La gauche, le coronavirus et la mort. Interview de Jean-François Gava.

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  • La gauche, le coronavirus et la mort. Interview de Jean-François Gava.

    B. L. : Depuis plus d’un an, j’ai été consterné de voir l’ensemble de la gauche s’aligner sur le récit officiel du covid, hormis deux petits coups de gueule isolés de Jean-Luc Mélenchon au printemps 2020 et tout récemment. Après avoir été l’idiote utile du néolibéralisme, la gauche n’est-elle pas devenue l’idiote utile du covidisme ?

    J.-F. G. : La gauche a toujours été chez elle du côté de l’État du capital, de l’État de la société-capital ! Depuis août 1914 au plus tard, disons, où ni les nazis ni les bolchos ne jouent encore les repoussoirs utiles pour expliquer les 30 millions de morts de la Première Guerre mondiale (selon Kolko). Elle est tout à fait à l’aise dans cette civilisation totalitaire de l’encasernement, de manière générale. Elle n’aspire qu’au gouvernement, elle respire son air et l’expire, elle ne vit que pour lui.

    Comment pourrait-elle sentir le carnage qui sort de ses enceintes, où elle siège depuis si longtemps ?
    La fin de l’État de droit (comme limitation légale de la violence de classe) à l’intérieur (avec les colonies naguère à l’extérieur) n’est même pas un détail pour elle, elle ne s’en est tout simplement pas rendu compte après le 11 septembre 2001 et le Patriot Act.
    Comment attendre un sursaut de la part des garde-chiourmes de la piétaille salariée ? Elle a toujours incarné la religion du capital et sa foi béate dans le progrès à l’usage du prolo. Au seuil de l’ère capitaliste à proprement parler, avec la Révolution française, la gauche (la vraie, l’historique) éradiquait une caste d’exploiteurs prémodernes. Mais aujourd’hui Pasolini a raison de dire « je suis communiste, pas de gauche ».

    Non, cette police interne du mouvement ouvrier est ce qui pouvait arriver de pire à ce dernier au XXe siècle. Et nous en payons encore les conséquences. Mettre en cause la version officielle des faits, un discours officiel, ça ne l’effleure même pas ! Alors que nous savons que la droite, depuis Edward Bernays, par exemple, pense la construction d’une psychose de masse, dans laquelle nous pataugeons en plein avec cette sinistre plaisanterie « sanitaire ».

    B. L. : Prenons le cas des syndicats, ils sont totalement dans la ligne gouvernementale…
    J.-F. G. : Mais parti et syndicat sont la même galère !
    Rühle, grand biographe de Marx, avait bien vu pendant la révolution allemande rampante des années 1918-1923 que la révolution n’était pas affaire de parti, pas plus que de syndicat (après avoir brièvement cru à la possibilité d’une organisation unitaire, économico-politique).
    L’avènement du machinisme, de l’OP (ouvrier professionnel) après 1870, et pis encore du taylorisme (et ses OS, ouvriers spécialisés) après la Première Guerre mondiale fait jouer à la gauche la carte de l’intégration de la classe ouvrière prolétarisée au sens de « déprofessionnalisée », plutôt que celle de l’interruption du développement moderne, puisque l’outil a été démoli au profit du système des machines.
    Depuis lors, la perspective d’interrompre le cancer galopant de la marchandisation de l’accès aux biens et services est barrée dans le monde développé. Et le tiers-monde a échoué en tentant de l’imiter.
    Tout le monde voit aujourd’hui que le travail-pour-le-capital, même et surtout qualifié, n’est qu’une vaste merde, et ces cons de gauche s’obstinent à vouloir le sauver.
    Non, il faut promouvoir des enseignements ouvriers obligatoires, à outils énergisés sans doute, donc revenir à des formations d’ouvrier professionnel obligatoires dès le secondaire à côté des humanités, des arts et des maths pures, et rendre à sa juste proportion de cabinet des curiosités le rôle des sciences modernes dans l’histoire de la pensée.
    La montée en puissance de l’écologie aurait pu être l’occasion de comprendre à nouveau que la dévastation industrielle du mince biofilm, comme dit Latour, n’était pas une option, même « redistribuée correctement » — à nouveau : c’est-à-dire après avoir oublié que la première victime de la destruction du biofilm a été la race humaine elle-même.
    Mais non ! Les travailleurs pour leurs organisations sont part entière de cette société, avec des intérêts internes à cette société, au lieu de former une contre-société dans le camp ennemi, avec des intérêts disruptifs, incompatibles, en vue de démonter ce vaste camp en question. L’écologie aurait pu revivifier la critique de l’économie politique, elle a été le dernier rappel manqué à la solidarité interspécifique, intraspécifique et même trans-classes contre les classes elles-mêmes.
    Elle aurait pu insister comme réquisitoire implacable contre le mode industriel, c’est-à-dire capitaliste, de produire.
    Au lieu de cela, si elle est le dernier train pris par la gauche, c’est celui qui a pour destination l’accommodement du désastre, c’est-à-dire le désastre lui-même. L’écologie de gouvernement ou le greenwashing, c’est la même chose, qui eux-mêmes ne se distinguent pas du capitalisme de la catastrophe, un capitalisme qui se nourrit du désastre même qu’il engendre, dans un feu d’artifice final. Elle n’est en ce sens qu’un moment du néant en cours, qui brille comme sa solution illusoire.
    Les Verts participent au néant actif du capital lui-même (Sergio Bologna l’avait bien vu) tout en se réclamant d’Illich, qui se retourne dans sa tombe profanée.
    Le Marx anti-valeur avait avant lui déjà subi pareil sort avec ces chiens de marxistes, ignares autant que chrétiens (ou athées, ce qui revient au même, nous le verrons).

    Aujourd’hui, au lieu de pointer les causes d’une pandémie par ailleurs bénigne (pour une fois ?) — déforestation, destruction de l’habitat d’espèces sauvages, élevage industriel et zoonoses —, on communie dans la version officielle, on consent à la violence terroriste d’une psychose voulue et planifiée par les gouvernements-sigisbées de Big Pharma.
    La gauche en général n’est jamais montée dans le train de l’écologie révolutionnaire, que les Verts eux-mêmes avaient déjà abandonné depuis longtemps au déraillement et à la rouille de la quasi-clandestinité. Qui se soucie d’Illich, de Moscovici et de tant d’autres qui, comme eux, voyaient bien que l’écologie politique ne pouvait avoir pour objectif que de démonter la mégamachine ?

    B. L. : Les écologistes et la gauche réclament simplement davantage de lits en soins intensifs…
    J.-F. G. : Exactement ! Ils s’enlisent dans un court-termisme de mauvais aloi, puisque c’est l’accomplissement de la catastrophe en cours elle-même qui point désormais à court terme, prévient entre autres Yves Cochet.
    Au lieu d’enrayer le désastre, ils se proposent de gommer les symptômes.
    Même la médiocrité satisfaite de ces sigisbées et porte-serviettes ne paiera plus du tout très bientôt. Mais plutôt crever que d’esquisser un geste décent, fût-il de pure pensée : c’est la loi de ce monde.
    Ils veulent une société « super-iatrisée » performante, une vaste « maison de repos », organiser un vaste pourrissoir en réalité, un hôpital général efficace qui cultive ses estropiés, ses déficients, ses ectoplasmes humains, à côté de ces autres mouroirs de l’archipel carcéral, pour reprendre la belle image de Foucault, que sont ce qui reste d’usines et les bureaux.
    Beau projet !
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