L ’abandon de leurs collaborateurs afghans par les puissances occidentales a tourné au tragique en ce mois d’août 2021 à l’aéroport de Kaboul. Les scènes de répression des candidats au départ aux alentours des pistes évoquent Les horizons perdus, un film américain de Frank Capra tourné en 1937. À Kaboul se joue dans l’indifférence le dernier acte de l’injustice néocoloniale.
Dimanche 15 et lundi 16 août 2021, les forces afghanes pro-occidentales se sont évaporées de Kaboul. La route de la frontière pakistanaise était déjà entre les mains des talibans, laissant des dizaines de milliers de collaborateurs des armées et administrations d’occupation de l’OTAN à la merci des événements.
Les scènes à l’aéroport de Kaboul nous ont rappelé 1975 et l’abandon des centaines de milliers de partisans de la présence américaine et du régime sud-vietnamien à la répression du nouveau Vietnam prosoviétique. Certaines photos, restées dans les mémoires, ont montré les dizaines de milliers de boat people qui tentèrent de rejoindre l’Occident durant les années suivantes. Par intérêt, conviction ou tout simplement par besoin, ils avaient œuvré à soutenir et renforcer l’empire plutôt que la résistance anticoloniale.
Cet abandon n’est pas seulement une réédition de 1975. Il fait aussi écho au sort des harkis que l’État et l’opinion française abandonnèrent pour leur grande majorité à l’été 1962, alors qu’on rapatriait en urgence des centaines de milliers de personnes.
La gestion de l’aéroport de Kaboul au moment de l’entrée des talibans dans la ville n’a pas différé de ces honteux précédents. Le comble étant que les insurgés d’hier ne montrent aucune animosité particulière à l’égard de l’armée américaine, alors même qu’elle occupe encore, avec un naturel déconcertant, l’aéroport international du pays et organise assez tranquillement son évacuation. Se faisant, Washington donne à son armée comme principale mission d’en défendre l’entrée aux Afghans qui, la veille encore, travaillaient à soutenir sa présence. Et les talibans de s’employer eux aussi à interdire l’accès des gens à l’aéroport, « au nom de l’honneur » disent-ils, pour donner du sens et de la contenance à cette collaboration.
Une discrimination institutionnalisée
Pourtant, cette discrimination est tout à fait institutionnalisée : alors que des centaines de Français étaient réfugiés dans l’ambassade de France, ils ont appris que leurs collaborateurs afghans — les seuls à vraiment risquer leur vie — ne pouvaient être évacués. En effet, les hélicoptères américains utilisés pour rallier l’aéroport n’avaient purement et simplement pas le droit d’embarquer quiconque n’était pas ressortissant d’un pays de l’OTAN (ou assimilé) ; le protocole officiel de l’US Army l’interdisait....