• Scriptes de la démocratie : les sténographes et rédacteurs des débats (1848–2005) http://journals.openedition.org/sdt/13695

    Témoins fidèles de ce qui se produit en séance, les rédacteurs des débats sont également les seuls témoins de tout ce qui constitue le « hors champ » et parfois le « hors règlement » de la séance. Or, la dimension procédurale de la séance, les oblige à une vigilance de tous les instants, car telle interruption peut s’avérer sans suite et telle autre peut jouer un rôle clé dans la dynamique de la séance et déclencher un « incident ». Les « incidents » sont bien entendu de nature et d’ampleur variées : joute oratoire, bruit, insulte, menace physique, irruption du public, révolution ! Évènements historiques, rares, mais qui nous rappelle le caractère d’imprévisibilité de la vie parlementaire.

    (…) Comme l’indique Hippolyte Prévost, directeur du service en 1848 : pour rendre la qualité d’un bon orateur, il faut un travail patient et invisible de l’écrit. Personne ne parlant comme il écrit, toute « improvisation » en séance oblige à un important travail de « révision » qui peut être assimilé à une « traduction ». H. Prévost a clairement explicité la nature « littéraire » de ce travail : resserrer, clarifier, émonder, réviser, avec « goût et tact », en dérobant aux lecteurs et à l’orateur, lui-même, les traces de l’intervention (Prévost, 1848). Cette activité de traduction est bien entendu toujours à l’œuvre. Certains rédacteurs des débats considèrent qu’elle est plus que jamais à l’ordre du jour en raison de la baisse des qualités oratoires des élus. Ils assument qu’il leur appartient de redonner du lustre à la fonction parlementaire et de contribuer dans le passage à l’écrit à une mise en forme autant stylistique qu’institutionnelle.

    (...) Devant le risque que comporte la loi relative au statut général des fonctionnaires (1946) qui prévoit l’égalité d’accès des hommes et des femmes à tous les emplois publics, ils font voter par le bureau de l’Assemblée en 1951 un numerus clausus qui les préserve (au prétexte de la difficulté de la charge, incompatible avec la « fragilité » de la nature féminine) de toute présence indésirable. L’arrêté stipule ainsi que le service ne peut comporter plus de 10 % de femmes. La digue tient jusqu’à ce que la nécessité de faire face à une surcharge d’activité oblige au recours ponctuel à des dames secrétaires. La porte étant ouverte, des demoiselles s’y engouffrent. Ainsi en est-il de Mlle A., « dame secrétaire » au Palais-Bourbon depuis 1953, auxiliaire au CRI au milieu des années 1960, qui se présente (manifestement contre l’avis du directeur du service) au concours de recrutement qui s’ouvre en 1968. Elle est classée cinquième sur six, alors que le concours pourvoit cinq postes, mais déclassée au profit du sixième candidat, au titre que le service ne pourrait supporter « sans grave dommage » le fait d’absorber deux femmes. Une autre femme, classée quatrième est en effet recrutée, devenant la première femme sténographe des débats de l’histoire du service. Mlle A. porte plainte devant le tribunal administratif qui statue dans un premier temps sur la seule question de la recevabilité de sa candidature. Devant la mobilisation des associations féminines et féministes, le tribunal se voit obliger de statuer au fond sur la légalité de l’éviction (et du numerus clausus). Le tribunal tranche en faveur de Mlle A. Elle est déclarée admise, mais n’est intégrée dans les cadres qu’en novembre 1973, après que le directeur du service ait refusé sa titularisation et que l’administration ait du faire face à une campagne syndicale en sa faveur.

    (…) Le rejet du magnétophone enregistreur est une autre affaire. L’objet est tabou jusqu’à la fin des années 1960. Il est interdit de mentionner son nom dans le service. Les plus anciens se souviennent de s’être équipés en secret de leur hiérarchie (cachant l’instrument dans leurs vêtements), soulagés de pouvoir recourir à l’enregistrement en cas de mauvaise « prise », mais effrayés d’être démasqués.

  • Rationaliser la gestion par le temps. L’autre histoire de l’hôpital public, Fanny Vincent, Sociologie du travail, VOL. 63 - N° 2 | AVRIL-JUIN 2021
    http://journals.openedition.org/sdt/39405

    Cet article s’intéresse aux évolutions du travail à l’hôpital public et à leurs liens avec les réformes gestionnaires. Dans une perspective historique, partant de l’instrument du temps de travail, il propose une nouvelle narration des projets de réforme de l’hôpital, des discours institutionnels qui les justifient et de ceux qui les contestent, de l’évolution des cadres réglementaires et gestionnaires. L’histoire retracée met en évidence trois périodes, où le temps de travail a été progressivement construit et pensé par l’administration comme un outil de « réconciliation » de deux dimensions a priori inconciliables : l’amélioration des conditions de travail des soignantes d’une part, et celle de la gestion de l’hôpital public d’autre part. L’article montre ainsi que les entreprises de rationalisation de l’hôpital public ont fait du temps une ressource rare à gérer, et que cette opération a conduit à une industrialisation du travail de soins.

    #travail #hôpital