• Loi anti-squat : un premier bilan encourageant [pour les propriétaires], Le Monde de la rente
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/05/loi-anti-squat-un-premier-bilan-encourageant_6090571_3224.html

    Le propriétaire d’une maison à Théoule-sur-Mer (Alpes-Maritimes) reprend possession des lieux après un squat, le 10 septembre 2020. PATRICE LAPOIRIE / NICE MATIN / MAXPPP

    Une procédure accélérée et étendue aux résidences secondaires a été mise en place en décembre 2020.
    Par Isabelle Rey-Lefebvre [on s’en souviendra]

    Bernard F. est encore très ému à l’évocation de l’occupation illégale, entre juillet et septembre 2020, de la maison familiale, à Saint-Honoré-les-Bains (Nièvre). Onze mois après avoir récupéré son bien auquel il est très attaché pour y avoir passé ses vacances depuis toujours, il reste choqué par l’attitude arrogante des squatteurs mais aussi et surtout par l’inertie, voire l’hostilité, des gendarmes.
    Bernard F. n’est pas un cas isolé. Plusieurs affaires largement médiatisées cette année ont illustré ce phénomène. Avec toujours le même écueil : des propriétaires se retrouvent démunis face à des squatteurs – qui présentent parfois même des faux baux de location – occupant leur maison, et qu’ils mettent des mois, parfois des années, à récupérer.

    Des manuels du parfait squatteur consultables sur Internet, qui alimentent volontiers le mythe du Robin des Bois, recommandent d’ailleurs aux aspirants de réunir des preuves de leur présence dans les lieux pour valider quarante-huit heures d’occupation. « Squatteurs comme gendarmes croient que ce délai existe, puisque même un site Internet gouvernemental l’évoquait jusqu’à ce que cette erreur soit corrigée, mais il n’a aucun fondement juridique, pas plus que le respect de la trêve hivernale concernant l’expulsion de squatteurs », s’agace Guillaume Kasbarian, député (LRM) d’Eure-et-Loir, auteur d’un rapport, daté du 13 juillet, qui aborde ce sujet, et initiateur d’un amendement à la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (loi #ASAP, du 7 décembre 2020).

    En réalité, ce délai de quarante-huit heures fait référence au délai de flagrance des forces de l’ordre pour constater l’infraction. Or, pour un squat, l’infraction de se maintenir dans les lieux est permanente, depuis la loi du 22 juillet 1992 qui crée le délit de pénétration dans le domicile d’autrui et celle du 24 juin 2015 qui précise l’infraction de violation de domicile. Un délai de quarante-huit heures par rapport à l’entrée dans les lieux ne devrait donc pas s’appliquer. Mais, souvent, les autorités refusent d’intervenir car elles craignent de commettre une violation de domicile.

    Plainte refusée

    C’est ainsi que les gendarmes ont refusé de prendre la plainte de Bernard F. Alerté par les voisins et le maire que la bâtisse, construite à la fin du XIXe siècle par ses arrière-grands-parents, et appartenant à sa mère vivant en Ehpad, était occupée, il raconte : « La maison est restée vide presque un an car nous nous occupions de maman. Je me suis retrouvé face à un couple revendicatif, invoquant le droit d’être là et prétendant entretenir la maison et le jardin… » Lors de sa seconde visite, en l’absence des squatteurs, il rentre dans la maison avec son épouse et des voisins, à l’aide de sa clef, et constate que les placards ont été fouillés, les albums photos et le dossier médical de sa mère épluchés. « Les squatteurs ont alors réapparu, casqués, agressifs, nous traitant de “moutons”, de “collabos” et se prétendant, eux, “libres” et “résistants” ». A leur arrivée, les gendarmes ont demandé à Bernard F. et à son épouse de quitter les lieux, les escortant jusqu’à la porte. « J’en reste effaré, confie-t-il. Ils devaient craindre des violences et semblaient plus préoccupés de garantir l’ordre public. »

    C’est un article dans Le Journal du Centre, paru mi-septembre 2020, et, surtout la vidéo du premier dialogue avec les squatteurs, devenue virale sur Internet, qui ont valu à cette histoire de faire les titres des journaux télévisés. Une pression médiatique forte, notamment le 17 septembre 2020, sur TF1, « jusqu’à la ministre du logement, Emmanuelle Wargon, qui a demandé au préfet d’intervenir », se félicite Bernard F.

    Profitant d’une sortie des squatteurs, les gendarmes les ont interpellés en pleine rue, le 18 septembre, et placés en garde à vue. « J’ai pu récupérer la maison les jours suivants et enfin porter plainte pour, notamment, introduction dans le domicile d’autrui mais aussi vol d’énergie », précise Bernard F. « Le délit de vol d’énergie est d’ailleurs presque plus sanctionné que celui de squat », commente Romain Rossi-Landi, avocat de Bernard F. et spécialiste du droit immobilier, pour qui cette affaire, qui sera jugée le 2 novembre, « illustre bien les difficultés des propriétaires ou, parfois, des locataires pour retrouver la jouissance de leur bien ».

    En 2007, la loi sur le droit au logement opposable crée une nouvelle procédure administrative permettant au préfet de faire évacuer les lieux occupés sans passer par la justice, à condition qu’il s’agisse de la résidence principale de la victime, qu’elle ait porté plainte pour violation de domicile en apportant la preuve que c’est bien le sien, et surtout que l’occupation délictuelle soit constatée par un officier de police judiciaire. L’amendement du député Kasparian adopté dans la loi ASAP a étendu cette possibilité de procédure administrative aux résidences secondaires et à tout logement occasionnel, permettant aux ayants droit de porter plainte et imposant aux préfets d’agir dans les quarante-huit heures de la requête.

    « Il faut faire connaître la nouvelle procédure qui règle la plupart des problèmes, résidence principale ou secondaire, meublée ou pas, murée ou pas, même s’il y a un faux bail établi par un usurpateur… », se réjouit M. Kasbarian. Un premier bilan de son application montre qu’elle est très inégale selon les départements, la préfecture de Paris étant la plus diligente. Au premier semestre 2021, les préfets ont été saisis de 124 requêtes de ce nouveau type : « A Paris, 43 demandes, dont la moitié dans les arrondissements du nord de Paris, ont conduit à 31 évacuations, ce qui est un très bon score, constate le député, tandis que, dans les Bouches-du-Rhône, sur 9 saisines, 7 ont été refusées… Dans d’autres régions, Bretagne, Pays-de-Loire, Centre-Val-de-Loire, Bourgogne-Franche-Comté, il n’y a que très peu de dossiers, et pas du tout en Corse, Grand-Est et Normandie, ce qui n’est pas normal », déplore-t-il. Fait notable : les locataires momentanément absents de leur logement sont aussi victimes de squats, comme le montrent, à Paris, 6 des 31 dossiers traités.

    « Cette loi, qui a vu le jour après la médiatisation très utile de quelques affaires, est un progrès mais encore faut-il convaincre un officier de police judiciaire de se déplacer ou, devant les tribunaux, battre en brèche des jurisprudences établies sur la base du droit au logement décent et favorables aux squatteurs », estime Me Rossi-Landi qui, dans l’affaire d’une jolie maison récemment acquise à Suresnes (Hauts-de-Seine), par des Français expatriés, a dû parlementer longuement juste pour faire constater le squat.
    La procédure accélérée ne joue bien sûr pas pour faire expulser un locataire qui se maintient dans les lieux après un congé, ni pour des locaux autres que d’habitation, par exemple un terrain agricole ou des locaux d’activité, ce qu’avaient réclamé, en vain, des députés LR à l’occasion du débat, en début d’année, dans le cadre de la loi pour une sécurité globale.

    « En dépit de nos recherches, nous n’avons jamais trouvé la référence juridique justifiant un quelconque délai de quarante-huit heures protégeant le domicile d’un occupant sans titre, confirme Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au Logement, qui prône plutôt la réquisition. Nous ne sommes, de toute façon, pas favorables à l’occupation illégale de logements appartenant à des propriétaires privés, mais il y a tant de sans-abri face à trois millions de logements vides qu’il faut que leurs propriétaires les occupent ou les mettent en location. »
    La nouvelle procédure confiée aux préfets et l’observatoire mis en place par le ministère du logement devraient aussi permettre de mieux mesurer le phénomène du squat en France.

    #logement #squat #justice