dans l’hôtellerie-restauration, les départs de salariés se multiplient

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  • « Il va falloir se rendre compte que les gens ne sont plus corvéables à merci » : dans l’hôtellerie-restauration, les départs de salariés se multiplient

    Entre février 2020 et février 2021, le secteur, déjà sous tension, a perdu 237 000 employés. La crise sanitaire a fini par accentuer le malaise de professionnels peu reconnus.


    COLCANOPA

    Où sont-ils passés ? Cuisiniers, serveurs, réceptionnistes, gouvernantes manquent à l’appel dans l’hôtellerie-restauration. Dans une note publiée mardi 28 septembre, la Dares a fait les comptes : en un an, entre février 2020 et février 2021, les effectifs du secteur sont ainsi passés de 1,309 million d’employés à 1,072 million, précise le service statistique du ministère du travail. Soit un solde de 237 00 employés « disparus », résultant de la différence entre 213 000 nouveaux entrants et 450 000 sortants. La Dares précise que ces derniers temps, plus de 400 000 employés majoritairement jeunes arrivaient chaque année dans ces métiers tandis qu’environ 370 000 personnes abandonnaient.

    Interrogés par Le Monde, ceux qui ont rendu leur tablier ont spontanément répondu à une autre question : « Pourquoi suis-je parti ? » « La passion vous porte un temps mais les contraintes finissent par prendre le dessus », a dit l’une. « Il va falloir se rendre compte que les gens ne sont plus corvéables à merci ! », a dit une autre. Issus d’établissements divers, ils témoignent à l’unisson des raisons qui les ont poussés à abandonner ce qu’ils qualifient souvent de « métier passion ».

    Vingt ans de métier et payée 88 centimes au-dessus du SMIC

    Fabienne l’aura exercé vingt-quatre ans (la plupart des personnes interrogées ont requis l’anonymat). Diplômée d’un BTS, elle a été réceptionniste, employée polyvalente, puis assistante gouvernante. Un poste en CDI dans un 5-étoiles dont elle a démissionné en juillet. A un mécontentement latent s’est ajoutée une réouverture post-Covid-19 compliquée.

    Dans l’hôtellerie, la reprise s’est parfois faite en équipe réduite, une partie restant au chômage partiel. « Ils ont privilégié la rentabilité à la qualité. Or, moi j’ai fait le choix d’un 5-étoiles par souci du détail », déplore Fabienne. « On nous a demandé beaucoup de polyvalence pour reprendre avec le minimum de personnel, raconte Malik, 24 ans, ancien réceptionniste dans un 4-étoiles à Paris. Cette période-là nous a tous un peu pourris. »

    « Les clients, c’était comme une Cocotte-Minute dont le couvercle a sauté. On faisait face à des colères injustifiées, raconte encore Bénédicte, 36 ans, ancienne chef de brigade en réception dans une chaîne hôtelière. De plus en plus, les gens s’adressent à nous comme à des machines devant délivrer une prestation. » « Et tout ça pour quoi ? », s’est interrogée Fabienne. « Je veux bien rendre service mais c’est donnant-donnant. Or, il n’y a aucune reconnaissance du travail. Et ce n’est pas que des “mercis”, ça passe par du salaire ! »

    Embauchée en 2012, elle n’a jamais été augmentée. Sur la grille de la convention collective, qui compte cinq niveaux de trois échelons, elle était niveau 3, troisième échelon : payée 11,13 euros brut de l’heure. Soit 88 centimes au-dessus du smic malgré vingt ans de métier et jusqu’à vingt personnes à superviser. L’écart se réduira encore vendredi 1er octobre, quand le smic, indexé sur l’inflation, sera revalorisé à 10,48 euros : elle n’aurait alors gagné que 65 centimes de l’heure de plus qu’au salaire minimum.

    « Management de la terreur »

    « Notre convention collective date du Moyen Age », peste Jeff Fabre, 24 ans, ancien réceptionniste dans un hôtel parisien. De 1997 en réalité. Employeurs et salariés s’accordent sur le fait qu’elle doit être dépoussiérée. D’abord, la grille de classification. En 2010, les partenaires sociaux s’étaient engagés à ce que le premier échelon soit toujours 1 % au-dessus du smic. Il est aujourd’hui bien en dessous. Le 1er octobre, les cinq premiers échelons seront même sous le minimum légal. Dans ce cas, les salariés touchent le smic. Une part croissante se tasse donc au salaire minimum (44 %, selon l’économiste Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques) ou quelques centimes au-dessus, ce qui annihile toute progression.

    Ce déséquilibre croissant entre exigences de flexibilité et montant des salaires a motivé beaucoup de départs. La crise a été un détonateur

    « Là où je travaille, nous avons perdu un tiers des effectifs et beaucoup de cadres : chef de cuisine, gouvernante, chef barman… C’est une terrible perte de compétence pour un hôtel 4 étoiles. Mais un niveau 4 à 11,30 euros de l’heure, ce n’est pas attirant pour les salariés qualifiés », détaille Arnaud Chemain, secrétaire fédéral CGT pour l’hôtellerie-restauration.

    Pour Jeff Fabre, le déclic est venu juste avant la crise. « On subissait un management de la terreur, des changements de planning du jour au lendemain. Mais, en retour, rien ! Le soir de Noël 2019, je me suis dit : “Mais qu’est-ce que je fous là ? A bosser pour des clopinettes, sans majoration du travail du dimanche ni des jours fériés, avec une amplitude horaire énorme, alors que d’autres sont payés pareil pour faire 8 heures-17 heures ?” » Laurianne Pereira était serveuse. « Je finissais parfois à 1 heure du matin, je reprenais de 9 heures à 16 heures et recommençais à 18 heures. On te dit bien que c’est un métier où on ne compte pas ses heures. Mais tout ça pour 1 400 euros net ? »

    Représentants des employeurs indignés

    Ce déséquilibre croissant entre exigences de flexibilité et montant des salaires a motivé beaucoup de départs. La crise a été un détonateur. « Cela fait des années que j’entends des collègues dire “je vais arrêter”, ce n’était que des paroles en l’air. Cette fois, ils sont passés à l’acte », raconte Bénédicte.

    Jusqu’à peu, Xavier, 50 ans, était directeur de restaurant : « On m’embauche pour monter une équipe. » Cet été fut celui de trop. « Il y a vingt ans, le patron était souvent le chef de cuisine. On parlait menu, service, clientèle… Aujourd’hui, je n’ai plus affaire à des restaurateurs mais à des businessmen. On parle marge, coût RH[ressources humaines], rentabilité. Ils sont parfois propriétaires de quinze restaurants, c’est donc que ça marche ! Mais sur quoi on marge ? Pas sur les charges. Sur la matière première ? On ne peut pas descendre au-delà d’un certain point. Donc, le dernier levier, c’est sur les RH. »

    Il rappelle que les salariés sont parfois partiellement payés au noir – ce qu’on nomme le « travail au gris ». « Quand ils ont touché le chômage partiel sur le salaire déclaré, ils ont vu la différence ! » Et évoque l’échec de la baisse de la TVA décidée en 2009 dans la restauration, censée permettre des revalorisations. Une étude de l’Institut des politiques publiques a montré que les gains avaient été majoritairement captés par les patrons.

    Sans nier les difficultés, les représentants des employeurs s’indignent de ce portrait de « nouveaux esclavagistes du XXIe siècle » que l’on fait d’eux. « Nos entreprises ce n’est pas le bagne ! Il y a des mauvais partout, mais il ne faut pas stigmatiser toute la profession. Moi, dans les Alpilles, je paye bien au-dessus de la grille ! », insiste Emmanuel Achard, président de la commission sociale du Groupement national des indépendants.

    Bientôt la fin du « quoi qu’il en coûte »

    Ces dernières semaines, alors que sonne la fin du « quoi qu’il en coûte » pour ce secteur très soutenu pendant la crise, le premier ministre, Jean Castex, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et la ministre du travail, Elisabeth Borne, l’appellent à régler d’urgence son manque d’attractivité.

    Mme Borne a même convoqué les partenaires sociaux le 17 septembre. Une « mise en scène » que le patronat n’a guère appréciée. « On n’a pas besoin qu’on nous fasse la leçon, on est conscient de ce qu’on a à faire. Notre calendrier nous appartient », assène Thierry Grégoire, président de la commission sociale de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie. Il prévoit d’aboutir d’ici au 15 décembre sur la revalorisation de la grille. « On part sur une moyenne de 6 % à 7 % d’augmentation », précise-t-il. Les syndicats attendent plus. « Si on veut que le salarié voit la différence, il faut plutôt augmenter de 10 points », insiste Stéphanie Dayan, secrétaire nationale de la CFDT-Services.

    Lundi 27 septembre, Emmanuel Macron a exaucé un vœu du patronat en annonçant la défiscalisation des pourboires payés en carte bancaire. « On ne demande pas la mendicité », a rétorqué la CGT dans un communiqué. « Ce qu’on veut ce n’est pas des pourboires mais des augmentations de salaires », martèle Arnaud Chemain.

    Un second volet de négociation, d’ici fin mars 2022, doit élargir la discussion. « Il faut faire accepter à nos chefs d’entreprise un meilleur partage de la valeur, acte Thierry Grégoire. Je ne suis pas indisposé à discuter d’un treizième mois, d’intéressement… Mais majorer la rémunération le dimanche, c’est non ! » « Il faut aussi avancer sur les conditions de travail, la coupure en milieu de journée, le travail du week-end…, rappelle Stéphanie Dayan. Peut-être sacraliser un week-end par mois ? »

    Changement de vie

    Dans leur restaurant triplement étoilé à La Rochelle, Christopher Coutanceau et Nicolas Brossard ferment déjà deux jours par semaine. Ils sont aussi propriétaires de deux autres établissements. Avant même la pandémie, ils avaient instauré une septième semaine de congés payés pour compenser les heures supplémentaires. Malgré cela, ils ont vu partir 10 % de leur centaine d’employés. « La question du maintien de nos équipes on se la pose depuis dix ans, mais le phénomène s’est accentué avec la crise, témoigne Nicolas Brossard. Comment faire ? Les clients sont-ils prêts à entendre qu’il faut réduire les amplitudes horaires ? Lorsqu’ils déjeunent à 14 heures, il faut les servir jusqu’à 17 heures, ce qui oblige les employés à enchaîner avec le service du soir. »

    Ancien chef de réception, Cédric Barbereux, 40 ans, est devenu facteur : « Même paye mais beaucoup moins de pression ! »
    « Ceux qui sont partis sont aussi allés chercher des plannings plus carrés ! », opine Stéphanie Dayan. « Le Covid a rappelé aux salariés qu’ils avaient une famille », ajoute Arnaud Chemain. Ancien chef de cuisine, Johann Timores, 51 ans est devenu ouvrier en usine à Niort : « Je gagne 100 euros de moins, mais je ne travaille plus les soirs ni les week-ends. C’est bien mieux en termes de mode de vie. » Selon la Dares, un tiers des salariés partis ont rejoint un autre secteur (commerce, distribution, logistique…). Les autres se sont inscrits à Pôle emploi ou ont amorcé un changement de vie : retraite, création d’entreprise ou formation professionnelle.

    Laurianne Pereira suit ainsi une formation de commerciale dans l’automobile. Jeff Fabre travaille dans un cabinet dentaire : « Je gagne autant qu’un chef de réception avec des horaires de bureau, week-ends et jours fériés ! » Fabienne est formatrice professionnelle pour adulte : « J’ai un meilleur salaire horaire, j’emmène mes enfants à l’école, j’ai des vacances en août et à Noël et je peux télétravailler deux jours par semaine. C’est tout bénef ! »

    Ancien chef de réception, Cédric Barbereux, 40 ans, est devenu facteur : « Même paye mais beaucoup moins de pression ! » Bénédicte prépare les concours de la fonction publique territoriale : « La période du Covid nous a permis de sortir la tête du guidon et de construire un autre projet. »_Fabienne renchérit : « Le Covid a révélé à beaucoup d’employés qu’ils pouvaient faire autre chose, aux patrons d’ouvrir les yeux. »_

    https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/09/29/dans-l-hotellerie-restauration-le-covid-a-revele-a-beaucoup-d-employes-qu-il

    Décidément ça les fume que des salariés usent de leur mobilité plutôt que de la subir. Pour en parler on prend ce qu’on trouve : à part une serveuse, c’est restos étoilés, hôtels chics, chef de brigade, chef de réception, directeurs. Le prisme luxe et salariés à responsabilité. L’angle mort du Monde ressemble souvent à celui d’un semi-remorque qu’aurait ni rétros ni caméras et radars de détection, et un pare-brise tout riquiqui.

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