Tchétchénie. © (grozny-tv) Ramzan Kadyrov, dictateur de Tchétchénie. © (grozny-tv)

    Gérald Darmanin s’est saisi de ces événements pour relancer la machine à expulser, ciblant la communauté tchétchène, qui compte, selon des estimations, environ 60 000 personnes en France. Les 11 et 12 novembre 2020, le ministre de l’intérieur s’est rendu à Moscou pour rencontrer son homologue et « évoquer [leur] coopération en matière de sécurité ». Les services russes transmettent régulièrement à Paris des éléments qui viennent ensuite alimenter les dossiers de « fichés S », dont le manque de fiabilité est régulièrement souligné par les avocats.

    Darmanin revendique tranquillement cette nouvelle politique. Le 6 mai, dans un entretien au Figaro, il se vante d’avoir « demandé à l’Ofpra de retirer les protections d’asile pour ceux qui seraient en contradiction avec les valeurs de la République. Ces trois derniers mois, 147 décisions de retrait de protection ont été prises. C’est sans précédent ». Le ministre insiste également sur sa détermination à supprimer les titres de séjour des étrangers inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, ce qui ouvre la voie à leur expulsion. « Pour ceux-là, je demande la dégradation de leur titre de séjour, et nous l’avons obtenue pour 200 d’entre eux ces six derniers mois, ce qui est un record », assure-t-il.

    Les Tchétchènes expulsés sont-ils des islamistes et en lien avec des réseaux terroristes ? Le manque de transparence entretenu par le ministère de l’intérieur et la faiblesse de nombreux dossiers sont régulièrement pointés par les avocats et les associations de défense des droits humains.

    « Des mesures d’expulsion sont mises en œuvre souvent sur la seule base de renseignements collectés et consignés dans les “notes blanches”. Par ailleurs, cette politique ne cible pas seulement des réfugiés supposément radicalisés ou ayant un lien avec la mouvance terroriste, mais également des personnes condamnées pour des affaires de droit commun ou simplement déboutées du droit d’asile », notent dans un texte commun du 26 mai Amnesty International, la Ligue des droits de l’homme et le Comité Tchétchénie.

    Dans la lettre d’information Desk Russie, Sophie Shihab, spécialiste du Caucase, revient en détail sur le cas de Magomed Gadaev, expulsé le 9 avril en Russie et aujourd’hui emprisonné en Tchétchénie, où il a été emmené de force par des hommes de Kadyrov (lire l’article de ). Son arrêté d’expulsion « insiste longuement sur son soi-disant “profond ancrage dans la mouvance islamiste radicale tchétchène”. Avec pour seules preuves d’obscurs “liens avec plusieurs individus de cette mouvance”. Or, de l’avis de plusieurs personnes différentes l’ayant connu, si Gadaev a commis des actes répréhensibles, ce n’est pas celui d’être un islamiste prêt à mourir pour aller au paradis », écrit-elle.

    Au-delà de ces soupçons de terrorisme régulièrement avancés par le ministère de l’intérieur, c’est bien les violations du droit d’asile qui sont en cause. Il est un principe fondamental : ne pas renvoyer une personne, quelles que soient les circonstances, vers un territoire où celle-ci risque de subir de graves atteintes à ses droits fondamentaux. C’est ce qu’affirment la Convention de Genève sur l’asile, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

    « Cette interdiction est une norme du droit international qui ne souffre aucune dérogation. Elle est inscrite dans de nombreux traités relatifs aux droits humains ratifiés par la France, ont rappelé dans un texte commun 12 ONG internationales et russes qui dénoncent l’expulsion de Magomed Gadaev. Les actes des autorités françaises exposent Magomed Gadaev à un risque imminent de torture et d’autres mauvais traitements, mettant sa vie en grave danger, en violation flagrante des obligations internationales contractées par la France. »

    Dans cette affaire, Gérald Darmanin a également balayé un avis de la Cour nationale du droit d’asile qui, le 10 mars, s’opposait à une expulsion vers la Russie. « La Cour a estimé nécessaire de s’assurer que ces autorités s’abstiendront de toute mesure d’éloignement en direction de la Russie. En effet, les craintes de persécution vis-à-vis de la Russie résultant de la dernière décision de l’Ofpra imposent à la France de veiller à ce qu’il ne soit pas dérogé, de façon directe ou indirecte, au principe de non-refoulement » défini par les textes et conventions (l’avis est à lire ici).

    Car les risques encourus sont bien réels, n’en déplaise aux juristes du Conseil d’État qui, le 17 mai, ont validé l’expulsion de Gadaev, une « décision surréaliste et cruelle », selon Amnesty International. Avant lui, deux autres Tchétchènes, Ilias Sadoulaev et Lezi Artsouev, ont été expulsés de France le 12 mars et le 5 avril. Ils ont disparu à leur retour en Russie, avant de réapparaître après plusieurs semaines, emprisonnés en Tchétchénie sans possibilité de visites et sans que leurs proches aient accès à des informations. Il en a été de même pour un homme expulsé d’Allemagne.

    Soutenu sans coup férir par le régime Poutine, Ramzan Kadyrov renforce en toute impunité son système de crimes et de terreur en Tchétchénie. Les tortures, assassinats, représailles contre les familles ont été documentés depuis de longues années. Tout comme l’obligation faite aux femmes de se voiler, l’encouragement à la polygamie (Kadyrov a deux épouses, ce que la loi fédérale russe interdit), l’instauration d’un islam rigoriste qui n’a rien à envier au wahhabisme et une répression barbare de l’homosexualité.

    Le 4 novembre 2019, Kadyrov passait à une étape supérieure en faisant diffuser sur sa télévision d’État un discours prononcé devant son gouvernement. Il y recommandait de se défendre « en tuant, en arrêtant, en effrayant ceux qui sèment la discorde ». « Quiconque propage des troubles, des commérages, s’ils ne sont pas tués, emprisonnés, arrêtés, rien n’en sortira », ajoutait-il.

    Les réseaux sociaux des opposants partis en exil sont surveillés de près. Tout écart vaut menaces, représailles sur les proches restés en Tchétchénie, et parfois l’envoi de tueurs… L’Ofpra a justement publié un rapport, en mai 2020, sur « les assassinats et tentatives de meurtre visant les opposants tchétchènes dans les pays européens depuis 2009 ». Une demi-douzaine de cas sont listés. Parmi eux, le blogueur Imran Aliev, tué à Lille le 29 janvier 2020…

    C’est donc avec ce régime Kadyrov que le ministre Gérald Darmanin a choisi de collaborer. Il peut ainsi énumérer dans les médias les chiffres « sans précédent » obtenus à force de « détermination ». Des chiffres qui ne font que donner la mesure de la politique honteuse engagée par le ministre.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/100621/darmanin-met-la-france-au-service-du-tueur-islamiste-kadyrov