• Nord Stream 2 : la solidarité européenne à l’épreuve d’un gazoduc
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    Nord Stream 2 : la solidarité européenne à l’épreuve d’un gazoduc

    Le compromis trouvé entre Berlin et les Etats-Unis à propos du gazoduc qui doit acheminer du gaz russe en Allemagne risque de fragiliser l’unité des Vingt-Sept et la crédibilité de la diplomatie européenne vis-à-vis de la Russie.

    Editorial. Malgré les nombreux obstacles rencontrés, le gazoduc Nord Stream 2, qui doit acheminer du gaz russe en Allemagne en passant par la mer Baltique, verra bien le jour. Avec l’accord trouvé, mercredi 21 juillet, entre Berlin et les Etats-Unis (qui s’opposaient jusque-là au projet), Angela Merkel voit sa ténacité récompensée, à quelques semaines de la fin de son mandat de chancelière. Le compromis trouvé risque toutefois de fragiliser l’unité des Vingt-Sept et la crédibilité de la diplomatie européenne vis-à-vis de la Russie.

    L’achèvement de ce chantier, portant sur 1 200 kilomètres de pipeline sous-marin, était suspendu au feu vert des Etats-Unis, qui entendaient soutenir l’Ukraine, par où transite jusqu’à présent l’essentiel du gaz russe vers l’Europe. Parallèlement, il s’agissait de dissuader les Vingt-Sept de devenir trop dépendants de Moscou, alors que les tensions diplomatiques restent vives avec les Occidentaux depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, tensions encore renforcées avec la guerre du Donbass. Washington avait été jusqu’à voter des sanctions contre les Européens, pour les pousser à importer du gaz américain plutôt que russe.

    Malgré les réticences américaines, Angela Merkel a réussi à arracher un compromis en s’engageant à défendre les intérêts de Kiev. L’Allemagne promet notamment de veiller à ce que Nord Stream 2 ne devienne pas un moyen pour Moscou d’asphyxier l’Ukraine en stoppant l’acheminement du gaz qui passe par son territoire et qui représente une source substantielle de revenus pour le pays. Mais les promesses de Berlin semblent peser bien peu dans le rapport de force qu’a su instaurer Vladimir Poutine ces dernières années.

    Mauvais signal
    Rien n’a dissuadé Berlin d’aller jusqu’au bout du projet Nord Stream 2. Ni la cyberattaque massive contre le Bundestag (2015), ni le meurtre d’un citoyen géorgien d’origine tchétchène dans un parc berlinois (2019), ni l’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny (2020), alors que la Russie est officiellement accusée d’être à l’origine de ces agressions. Cette affaire laisse penser que les Européens sont prêts à accepter que Vladimir Poutine agisse à sa guise, pourvu que leurs intérêts économiques soient préservés.
    Par ailleurs, la poursuite des investissements dans les énergies fossiles est un bien mauvais signal envoyé par l’Allemagne, quelques jours seulement après la présentation du pacte vert européen, qui vise une réduction drastique des émissions de carbone à l’horizon 2030. Avec l’arrêt de ses centrales nucléaires en 2022 et celles au charbon en 2038, Berlin opte sans scrupule pour le gaz russe, au moment où il faudrait, au contraire, respecter la trajectoire fixée par la Commission.

    Il était sans doute difficile pour l’Etat allemand de passer par pertes et profits les milliards d’investissements déjà dépensés dans le projet et de reprendre sa parole en renonçant à aller jusqu’au bout du chantier Nord Stream 2. Cet accord offre à Berlin le soulagement d’avoir renoué les fils du dialogue transatlantique, que Donald Trump avait passablement distendus. Mais, en même temps, le compromis fait peu de cas de la Pologne, des pays baltes et de la Slovaquie, qui restent vent debout contre ce projet. Leur soutien sera pourtant essentiel lorsqu’il s’agira de voter des sanctions contre Moscou, au cas où Vladimir Poutine déciderait d’avancer un peu plus ses pions.

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