• Covid-19 : faute de doses, des Iraniens vont se faire vacciner en Arménie
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    Covid-19 : faute de doses, des Iraniens vont se faire vacciner en Arménie
    Alors que la campagne vaccinale piétine en Iran, de nombreux Iraniens se rendent à Erevan où les doses de vaccins en trop sont offertes gratuitement aux touristes étrangers. Dans la salle à manger de l’hôtel Congress, à Erevan, en cette fin du mois de juin, un joyeux brouhaha résonne en langue persane parmi les clients prenant le petit déjeuner. Entre les convives, majoritairement iraniens, nul besoin de se connaître pour entamer la conversation. Les liens se tissent rapidement et les conseils s’échangent : comment et où se faire vacciner ? A quels effets secondaires s’attendre après la piqûre ? Quel médicament prendre pour arrêter la fièvre et les frissons ? « Je suis complètement courbaturée. Mais mon mari brûlait de fièvre hier soir. C’est pour ça que je ne me plains pas », s’exclame Mina, une Iranienne aux longs cils artificiels, assise face à son mari, Houman, qui sirote son café.
    Alors que la campagne vaccinale en Iran piétine, de nombreux Iraniens se rendent en Arménie voisine, où ils n’ont pas besoin de visa, pour se faire vacciner contre le Covid-19. Dans ce petit pays de trois millions d’habitants, meurtri par une guerre avec l’Azerbaïdjan en 2020, peu de gens sont convaincus de la nécessité de se faire vacciner. Les dirigeants arméniens ont donc décidé, dans le but de promouvoir le tourisme, d’écouler leurs doses de vaccins en trop – l’anglo-suédois AstraZeneca, le chinois Sinovac et le russe Spoutnik V – en ouvrant la vaccination aux voyageurs étrangers. Gratuitement.
    Mina et Houman ont payé un Arménien pour qu’il les guide dans les démarches. Il est venu les chercher la veille à l’hôtel, avec une dizaine d’autres Iraniens, et a tout arrangé pour qu’ils soient vaccinés avec le vaccin AstraZeneca dans une clinique d’Erevan. « On a payé 50 dollars [42 euros] par personne. C’était plus simple que d’aller faire la queue comme tout le monde », glisse Houman, qui passe le numéro de l’entremetteur arménien à une jeune Iranienne, assise à la table d’à côté.
    Un peu plus loin, d’autres Iraniens se donnent rendez-vous une demi-heure plus tard pour aller ensemble au centre-ville où une ambulance, stationnée sur Northern Avenue, sert de centre de vaccination de midi à vingt heures. Un peu après midi, les responsables de l’ambulance ont déjà collecté les passeports de cinquante personnes, toutes iraniennes, les premières arrivées. Assise à une table, une infirmière inscrit les informations de ceux qui reçoivent leur dose sur un certificat, avec mention de la date et du nom du vaccin. Le passeport de Behnam, un Iranien de 27 ans, trône dans la pile des « chanceux ». Il est arrivé la veille et reste trois jours.
    « Le nombre de gens vaccinés en Iran est infime, regrette-t-il. Pour ma tranche d’âge, ils disent qu’il faut attendre l’automne, mais c’est du vent ! » En Iran, seuls 7,7 millions d’Iraniens sur une population de 83 millions ont reçu leur première dose, alors que le pays traverse sa cinquième vague à cause du variant Delta. Le bilan officiel, au 25 juillet, est de 88 800 morts. Mais le nombre de victimes du Covid-19 pourrait être en réalité deux à trois fois plus élevé, selon les analystes.
    De nombreux Iraniens se plaignent que leur deuxième dose ait été retardée ou reportée sine die, faute de vaccins. Ils ne sont que 2,4 millions à avoir un schéma vaccinal complet. La gestion dans les centres de vaccination, parfois bondés, a été chaotique. Une vidéo montrant un homme âgé malmené par un policier, alors qu’il se trouve dans une file d’attente, a suscité une vague d’indignation dans le pays. Des responsables iraniens reconnaissent d’ores et déjà que la campagne vaccinale est un échec et reprochent à la Russie, à la Chine et à Cuba de n’avoir pas tenu leur promesse d’approvisionner l’Iran en vaccins.Behnam a décidé de débourser presque 700 dollars – soit huit fois plus que le salaire minimum – pour se faire vacciner en Arménie parce que son travail – il s’occupe d’une ferme à bitcoins clandestine dans les environs de Téhéran – implique de nombreuses interactions avec ses employés. « J’ai de grandes chances d’attraper le Covid-19, glisse le jeune Iranien sous son masque chirurgical blanc. Ils [les dirigeants iraniens] ne veulent pas dépenser leur argent pour acheter des vaccins. Le Guide [Ali Khamenei] a interdit l’utilisation de vaccins occidentaux pour que l’Iran produise son propre vaccin. Mais ils n’arrivent même pas à mettre leur vaccin Barakat dans les fioles. Tout cela ressemble à un bizutage de la population », glisse-t-il.
    Behnam ne souscrit guère aux arguments de Téhéran, selon lesquels l’embargo américain contre l’Iran est responsable de la difficulté à se procurer des vaccins. « Les sanctions, pourquoi elles sont tombées ? A cause de ce régime ! Et nous sommes obligés de venir nous faire vacciner en Arménie, un pays qui n’est pas du tout développé », s’emporte-t-il. A ses côtés, un autre Iranien vient en aide à l’infirmière arménienne qui écorche un nom persan. Un homme âgé demande à voix haute en persan : « Combien de jours après le vaccin peut-on boire de l’alcool ? Trois jours ? » Quelqu’un lui répond : « Vingt-quatre heures plus tard. » Un autre marchande : « C’est pas possible vingt-trois heures ? »
    Anahita, une Iranienne de 28 ans, suit les échanges et attend patiemment. A 16 heures, elle tentera à nouveau sa chance pour les 50 nouvelles doses qui seront distribuées. Vêtue de blanc et portant une casquette la protégeant du soleil, elle dit donner des cours particuliers d’allemand aux enfants de gens connus dans le cinéma en Iran. « Les célébrités que je connais ont toutes été vaccinées gratuitement. Leurs enfants, leurs parents, même leurs domestiques. Par Pfizer [interdit par le Guide suprême] et Spoutnik. Parce qu’elles sont proches du système. Alors que mon oncle de 70 ans attend toujours sa première dose. Ces gens prennent ce qui nous est dû. Nous, nous avons les moyens de payer ce voyage. Quid des autres ? », s’interroge-t-elle.Non loin de Northern Avenue, Sara, licenciée d’ingénierie électronique de l’une des meilleures universités iraniennes, dit ne pas être pressée pour recevoir le vaccin. Elle doit préparer son entretien de demande de visa d’étudiant à l’ambassade américaine d’Erevan ; Washington n’a plus d’ambassade en Iran depuis la prise d’otages des diplomates américains en 1979.La jeune Iranienne de 27 ans a été admise dans une bonne université américaine et a obtenu une bourse. « Je pars parce que nous avons un mauvais système politique. Il n’y a pas de méritocratie, c’est le règne du pistonnage. Et un professeur d’université titularisé ne reçoit que 800 dollars, explique Sara. Après tant d’années d’études, j’aimerais avoir un salaire qui me permette d’acheter une maison au bout de quatre, cinq ans de travail. En Iran, ce n’est pas possible. »La jeune femme, dont quelques mèches blondes égaient ses cheveux noirs, a perdu d’anciens camarades de classe dans le crash du Boeing d’Ukraine Airlines, abattu par des missiles des gardiens de la révolution, près de Téhéran, en janvier 2020. Sous pression des pays étrangers, cette armée idéologique du pays a fini par reconnaître sa responsabilité. « Après le crash, nous avons manifesté à l’intérieur de l’université. On était très en colère. La réponse du régime a été de nous arrêter et de nous frapper, soutient Sara. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait partir. Que nous ne pouvions rien y faire. Que nous n’aurions pas d’avenir dans ce pays. »
    Comme tous les jeunes Iraniens rencontrés à Erevan, Sara n’a pas voté lors de la présidentielle, en juin, remportée par l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, un ancien juge qui a joué un rôle central dans presque tous les dossiers de violation des droits humains en Iran, dont l’exécution de milliers de prisonniers politiques en 1988. « La dernière fois que j’ai voté, c’était en 2017 [pour la réélection du président Hassan Rohani, partisan de la détente avec la communauté internationale sur le dossier nucléaire], se souvient Sara. C’était notre dernier espoir pour voir si des réformes à l’intérieur du système seraient possibles. Ça n’a pas marché. » Alors que la nuit tombe peu à peu sur Erevan, à 20 heures, l’ambulance quitte Northern Avenue. Des dizaines d’Iraniens ne veulent pas abandonner la file d’attente. Les bagages de ceux qui viennent tout juste d’atterrir dans la capitale arménienne sont posés par terre. Certains vont passer la nuit dans la rue pour être sûrs d’obtenir leur dose le lendemain.

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