/22a81c2_c7c205dcc73a454ba3c4d5dcd232035

  • Au Népal, l’impossible mesure de l’ampleur du Covid-19 lors de la saison des ascensions
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/15/au-nepal-le-covid-19-a-perturbe-la-saison-des-ascensions-himalayennes_608418

    Lorsqu’il s’est envolé pour le Népal afin de tenter l’ascension du mont Everest (8 848 mètres), le Norvégien Erlend Ness n’imaginait pas qu’il marquerait la chronique himalayenne d’une manière aussi insolite. Ce ne sont, en effet, ni la terrible cascade de glace aux crevasses insondables, ni les avalanches provoquées par l’enneigement inhabituel – dû au passage de deux cyclones – qui l’ont privé de son Graal, mais le Covid-19.
    Le 14 avril, à peine arrivé à pied depuis le minuscule aéroport de Lukla (2 860 mètres) au camp de base (EBC) à 5 345 mètres au-dessus du niveau de la mer, après une petite semaine de trek à travers la vallée du Khumbu, ce propriétaire d’agence immobilière de 57 ans est devenu le premier prétendant au sommet du « Toit du monde » évacué par hélicoptère à cause du virus.« Qui aurait pu prévoir ça, alors que les autorités parlaient seulement de quelques dizaines de cas à Katmandou et nous encourageaient à venir, moyennant un test PCR négatif avant le départ et un à l’arrivée ? », interroge-t-il depuis son domicile de Trondheim, où il récupère « plutôt bien » après une hospitalisation à plusieurs milliers de dollars à Katmandou.
    Enclavé entre la Chine – qui, cette année, a interdit son versant tibétain de l’Everest aux alpinistes – et l’Inde – qui connaît depuis début mars un terrible regain de la pandémie –, le Népal semblait avoir réussi à contenir la vague de Covid-19 du 2020 en fermant ses frontières et ses montagnes.
    Mais très peu de tests y étaient pratiqués et l’énorme manque à gagner, pour ce pays très dépendant du tourisme, a poussé son gouvernement à tenter un pari des plus risqués visant à requinquer l’hôtellerie et le business des expéditions cette année.Il a assoupli son protocole sanitaire qui comprenait à l’origine une quarantaine obligatoire de sept jours. Le département « montagnes » du ministère du tourisme, qui gère l’accès aux sommets népalais de plus de 7 000 mètres, a délivré pour l’Everest le nombre record de 408 permis d’ascension à 11 000 dollars pièce (environ 9 000 euros) à des alpinistes étrangers, divisés en 43 équipes. S’y sont ajoutés environ 150 permis meilleur marché, répartis sur le Lhotse (8 516 mètres), le Nuptse (7 861 mètres) et le Pumori (7 161 mètres) voisins.
    Avec les guides et le personnel logistique, près de 2 000 personnes ont élu domicile à l’EBC de mi-mars à mi-mai. « La Colline » (surnom du camp de base) s’est muée en un cluster géant en puissance, au moment où les villes népalaises et leurs hôpitaux, surchargés et démunis, en appelaient au monde entier pour être ravitaillés en oxygène.Les médecins de l’Association himalayenne de secours (Himalayan Rescue Association, HRA) venus ausculter Erlend Ness sous sa tente n’ont, selon lui, « jamais prononcé le mot de Covid ». Ils ont ordonné son évacuation pour des « symptômes évocateurs d’un œdème pulmonaire ». Et pour cause. Le gouvernement népalais avait interdit la pratique de tests PCR rapides aux préposés de cette ONG népalaise, présente pour la saison à l’EBC : une décision visant à soigner la réputation de l’Everest, vitrine touristique nationale.Erlend Ness n’a été officiellement testé positif au Covid-19, et enregistré comme tel par le ministère de la santé népalais, qu’à son arrivée à l’hôpital à Katmandou. Meera Acharya, chef du département « montagnes » au ministère du tourisme a eu beau jeu d’affirmer, chaque fois qu’elle était interrogée sur l’EBC, qu’elle n’avait « pas connaissance » d’évacuations dues au Covid.
    « Les autorités népalaises donnent des informations sur le Covid [dans les camps de base] en partant des rapports fournis par les chefs d’expéditions au ministère », a plaidé Mme Acharya dans un courriel au Monde, se justifiant de n’avoir pas disposé de ces données durant la période d’ascension, qui a pris fin début juin.Le guide autrichien Lukas Furtenbach, lui aussi, a d’abord cru son équipe à l’abri. Le médecin d’expédition qu’il avait embauché s’était muni de 3 000 tests rapides afin de pouvoir contrôler, tout au long du trek d’approche et des rotations d’acclimation, ses clients et leur encadrement népalais. Par précaution, le patron de Furtenbach Adventures leur avait aussi interdit de frayer avec d’autres expéditions à l’EBC.Mais des cas positifs dans ses rangs et une jam session, animée dans une vaste tente par une star américain de la pop réunissant plusieurs équipes, l’ont décidé à annuler son expédition. « Les leaders des équipes qui ont organisé cette fête s’en sont largement fait l’écho sur les réseaux sociaux, raconte-t-il au Monde, par téléphone, depuis l’EBC. Or, à eux tous, ils avaient déjà évacué une bonne quarantaine de leurs membres infectés au Covid, et il y avait parmi eux des gens sans masque, arrivés du Dhaulagiri (8 167 m), et dont aucun n’avait été testé. »Dénonçant un « scandale », Lukas Furtenbach a levé le camp « en concertation avec [son] médecin d’expédition », sans comprendre pourquoi le ministère du tourisme s’entêtait « à nier une épidémie énorme, au risque de perdre toute crédibilité ».
    « J’ai appelé, sans être entendu, à des tests massifs à l’ECB car la HRA, officieusement, les opérateurs d’expéditions, les pilotes d’hélicoptère qui procèdent aux évacuations, les compagnies d’assurances et les alpinistes infectés confirment tous l’existence d’une multitude de cas, a-t-il insisté. C’est criminel d’un point de vue légal comme d’un point de vue moral d’envoyer pour l’ascension – même s’ils veulent y aller – des clients, porteurs et guides susceptibles de déclarer un virus mortel dans les camps supérieurs où toute évacuation héliportée est impossible. »Pour la Dre Dominique Jean, infectiologue, spécialiste de la médecine d’altitude – à laquelle elle forme des médecins népalais – et vice-présidente de la Société internationale de médecine de montagne (ISSM), amener des groupes étrangers au Népal, ce printemps, était « irresponsable » : « Excepté les guides, porteurs et personnels de cuisine des très grosses agences d’expéditions, nombre de gens n’ont jamais été testés et encore moins vaccinés ».Or, sans tests rapides systématiques à l’arrivée au camp de base, sauf en cas de perte du goût et de l’odorat, il est « impossible de faire la distinction entre les symptômes du Covid et ceux de maladies fréquemment développées en haute altitude (difficultés respiratoires, toux, diarrhées…) ».
    Les conséquences sanitaires de l’existence de clusters de haute altitude au Népal ne seront probablement jamais démontrées, faute d’un dépistage et d’un traçage efficaces. Mais l’Everest et les autres sommets népalais de 8 000 mètres continuent d’aimanter les alpinistes. »

    #Covid-19#migrant#migration#nepal#inde#chine#sante#cluster#economie#depistage#sport