• Covid-19 : le défi de la vaccination des plus démunis
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    Covid-19 : le défi de la vaccination des plus démunis
    Aller à la rencontre des publics précaires là où ils sont. Là où ils passent. Là où « ils se sentent en confiance », lance Nicole Verdié, responsable du service d’aide à la personne des Restos du cœur de Haute-Garonne. Depuis le début de l’été, les associations qui viennent en aide aux plus démunis profitent des opérations de distribution de colis alimentaires pour les renseigner sur la vaccination contre le Covid-19 et les aider à la prise de rendez-vous. Ici, au centre Grande-Bretagne des Restos, au sein du quartier Casselardit, à Toulouse, tout le monde l’appelle Marie-Do. Un petit gabarit de 1,52 mètre, Marie-Dominique Schadle, ex-infirmière de 75 ans qui cavale avec l’énergie d’une jeune fille, un sac « Flower Happy Summer » à l’épaule, une boîte à chaussures sous le bras. Le sac est rempli de masques qu’elle distribue à tous les bénéficiaires – « On vient de recevoir plusieurs cartons pour adultes, dit-elle, mais pas pour les enfants, c’est dommage, c’est bientôt la rentrée scolaire » – ; la boîte contient des petites plaques de couleur avec des numéros gravés dessus, qui déterminent l’ordre de passage pour pouvoir remplir son chariot.C’est Marie-Do, bénévole aux Restos depuis douze ans, qui accueille les hommes et les femmes qui se présentent à la porte en ce matin du vendredi 20 août, elle qui pose la question du jour : « Etes-vous vacciné ? » Puis, une seconde, en cas de réponse négative : « Voulez-vous vous faire vacciner ? » « Non ! », répond prestement Ahmed, 47 ans, au chômage. Ahmed est d’humeur un peu râleuse. Il a trop chaud, il veut attendre son tour à l’ombre et il ne veut pas du vaccin. Il « attend ». Il ne sait pas ce qu’il attend, mais il attend. « P’t-être que oui, je le ferai, p’t-être que non, p’t-être à la fin du mois d’août », lâche-t-il, un brin sur la défensive. Marie-Do n’insiste pas. « On ne les oblige pas, ils font ce qu’ils veulent, souligne-t-elle. Beaucoup s’inquiètent de savoir s’ils pourront continuer à venir aux Restos s’ils ne sont pas vaccinés. Je leur dis que, pour l’instant, oui, mais qu’on ne sait jamais. En tout cas, je ne fais pas de chantage. »
    Dans le petit jardin de la cour intérieure du bâtiment qui abrite l’association, Raphaële Valsangiacomo et Hassan Ayeva, conseillers mission accompagnement santé de l’Assurance-maladie (CPAM) du département, ont installé deux tables, deux ordinateurs et une affiche : « Prise de rendez-vous vaccination anti-Covid ». Il y a quelques jours, les bénévoles y ont retrouvé une inscription au stylo-bille vert : « On n’est pas des cobayes. » C’est la troisième opération de ce type depuis le 16 juillet au centre Grande-Bretagne, qui compte 355 familles inscrites. Ce programme, mis en place depuis le mois de juin dans une cinquantaine de départements en partenariat avec la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), fait partie des dispositifs « aller vers » destinés à toucher les personnes les plus éloignées des soins, et donc de la vaccination. Sans papiers, sans domicile fixe, sans emploi, sans carte Vitale, sans numéro de Sécurité sociale… « Nous mettons tout en œuvre pour que l’inégalité d’accès aux soins ne se reproduise pas une nouvelle fois », explique Patrice Douret, le président des Restos du cœur, qui comptent 2 000 centres en France métropolitaine et en Corse. L’homme fait référence aux populations précaires qui ont enregistré des taux de surmortalité supérieurs à la moyenne depuis le début de la pandémie. « Dès le départ, ils ont été très nombreux à nous faire part de leur difficulté à comprendre ce qu’est le vaccin », poursuit-il. Problèmes de langue, fracture numérique, réticences de fond… Les raisons pour lesquelles ils ne sont pas vaccinés sont multiples. « Beaucoup de gens sont méfiants, ils entendent beaucoup de choses, confirme Véronique Fréchin, responsable de l’action sociale de l’Assurance-maladie de Haute-Garonne. Mais on ne manie pas la trique. Nos conseillers sont là pour transmettre une information. »
    Ouafaa, 26 ans, et son mari, Rabah, habitent depuis deux ans dans un hôtel d’hébergement d’urgence, près de l’aéroport de Blagnac. Originaires d’Algérie, ils ont deux filles, pas de papiers, pas d’ordinateur et un seul téléphone portable pour toute la famille. « On m’a dit que le vaccin, c’était bien pour éviter le Covid, mais on ne savait pas comment prendre un rendez-vous », explique la jeune femme, dans un français rudimentaire. Enceinte, elle ignore également s’il est indiqué de recevoir la première dose. « Suivez l’avis de votre médecin, recommande Hassan Ayeva. Et, si ça peut vous rassurer, vous pourrez également poser la question à un médecin au centre de vaccination. » lbanais, arabe, russe… Les deux conseillers de l’Assurance-maladie et Marie-Do sont des habitués de Google Translate. Ainsi, quelques minutes plus tard, avec deux femmes albanaises. « Data e lingjes [“date de naissance”] », leur demande Raphaële Valsangiacomo, en leur montrant simultanément l’écran de son ordinateur. Un exercice difficile. Quelques minutes plus tard, un couple originaire du Maghreb se présente devant les conseillers de la CPAM. Ils ne parlent pas français, mais on comprend que la peur du gendarme les avait jusqu’ici empêchés de prendre rendez-vous. Ils sont en situation irrégulière, ils n’ont pas de papiers, pas d’assurance-santé, ils étaient convaincus qu’ils n’y avaient pas droit. « Grâce à nos créneaux prioritaires, on peut leur proposer des dates très rapidement, se félicite Hassan Ayeva. Si on leur donne un rendez-vous dans plusieurs semaines, ils n’iront pas, beaucoup sont en situation de grande précarité, ils ne savent pas où ils seront dans quinze jours. »
    Un processus rapide, efficace aussi avec les plus réticents. Ahlem, caissière de supermarché âgée de 28 ans, pensait que le vaccin était payant. Mais pas seulement. « On ne sait pas trop ce qu’il y a dans ces trucs-là, les effets secondaires, les effets sur le long terme… », explique-t-elle. Mais voilà, elle reprend le travail dans quelques jours. « Je vais croiser 1 000 personnes par jour, je me dis que je n’ai plus trop le choix », conclut-elle. Samson, originaire du Nigeria, ne parle pas un mot de français, il communique en anglais. Accompagné de ses deux jeunes enfants, Marvelous et Precious, il est convaincu que la loi l’y contraint. Aïcha, elle aussi se sent un peu « obligée ». « J’étais pas trop sûre, même les personnels de santé refusent de se faire vacciner, mais avec l’école, les centres commerciaux… Il faut le passe sanitaire… alors bon… » « Sans vaccin, je ne suis pas libre », estime pour sa part Chahinez, 33 ans, originaire d’Algérie. Sur les 1 400 personnes venues chercher des colis dans les différents sites de distribution alimentaire en Haute-Garonne, plus de 200 ont pris un rendez-vous vaccination au cours de la dizaine d’opérations menées entre les mois de juin et août. L’Assurance-maladie du département s’est également associée au Secours catholique, au Forum des réfugiés, à Médecins du monde ou encore à l’université fédérale de Toulouse.

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