• Enfants placés : le scandale des décisions de justice bafouées
    6 juillet 2021 Par Diane Farih
    https://www.mediapart.fr/journal/france/060721/enfants-places-le-scandale-des-decisions-de-justice-bafouees

    Dans le Loiret, comme nombre de départements, le dispositif d’accueil est saturé. Au point que des placements d’enfants en danger, ordonnés par la justice pour les protéger, ne sont pas exécutés avant des mois, d’après une enquête de Mediapart. Une maltraitance institutionnelle.

    Il y a sans doute des chiffres trop honteux pour être diffusés. En France, impossible de savoir combien de placements d’enfants, ordonnés par des magistrats pour mettre fin à des violences ou de graves négligences parentales, sont réellement exécutés et combien sont en attente, faute de places disponibles en familles d’accueil ou en foyers.

    Les départements, qui ont pour mission de protéger les mineurs en danger et de les héberger, se gardent bien de publier leurs retards d’exécution. Même les juges des enfants ne sont pas toujours informés que leur décision est foulée aux pieds, des mois durant.

    Ainsi le gouvernement, qui défend à partir de mardi soir un projet de loi sur la « protection des enfants » devant l’Assemblée nationale (texte déjà critiqué pour ses insuffisances), ne dispose d’aucune remontée fiable sur un phénomène qui empire pourtant – le ministère de la justice renvoie vers une évaluation partielle de 2019 qui évoque une « augmentation générale des délais d’exécution ».

    Face à l’absence de chiffres nationaux saisissant l’ampleur de cette maltraitance institutionnelle, Mediapart a décidé de zoomer, pour l’exemple, sur un département « moyen » : celui du Loiret, ni trop petit ni trop gros, piloté par une majorité de droite (comme la plupart). Alors que ses services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) suivent environ 1 500 enfants chaque année, ce sont près de deux cents mineurs, en mai dernier, pour lesquels un juge avait ordonné un placement et qui étaient toujours en attente, d’après des documents et témoignages recueillis par Mediapart. D’autres sont accueillis dans des conditions dégradées.

    Sur un enregistrement daté de mai dernier, obtenu par Mediapart, des responsables de la protection de l’enfance (au sein du département) faisaient ainsi les comptes : « quarante placements non effectifs ». Plus précisément : quarante enfants supposés bénéficier d’un placement hors du domicile parental, décidé par un magistrat, sont coincés chez eux. « Dont une vingtaine […] des enfants de moins de 4 ans ».

    Une mesure judiciaire de placement, rappelons-le, n’est pas décidée par hasard : il a été constaté, souvent par les services du département eux-mêmes, que l’enfant pouvait être victime de violences physiques ou sexuelles ou de carences éducatives mettant en péril sa sécurité. Dans le Loiret, des placements resteraient inexécutés pendant de longs mois.
    Danger immédiat

    En mai et juin 2021, même des placements en urgence, appelés dans le jargon « ordonnances de placement provisoire », n’auraient pas été mis en œuvre, « le dispositif étant saturé », d’après des courriers envoyés par le département au tribunal pour enfants d’Orléans. Ces placements d’urgence, pourtant, sont censés être effectifs dans les heures qui suivent la décision de justice. Dans le Loiret, ils le seraient parfois au bout de plusieurs jours, laissant l’enfant en danger immédiat entre les mains de ses parents.

    Sur d’autres enregistrements (toujours au sein du département), des responsables de la mise en œuvre de la protection de l’enfance s’indignent : « Pour faire des bâtiments, le fric on le trouve. Mais pour trouver des places pour des enfants en danger, il ne se passe rien […]. Tout le monde est au courant ! […] Les élus sont au courant ! » Avec ce diagnostic effrayant : « [La responsable de la plateforme de placement] envoie [un message] à tout le monde pour dire qu’elle n’a pas de place. Il n’y a plus de solution. » Sont pointées la « responsabilité » politique du président (LR), autant que celle du directeur du service « Enfance Famille ».

    Le retour de Théo [à la maison] s’est exercé en violation d’une décision de justice ce qui constitue une infraction pénale.

    Un juge des enfants

    D’après nos informations, celui-ci s’est même retrouvé sous la menace de poursuites pénales, à la suite d’une intervention personnelle contestable. En 2020, dans une décision relative à un mineur en danger que nous appellerons Théo*, un juge des enfants écrit noir sur blanc : « [Le directeur Enfance Famille a] décidé unilatéralement le retour de Théo chez sa mère critiquant le placement comme étant “à l’évidence” injustifié. […] Il convient ici de rappeler que seul le juge des enfants peut ordonner une mainlevée [une fin –ndlr] du placement […]. Dès lors, le retour de Théo s’est exercé en violation d’une décision de justice ce qui constitue une infraction pénale. »

    Interrogé sur ce point, le directeur « Enfance Famille » du Loiret, M. G., n’a pas donné suite à nos mails. Sollicité pour savoir si une enquête pénale avait été ouverte à son encontre, le parquet d’Orléans ne nous a pas répondu.

    Le président du tribunal judiciaire d’Orléans ne cache pas, auprès de Mediapart, les difficultés rencontrées par les juges des enfants. « [Ils] ont pu exposer leur désaccord sur certaines décisions prises par le directeur Enfance Famille », indique Julien Simon-Delcros. Une « charte commune », toujours en cours d’élaboration, a été jugée nécessaire « afin de préciser les rôles et compétences respectives des autorités judiciaire et administrative ».
    Des foyers saturés

    Dans un document interne de novembre 2020, obtenu par Mediapart et relatif à une expérimentation locale, le département affichait clairement son souhait de s’affranchir de certaines contraintes imposées par la justice. Dans ce tableau, un objectif est fixé : « Désengorger le dispositif d’accueil physique des mineurs confiés. » En face, le moyen suivant est envisagé : « Viser dès que possible à transformer la mesure judiciaire en une mesure administrative afin d’obtenir plus de souplesse dans l’organisation du placement »… Qu’en termes galants ces choses-là sont dites.

    Si des décisions judiciaires ne sont pas exécutées dans le Loiret, c’est bien qu’il y a embouteillage. Les familles d’accueil, notamment, sont en « surcapacité » : certaines logent plus d’enfants qu’elles ne devraient, jusqu’à cinq, alors qu’il s’agit de mineurs en difficulté. « Elles craquent », selon les propos tenus en interne par un cadre de terrain.

    Côté foyers, les différents types de structures (comme les maisons d’enfants à caractère social) seraient aussi saturés – précisons que le département ne communique même pas le nombre de places existantes en foyers. De même que le foyer d’accueil d’urgence du département, baptisé « Maison de l’enfance ».

    À l’été 2019, alors que la structure ne disposait que de quarante et un lits, la directrice des relations humaines lançait un mail d’alerte : « 65 enfants confiés […]. Nous avons besoin de minimum trois personnes pour passer le mois d’août ». À la fin 2019, le plafond officiel est bien passé à la « Maison de l’enfance » de 41 à 65 lits. Mais d’après plusieurs sources, il serait arrivé, au cours de l’année 2020, que 90 enfants soient encore accueillis en même temps. Des enfants qui ont non seulement besoin d’être logés, mais aussi encadrés correctement.

    Dans une lettre ouverte, adressée à l’automne 2019 au département et à la préfecture, des « professionnels de la protection de l’enfance » du Loiret dénonçaient les conditions d’accueil à la Maison de l’enfance en ces termes : « Des cas de viols […] d’ados sur des enfants, entre ados. Le service d’Aide sociale à l’enfance ne peut pas toujours aider la victime en la séparant de son agresseur. […] Des matelas par terre, plus de chambre disponible. »

    Interrogé sur la suroccupation de cette structure, le président du tribunal d’Orléans nous répond, « sans connaître les chiffres », que « les juges des enfants ont fait état de leurs inquiétudes ».

    En ce début d’été, il n’y aurait plus de problème majeur. « Depuis janvier 2021, ils ont fait en sorte de faire partir tous les enfants qui étaient en sureffectif parce que la cocotte-minute était en train d’exploser », confie un agent du département, sous couvert d’anonymat. Depuis quelques semaines, le Loiret aurait aussi ouvert dix places supplémentaires.

    Mais où sont « partis » ces enfants en sureffectif ? Pas toujours dans des structures a priori adaptées. Le département confierait dorénavant des mineurs en danger à deux gîtes de vacances, dont celui de l’association Cigales et Grillons, qui « organise des colonies de vacances, des classes de découvertes, des accueils de loisirs, des sorties à la journée ». Cette « innovation » aurait démarré pour des « séjours Covid », puis dès janvier 2021, il semble que des enfants y aient été accueillis de façon pérenne, jusqu’à une trentaine dans le gîte Cigales et Grillons.
    Alertes à la direction

    Si le projet de loi examiné cette semaine par les députés est adopté, il interdira les placements d’enfants dans des « établissements chargés de les accueillir lors des congés ou des loisirs » (type colonies), sauf à titre « exceptionnel » et pour une durée qui ne pourra excéder « deux mois ». Au nom d’une « démarche qualité ».

    Au gîte Cigales et Grillons, les conditions d’accueil ont rapidement inquiété les travailleurs sociaux, qui ont adressé des alertes à leur direction. D’après des pièces et enregistrements consultés par Mediapart, les récriminations sont nombreuses : absence de port du masque par certains encadrants, des enfants couchés tard, un éloignement de 30 mètres entre les bâtiments des personnels et ceux des enfants… Faute de véhicules, des enfants seraient transportés en taxis à l’école, dans leurs familles, en activités, en audiences, à des rendez-vous médicaux, etc. Pour un coût pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros par mois pour un seul enfant, à la charge du département.

    De quoi renoncer ? Dans un courrier daté de juin 2021, le directeur « Enfance Famille » s’efforce de répondre à chacun des griefs des travailleurs sociaux. Pour pallier l’« absence de mobilier pour les affaires des enfants », il rappelle l’« achat de 30 bacs en plastique ». Les « espaces à vivre et chambres [sont] dans un état déplorable ? » Réponse : « La période hivernale avec pluie et boue a constitué un facteur aggravant »... Le directeur estime qu’« à ce jour, aucune négligence n’a été observée » et maintient sa « confiance ».

    Dans un document obtenu par Mediapart, en tout cas, le directeur de l’association gestionnaire du gîte reconnaît lui-même que l’ensemble des missions habituellement assurées par les foyers ne sont pas incluses ici dans la prise en charge des enfants. Les encadrants n’auraient d’ailleurs pas de diplôme d’éducateur, souvent un simple Bafa (diplôme de base pour les animateurs en centre de loisirs accessible dès 17 ans), à l’exception d’une éducatrice, détachée depuis mai.

    Le département s’est pris d’intérêt pour une « alternative » : le placement dit « à domicile ».

    Récemment, d’après nos informations, une adolescente de 12 ans a par ailleurs été réorientée vers un autre lieu de placement, après qu’elle eut déclaré avoir été victime d’une agression sexuelle de la part d’un encadrant –si une plainte a été déposée par la mère, le parquet d’Orléans ne nous a pas précisé les suites données.

    Enfin, depuis quelques années, le département s’est pris d’intérêt pour une solution alternative aux placements « classiques » : le placement dit « à domicile ». Sur décision judiciaire, les enfants restent en réalité dans leur famille, avec un suivi éducatif conséquent et un lit accessible en foyer en cas d’urgence. Dans certaines situations, c’est adapté ; dans d’autres, un pis-aller.

    C’est en 2017 que le Loiret aurait créé 380 places « à domicile ». Tandis qu’environ deux cents places en structures d’accueil auraient été supprimées entre 2016 et 2019, si l’on en croit la lettre ouverte des « professionnels de la Protection de l’enfance » –le département n’a pas communiqué de chiffres à Mediapart. Ces placements à domicile s’avèrent bien moins chers que des placements en structures – ils avoisineraient une trentaine d’euros par jour et par enfant, quand le prix en foyer atteignait 172 euros (moyenne France entière) en 2017. Tentant.

    « Certains juges des enfants ont pu ressentir que le conseil départemental souhaitait appuyer la mise en place de [placements à domicile] », indique le président du tribunal d’Orléans à Mediapart. Et de préciser : « Ce n’est pas la voie qui a été retenue lorsque les situations éducatives n’étaient pas adaptées. »

    De toute façon, le dispositif de placement à domicile atteint, à son tour, la saturation. D’après nos informations, 150 enfants censés en bénéficier étaient, fin juin, en attente. Et celle-ci peut être longue : cinq mois régulièrement, même pour des enfants victimes de violences physiques.

    Confronté aux nombreuses questions de Mediapart, le département n’a pas répondu dans le détail. Il se dit « très attentif à sa mission de protection de l’enfance, qui est une priorité dans son action quotidienne. De nombreux nouveaux projets sont en cours, accompagnés d’un budget en hausse depuis 2019, atteignant aujourd’hui 51 millions d’euros ».
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    Enfants en danger : un projet de loi à mille lieues des enjeux Par Clotilde de Gastines

    Selon son service communication, « de nombreuses solutions ont été mises en œuvre pour améliorer la situation des enfants pris en charge », avec notamment la « création de 48 places dédiées aux fratries sur deux ans ». Par ailleurs, « concernant les situations individuelles évoquées […], toutes les dispositions ont été prises par le département afin de protéger les enfants dont il a la charge ». (Voir l’intégralité de la réponse sous l’onglet Prolonger)

    S’agissant des placements non exécutés, sans doute certains départements font-ils pire ? « Il y a des mesures qui ne sont pas exécutées, des mesures mal exécutées ou avec des délais très longs de plusieurs mois, voire un an », confirme Laurent Gebler, président de l’Association des magistrats de la jeunesse et de la famille.

    « Les départements communiquent très peu. Parfois, les juges des enfants l’apprennent un an après, quand ils revoient la famille [à une audience – ndlr]. Tout le paradoxe, c’est que 90 % de saisines du juge des enfants proviennent des départements. Mais une fois que le juge décide d’une mesure, on lui explique – ou on ne lui explique pas d’ailleurs – que ses mesures ne peuvent pas être prises en charge. » Et le magistrat d’ajouter : « C’est un vrai souci mais les moyens de pression sont très faibles. » À l’occasion de l’examen du projet de loi « Protection des enfants » cette semaine, les députés pourraient commencer par exercer leur doit de savoir.

    • Enfants en danger : un projet de loi à mille lieues des enjeux
      16 juin 2021 Par Clotilde de Gastines
      https://www.mediapart.fr/journal/france/160621/enfants-en-danger-un-projet-de-loi-mille-lieues-des-enjeux
      Examiné à partir du mardi 6 juillet à l’Assemblée nationale, un projet de loi relatif à la protection de l’enfance vise à colmater des brèches dans le système de prise en charge des mineurs en danger, aujourd’hui à bout de souffle. Mais ce texte est très a minima, regrettent nombre d’observateurs.
      lors que des scandales à répétition exposent au grand jour les défaillances de la prise en charge des enfants placés en France, le gouvernement a adopté, mercredi, en Conseil des ministres, un projet de loi qui manque singulièrement d’ambition.

      Le texte, qui doit être examiné à l’Assemblée nationale dans la première quinzaine de juillet, s’avère un patchwork de dispositions souvent techniques, destinées à colmater quelques brèches, à parer au plus pressé, mais à mille lieues de repenser la cohérence de la protection de l’enfance, une politique publique déconcentrée qui repose sur les départements (dont les services suivent 350 000 mineurs environ) et leurs moyens insuffisants (8 milliards en 2019). Au passage, l’exécutif injecte des mesures propres aux mineurs étrangers, qui risquent de compliquer l’accès à leurs droits.

      Il semble pourtant évident, après un an et demi de pandémie, que le système craque de toutes parts. Une grande partie des acteurs de terrain se disent à bout de souffle. « Ce texte n’est pas à la hauteur des besoins, regrette ainsi une éducatrice spécialisée dans les Alpes-Maritimes, Esther, élue CGT. Au cours des dix dernières années, la situation s’est terriblement dégradée, en premier lieu à cause de la fermeture de places d’hébergement pour accueillir les enfants protégés. »
      Adrien Taquet, le secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance, lors d’une visite au CHU de nantes, le 20 février 2020. © Estelle Ruiz / NurPhoto via AFP Adrien Taquet, le secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance, lors d’une visite au CHU de nantes, le 20 février 2020. © Estelle Ruiz / NurPhoto via AFP

      Une fausse interdiction des hôtels. Le projet de loi pose le principe d’une interdiction des placements de mineurs en hôtels, en résidences hôtelières ou dans des établissements pensés pour les congés ou les loisirs. Bref, des lieux inadaptés. En décembre 2019, une agression entre deux jeunes confiés au département des Hauts-de-Seine et hébergés dans un hôtel de Suresnes avait fait un mort et provoqué un scandale.

      Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) commandé dans la foulé a révélé que 5 % des mineurs pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (liés aux départements) sont concernés en France. Et jusqu’à 28 % des mineurs étrangers « non accompagnés » (MNA dans le jargon), auxquels la France doit protection dès lors que leur minorité est reconnue et qu’ils n’ont pas de famille sur le territoire.

      Le projet de loi prévoit toutefois des dérogations, pour une durée qui ne pourra excéder deux mois. « Il serait abusif de parler d’interdiction, réagit Lyes Louffok, ex-enfant placé devenu éducateur spécialisé et chargé de plaidoyer pour l’association Repairs ! qui défend des anciens de l’ASE. Le gouvernement légalise de fait l’hébergement en hôtel pour deux mois ! » Lui plaide pour une interdiction totale, au terme de six mois de transition qui permettraient aux services départementaux de s’organiser.

      Le conseil national de la protection de l’enfance (instance placée auprès du premier ministre) regrette de son côté que ce texte ne garantisse pas « l’accompagnement éducatif des enfants accueillis temporairement en hôtel et le transfert budgétaire afférant », d’après un avis sur le projet de loi remis le 31 mai au gouvernement.

      La prévention des maltraitances. Le texte crée un fichier national des agréments pour contrôler les professionnels qui exercent dans plusieurs départements ou qui seraient susceptibles de changer de département à la suite d’un retrait d’agrément. Réclamé de longue date par les associations d’anciens enfants placés, il sera piloté par le nouveau groupement d’intérêt publique Enfance en danger, mais le texte ne précise pas les moyens qui lui seront alloués.

      Dans cette veine, plusieurs dispositions visent à améliorer la sécurité des enfants : un article systématise le contrôle des antécédents judiciaires de tous les adultes travaillant auprès des enfants placés (le gouvernement promet d’écarter toutes les personnes « ayant été condamnées pour infractions sexuelles ») ; le texte inscrit dans le marbre la formation des professionnels de la protection de l’enfance au repérage des maltraitances ; il oblige tous les établissements de l’aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse à formaliser, dans leur projet d’établissement, une politique de lutte contre la maltraitance.

      Enfin, le texte crée un « référent externe » au niveau départemental, que les enfants pourront saisir directement en cas de problème dans leur foyer par exemple. Mais « cette mesure est largement insuffisante, car elle signifie que l’établissement et le Département seront encore une fois juge et partie », critique Lyes Louffok. L’association Repairs ! préconise plutôt de mettre en place « des cellules de contrôle dans chaque département – avec la préfecture – avec un programme annuel d’inspections conjointes des établissements et services en charge de la protection de l’enfance et de rendre obligatoire l’affichage dans les établissements d’un numéro d’alerte départementale ».

      Au fond, l’ensemble de ces dispositions paraît insuffisant pour prévenir les risques de maltraitance institutionnelle, tant qu’il n’existera pas de normes d’encadrement pour les lieux accueillant des mineurs de l’ASE. En janvier, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, avait bien annoncé la création d’un quota minimal d’encadrement après une enquête de « Pièces à conviction » (France 3) sur les défaillances de l’ASE. Si la mesure figurait dans une version provisoire du texte, elle a disparu du projet de loi soumis au Conseil des ministres.

      Le traitement des assistants familiaux. Un volet vient répondre en partie aux revendications des 40 000 professionnels qui accueillent près de 76 000 enfants placés (en 2019), dont une bonne part s’approche par ailleurs de la retraite. Alors que les salaires varient aujourd’hui du simple au double selon les départements, le projet de loi vise une harmonisation, avec une rémunération minimale pour un enfant confié indexée sur le Smic. Ces assistants familiaux bénéficieront d’une rémunération complète même si toutes les places d’accueil ne sont pas occupées, et leur salaire sera maintenu pendant quatre mois en cas de suspension d’agrément. Alors qu’ils réclamaient d’être intégrés à la fonction publique territoriale, leur revendication est retoquée à ce stade.

      Mesures polémiques sur les mineurs étrangers. Le texte oblige tous les Départements à recourir au fichier dit « d’aide à l’évaluation de la minorité », récemment créé, censé aider les collectivités à repérer les jeunes dont la minorité a déjà été rejetée dans un département voisin, et à lutter ainsi contre le « nomadisme administratif » supposé des MNA. Il contraint les Départements à transmettre leurs décisions de rejet à la préfecture. Sans quoi ils perdront la contribution financière que leur verse l’État pour la prise en charge des MNA (voir nos articles sur ce fichier ici et là).

      « Cette loi va inciter chaque conseil départemental à conventionner avec l’État en échange de financements. La Seine-Saint-Denis, Paris et le Val-de-Marne, qui refusent aujourd’hui d’entrer des informations à caractère personnel dans le fichier, seront pénalisés, décrypte Lyes Louffok. C’est une coercition à sens unique… Parce qu’à l’inverse, on laisse les Hauts-de-Seine faire 560 millions d’euros de réserves alors qu’ils ne construisent pas de places d’hébergement. Cela manque de cohérence et de logique. »

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      Sur ce sujet des MNA, le conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) pointe des dispositions « hors de propos ». Pour l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (une association regroupant des structures à but non lucratif), Jérôme Voiturier estime aussi que « ces articles posent clairement problème, ils n’ont rien à faire dans une loi sur la protection de l’enfance ». Le gouvernement prend d’ailleurs le risque de voir les débats parlementaires se cristalliser sur ce sujet et se détourner du principal…

      Certains Départements n’ont pas attendu, s’agissant des MNA, pour imposer leur approche sécuritaire. Sur le terrain frontalier des Alpes-Maritimes, Esther constate que « les prises en charges se dégradent, l’étayage s’effondre. On nous demande à nous, travailleurs sociaux, de faire de la prévention sécuritaire de la radicalisation et de la délinquance, et on délaisse les familles et les enfants vulnérables. Il faut que la protection de l’enfance redevienne une politique d’État ».

      Alors que le premier tour des élections départementales a lieu dimanche 20 juin, « les collectivités territoriales sont très peu citées dans le texte, constate Jérôme Voiturier. Or, comme le débat parlementaire sur le projet de loi va coïncider avec le renouvellement des acteurs au sein des conseils départementaux, il faut réussir à sortir des difficultés financières et de gouvernance », espère-t-il.

      Le pilote de la protection de l’enfance. Un article du texte institue un nouveau CNPE, qui prendra la forme d’un groupement d’intérêt général, rassemblant des acteurs de la protection de l’enfance et de l’adoption, des représentants des familles, des parents et des enfants. Un ravalement qui paraît insuffisant au regard des recommandations du rapport publié fin 2020 par la Cour des comptes, intitulé « Protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant ».

      De nombreux trous. L’actuel CNPE regrette « un manque d’ambition » général du texte. L’idée d’introduire des avocats spécialisés auprès des enfants au cours des procédures n’a pas été retenue : elle aurait pu aider non seulement à ce que leurs droits soient mieux défendus dans le bureau des juges qui décident des placements et autres mesures éducatives, mais aussi, tout simplement, à ce que ces procédures leur soient davantage expliquées.

      Le texte n’instaure pas non plus de contrôle annuel de l’action des Départements par les services déconcentrés de l’État. Pas plus qu’il n’aborde les conditions de travail des salariés de la protection de l’enfance, confrontés à une crise des recrutements et une grande souffrance au travail.

      Enfin, contrairement aux promesses initiales de l’exécutif, aucune mesure n’est envisagée pour mieux accompagner les jeunes majeurs à l’issue de leur prise en charge par l’ASE, alors que 63 000 sont aujourd’hui à la rue, d’après une évaluation de l’association Repairs !.