• Le naufrage réactionnaire du mouvement anti-industriel · Histoire de dix ans - Le Numéro Zéro
    https://lenumerozero.info/Le-naufrage-reactionnaire-du-mouvement-anti-industriel-Histoire-de-di

    « En temps de crise l’extrême droite a pour stratégie de tenter des rapprochements avec l’autre bord de l’échiquier politique. Nous en appelons donc à la vigilance, afin qu’aucune passerelle ne soit établie entre nos mouvements et des courants antisémites, racistes, antiféministes, nationalistes, conspirationnistes, etc., etc., et les personnes qui pourraient être complaisantes à leur égard. » [1]

    C’est par ces mots qu’il y a dix ans les animateurs des éditions #L’Échappée - Cédric Biagini, Guillaume Carnino et Patrick Marcolini - répondaient aux critiques qui leur avaient été faites quant à la présence d’un proche d’Alain Soral, Charles Robin, parmi les auteur·ices de leur recueil intitulé Radicalité, 20 penseurs vraiment critiques. Cet ‘appel à la vigilance’ sonnait alors comme une résolution sérieuse, et ferme.

    De 2008 à 2013, le groupe anti-industriel Pièces et Main d’Oeuvre (#PMO) a dirigé au sein des éditions L’Échappée la collection Négatif. Ce groupe, qui s’était fait connaître pour son opposition aux nanotechnologies, va, autour des années 2013-2014, intensifier ses prises de positions ouvertement antiféministes et transphobes. Celles-ci seront suivies de déclarations islamophobes et de collaborations régulières avec des publications proches de l’extrême-droite telles RageMag, Le Comptoir, ou Limite.

    Le développement violemment antiféministe et raciste de PMO, qui dès 2004 attaquait le « popullulationnisme » des « techno-lesbiennes » [2], devint emblématique des glissements réactionnaires potentiels du #courant_anti-industriel, qui trouvent un terrain propice dans ses tendances à l’essentialisation positive de la « Nature » et sa négation de la pluralité des rapports de domination au profit d’une seule critique, celle du « techno-totalitarisme » des « technocrates » qui menacerait une humanité indifférenciée.

    Il aurait été concevable que le courant anti-industriel (qui a émergé au cours des années 1980 avec la revue post-situationniste l’Encyclopédie des Nuisances devenue ensuite maison d’édition), dont de nombreu·ses membres se revendiquent de l’anarchisme, se distingue de ces offensives réactionnaires en leur sein et en produise une critique émancipatrice. Ni l’un ni l’autre n’est arrivé.

    PMO a continué à évoluer sans encombre au sein du mouvement anti-industriel [3]. Et PMO a essaimé. Des initiatives sont nées, se revendiquant de leur héritage réactionnaire, comme le podcast Floraisons, ainsi que les Éditions Libre et la branche française de Deep Green Resistance (DGR), toutes deux co-fondées par Nicolas Casaux et Kevin Haddock, qui revendiquent une transphobie assumée.

    • Cette brochure semble prendre pas mal acte des critiques faites sur les cartographies à la va-vite des liens entre anti-indus et réacs voire fachos, et du coup détaille immensément plus les griefs de chaque personne importante du mouvement anti-indus français, avec des citations détaillées cette fois des passages problématiques, ainsi que les liens très explicites (et non pas fantasmés) entre telle ou telle personne avec des gens ou des magazines parfaitement ouvertement fascistes ou qanoniste, etc.

      #critique_techno @pmo #PMO #Éditions_L'échappée #Cédric_Biagini #Guillaume_Carnino #Patrick_Marcolini #Charles_Robin #Olivier_Rey #Paul_Cudenec #Anselm_Jappe #Nicolas_Casaux #Nicolas_Bonnani #Éditions_La_Lenteur #Éditions_Le_monde_à_l'envers #Alexis_Escudero #Matthieu_Amiech #Jean-Claude_Michéa #Bertrand_Louard @tranbert #Paul_Kingsnorth #Laurent_Mucchielli #Raphaël_Deschamps #complotisme #antisémitisme

    • Outre ses présupposés idéologiques non explicites mais implicitement présentés comme des évidences indiscutables (px : critiquer la PMA = manif pour tous), ce qui me frappe, c’est cette méthode de #culpabilité_par_association (tel personnage douteux politiquement approuve un bouquin ou une idée, donc ceux qui l’approuvent aussi ou qui ne la dénoncent pas partagent les mêmes positions politiques). C’est un procédé de flic.

      Ce texte se termine avec cet appel :
      « Chacun•e doit faire face à ses responsabilités. »
      C’est pourtant une lettre de #dénonciation_anomyne particulièrement calomniatrice sur certains points - non signée et sans contact pour une réponse.
      Quel courage ont ces gens, quel sens des responsabilités !!!

      Mais il est a craindre que ce torchon ait un certain succès parmi les gens qui partagent les mêmes présupposés idéologiques.

      A suivre...

      Les réponses à ce texte :

      https://seenthis.net/messages/1035286

      #calomnie #sectarisme #gauchisme, etc.

    • Daniel Bernabé
      2018 – La trampa de la diversidad. Ediciones Akal. Colección A fondo. ISBN 978-84-460-4612-7.27​

      Traduction Editions l’Echappée
      2022 - Le piège identitaire : l’effacement de la question sociale

      (je note les deux titres pour les comparer)

      Avant-propos
      Par Patrick Marcolini

      L’IDENTITÉ, LA MANIÈRE dont nous nous définissons et la façon dont les autres nous regardent occupent aujourd’hui une place centrale, déterminante, dans le débat public. Pas une semaine, parfois pas un jour ne passe sans qu’un groupe social, par la voix d’activistes, ne proteste contre les « stéréotypes » qui pèsent sur lui, ne revendique son droit à la « visibilité », ou ne demande une forme ou une autre de « reconnaissance » de ses spécificités. Ce phénomène n’est pas limité à la France, et touche désormais la plupart des pays occidentaux, et même bien au-delà. Partout où il gagne en intensité, la gauche, comme le reste de la société, est sommée de prendre position sur ces questions, et prend généralement le parti de soutenir ces activistes au nom du combat contre les discriminations et pour la justice sociale.

      Toute une partie de la gauche et de l’extrême gauche s’affaire ainsi depuis des années à répandre les principes de l’écriture inclusive, à déconstruire les clichés qui pèsent sur les personnes LGBT, à soutenir l’organisation de groupes de parole non mixtes pour les « racisés », à veiller à ce que la « diversité » soit correctement représentée à la télévision, au cinéma, dans les séries ou les publi- cités et ce ne sont que quelques exemples. Mais en consacrant ses efforts à agir sur les représentations, le langage, les imaginaires, ne risque-t-elle pas de délaisser un terrain plus concret, celui de l’économie et de la conquête d’une égalité matérielle pour tous ? Autrement dit, les questions sociétales ne sont-elles pas en train de remplacer la question sociale ?

      AVANT-PROPOS Page 7

      –—
      Je vous laisse juge de la confusion portée.
      Je n’ai pas lu ce livre, j’en ferai un résumé si j’arrive à en tourner les pages.
      L’actuel résumé serait de type
      Les ennemis de mes ennemis sont mes ennemis.

    • Et je pense que ces diverses assertions (dois-je dire accusations ?) sont récurrentes, et le principe sous-tendu ne date pas d’aujourd’hui. La grande cause passe avant tout. C-a-d que toute revendication qui d’après ses détracteurs s’éloignerait de la « question sociale » tel qu’elle serait définie par les penseurs masculins blancs de la gauche est vouée au pilori. Quitte à traiter les féministes d’identitaires. Du moment que le troupier donne les cartes qu’il vient de rebattre à ses nouveaux amis réacs.

    • C’est très court et c’est du vécu.

      merci @tranbert j’ai lu ton texte sur ton site wordpress
      Je me méfie toujours de la réaction au vécu dans le sens où il nous mène plutôt du mal-vécu vexant à un conflit disproportionné ou mal dirigé. Loin de refuser de me questionner sur les nouveaux types d’investissement de l’espace politique.
      Je ne suis pas théoricienne et je ne fais pas de prosélytisme, j’essaye de m’en tenir à observer mes contemporain·es et leurs modalités de survie.

      Soyons clairs : La gauche (je ne parle même pas de celle au pouvoir) à un problème politique profond et cela ne vient ni des féministes ni des LGBT ni des anti-racistes ou des handicapés. Il faut arrêter de trouver plus petit que soi à taper.

      Ce n’est pas ex-nihilo si les luttes politiques contre les systèmes autoritaires ont perdu de l’attrait en moins de 20 ans. Mais c’est bien une perte d’énergie de contrer les nouvelles générations qui agissent évidemment différemment.

    • Ce qui manque à ce texte, c’est un hommage préalable aux auteurs du courant industriel comme ayant réussi à rendre légitime la critique sociale des technologies, ce qui n’était pas du tout le cas il y a 20 ans.

      Comme cela n’est fait à aucun moment, cela donne l’impression que les auteurs du texte sont totalement indifférents à cette question de la critique des techniques, qui constitue pourtant le cœur, comme son nom l’indique, du courant anti-industriel.

      Du coup, le résultat prend la forme d’une chasse aux sorcières vraiment détestable qui s’intéresse beaucoup plus aux personnes (que l’on cite), qu’aux idées, qui ne sont que survolées.

      Et c’est chiant. C’est confondre l’activité de discernement dans la pensée avec le besoin de s’insérer dans un milieu ou une communauté.

      Parce qu’en suivant les idées plutôt que les hommes, il serait tout à fait possible de s’intéresser aux auteurs du courant-industriel quand ils parlent de technologies, et beaucoup moins quand ils parlent d’autre chose, quand ils s’aventurent sur le terrain glissant de la « culture » avec un risque élevé de dire des conneries.

      Et sur ce terrain-là je trouve qu’il y a eu un égarement, précoce, avec des auteurs comme Christopher Lasch ou Jean-Claude Michéa ("de l’impossibilité de dépasser le capitalisme par sa gauche") comme tentative de faire un lien avec des classes populaires (la common decency de George Orwell) peut-être largement fantasmées comme étant porteuse de « bon sens », le qualificatif de « réactionnaire » souvent revendiqué, pour s’opposer à la gauche progressiste culturellement qui serait l’allié objectif du capitalisme.

      A la fin le résultat n’est pas du tout étonnant. Et ennuyeux, dans tous les sens du terme. Ennuyeux parce que le texte assez dégueulasse dans sa forme sera sans doute difficilement critiquable sur le fond. Ennuyeux parce que rien ne prouve la pertinence pour le progrès de l’humanité d’aller jouer les virtuoses de l’argumentation sur le terrain des identités culturelles ou de genre, des vaccins, du complotisme etc.

    • Un commentaire sur TW :

      sauf que ce texte ne rend aucunement compte des différences entre les courants, tout est mis dans le même sac. Le tout pour élever des digues ? beau projet

      Et je suis d’accord avec la toute première phrase de @deun : des gens qui sont doucement technocritiques en 2023 pataugeraient toujours dans leur techno-béatitude sans les enquêtes détaillées de PMO sur les nanos, sur la technopolice (avant que la quadrature et d’autres utilisent ces termes), sur l’ensemble de la chaine horrible des téléphones mobiles des mines en amont jusqu’aux décharges en aval, et ça 15 à 20 ans au moins avant que ce soit repris (trop tard, une fois que tout est en place). Beaucoup de journalistes ou militants écolo n’ont souvent fait que reprendre les enquêtes de PMO après coup sans trop le dire… Et on peut parfaitement admettre ça tout en les critiquant vertement pour leur égo et leur ironie permanente anti-féministe ces dernières années (et ya largement de quoi citer des saloperies contrairement à ce que dit Creuse Citron https://seenthis.net/messages/1017186)

    • https://comptoir.org/2021/11/16/renaud-garcia-le-militantisme-woke-ne-cherche-pas-a-convaincre-mais-a-rege

      Pour Renaud Garcia dans cet interview l’ennemi principal ce sont les « technologistes » face aux « naturiens ».

      ça simplifie grandement l’analyse de la société, mais ça pose pas mal de problèmes :

      – On se lance dans des batailles un peu vaines contre des gens proches de nous politiquement (à moins de penser que les gens qui luttent contre les discriminations sont forcément infréquentables par ceux qui critiquent les technologies ?), mais qui défendent ou utilisent des outils high tech.
      Ça donne donne des normes de bienséance pour se faire accepter de certains milieux militants, des idéologies qui fonctionnent comme critère d’appartenance d’abord, plutôt que comme base pour rendre intelligible le monde social. Le milieu anti-industriel est-il plus accueillant que les milieux dénoncés par Garcia dans cet interview et n’a-t-il pas lui aussi ses propres codes pour se faire accepter ?

      – La référence à la nature est très souvent problématique quand on fait partie d’un catégorie structurellement dominée. Par exemple une bonne partie du courant féministe a du faire la critique des assignations à des rôles sexués en expliquant qu’elles étaient des constructions sociales qui s’appuyaient sur l’évidence biologique qu’il existe naturellement des femmes et des hommes.

      – Est-ce qu’il existe dans la société un camp unifié défendant le déferlement technologique et revendiquant son existence ?
      Si jamais ce n’est pas le cas, alors le militant anti-tech va devoir passer son temps à essayer de classer les gens en fonction de ce qu’ils disent ou font des technologies... dont l’usage est pourtant rendu obligatoire, comme ils le dénoncent eux-mêmes.

      – Est-ce qu’un groupe social (mettons les ingénieurs et leurs soutiens) entraîne le reste de la société à suivre passivement ce déferlement technologique ?
      Si jamais ce n’est pas le cas, que le phénomène est plus complexe, alors on court le risque de passer à côté d’autres facteurs qui expliquent qu’ils soit aussi compliqué de résister aux technologies.
      Par exemple, comment ne pas voir que les innovateurs de la silicon valley ne sont pas seulement des ingénieurs mais aussi des businessmen qui ont su inventer le modèle économique rendant possible le déferlement de leur technologies ?

      – Que faire des gens qui participent à ce déferlement bien plus passivement, en recevant un salaire par exemple mais en y effectuant des micro-tâches s’insérant dans le grand tout du système technicien ? Les culpabiliser ? Les enjoindre à déserter ?
      On en arrive alors à des considérations sur l’individu qui a le courage de résister et celui ne l’a pas, comme dans cet extrait d’une interview de PMO :

      Les gens qui vous demandent « comment résister » ont rarement envie de le faire ; et concluent souvent d’un air navré que, non, ils ne peuvent ou ne veulent pas faire ce que vous suggérez. En fait, on devrait retourner la question et leur demander, » Et vous ? Que faites-vous ? Qu’êtes-vous prêt à faire personnellement, par vous-même, pour résister, à part faire partie du collectif machin et même d’un tas de collectifs machins ? »

      https://comptoir.org/2021/10/26/pieces-et-main-doeuvre-la-cybernetique-affaiblit-notre-autonomie-de-pensee

      – Finalement on relativise le problème de la montée en puissance de l’extrême-droite, comme le fait Garcia dans cet interview, du fait qu’on trouve à droite des conservateurs dont le conservatisme déborde parfois un peu le champ culturel pour s’intéresser aux technologies d’une façon critique - quoique pour eux c’est une question secondaire et qu’ils pourront facilement changer d’avis sur cette question.

    • @deun @rastapopoulos
      Oulala ! Le niveau monte, le niveau monte : « Cé sui ki di ki yé ».
      Ça sent le naufrage de la pensée biberonnée aux post-modernes.

      Dans sa version initiale comme dans cette préface, Le désert de la critique n’est finalement qu’une tentative, effectuée du fond de ma tranchée, pour révéler ce clivage principal entre technologistes et naturiens. Et faire tomber, par là même, ce mur de stupidité qui nous encercle, et réduit chaque jour un peu plus la pensée à des réflexes conditionnés.

    • lol @tranbert c’est très clairement toi qui vient répondre des ironies fielleuses sans aucun argument suite à une liste de remarques pas spécialement débiles, et ensuite c’est toi qui te plaint du niveau maternelle, c’est un peu l’hopital qui se fiche de la charité non ? :p

      On dirait qu’en fait n’importe quelle critique ne te sied, quelque soit d’où qu’elle vienne… Dès qu’il y a une critique tu réponds par une ironie et un air de « non mais c’est bon on a raison, on nous la fait pas ». Et après ça se plaint à la Garcia qu’il n’y a pas/plus de « critique » ? Mais qui pourrait avoir envie de critiquer et de débattre de quoi que ce soit, vu que ça ne sert à rien dans ces conditions ? (et à quelles conditions plausibles et honnêtes ce serait possible ?)

      Bref faut en avoir du courage après 20 ans d’engueulades ironiques post-situ « je-t’excommunie-avant-que-tu-m’excommunies », pour avoir encore envie de passer du temps à critiquer avec des arguments… (et pourtant yen a qui sont toujours là… on doit être maso :p)

    • Comme c’est Noël, je vais faire un peu de pédagogie.

      Lorsqu’on pose la question :

      Que faire des gens qui ...

      Historiquement il y a eu deux réponses :
      On les envoie en camp de rééducation (solution de gauche),
      On les envoie en camp d’extermination (solution de droite).
      (dans les fait c’était souvent la même chose...)
      Mais qui est ce « on » ?
      C’est la domination !!!

      Historiquement toujours ceux qui ont posé la question « Que faire des pauvres ? » (ceux qui ne sont pas comme nous des rentiers qui vivons confortablement du travail des autres) sont à l’origine du complexe idéologique qui donnera naissance au capitalisme industriel.

      https://sniadecki.wordpress.com/2015/04/23/townsend-1786-1788

      Autrement dit, ceux qui posent ce genre de questions ( @deun ) et ceux qui ne voient pas où est le problème à réfléchir depuis cette position ( @rastapopoulos ) se sont tellement identifiés au point de vue propre à la domination qu’ils ne sont plus capables de comprendre une action politique fondée sur la liberté et l’autonomie des « gens ».

      L’enseignement historique du XXe siècle est (devrait être) que l’ on ne peut pas combattre l’aliénation sous des formes elle-mêmes aliénées , c’est-à-dire en reproduisant les structures hiérarchiques et leur point de vue surplombant.

      Bref, vous avez une conception véritablement réactionnaire de l’émancipation.

      Car ce que vous voulez ce n’est pas l’émancipation. Ceux qui demandent Que faire des gens attendent encore qu’un sauveur, un prince charmant et éclairé, un homme ou une femme providentielle, le père ou la mère Noël (soyons inclusif !) viennent leur dire quoi faire de leur vie et de celle des autres.

      En ce qui me concerne (mais sur ce point je crois pouvoir parler au nom des technocritiques), je n’ai pas pour ambition de devenir Ministre du démantèlement de l’industrie dans un gouvernement décroissant.

      Nous n’allons rien faire des gens qui ... Nous allons poursuivre notre analyse du monde tel qu’il ne va pas et la faire connaître en dépit des calomnies et des imbéciles qui les propagent à travers leurs questions stupides. Les « gens » s’empareront de ces idées ou pas, ils tenterons ou pas d’agir en conséquence.

      Notre critique de la technologie n’a pas pour but de tracer une ligne de démarcation entre « amis » et « ennemis » au sein de ceux qui sont dominés ( @touti ), contrairement à celleux qui nous jettent leurs anathèmes à la figure et n’ont rien de plus pressé que d’excommunier les mécréants et les hérétiques à leur ligne idéologique.

      Notre critique de la technologie est ... une critique de la technologie et de ses conséquences mortifères et aliénantes qui devrait amener chacun en conscience à se poser des questions sur la manière dont il vit et participe à la destruction des conditions de cette vie sur Terre.

      Certains ne veulent pas se poser ces questions. Tant pis pour eux.

      D’autres préfèrent nous calomnier parce qu’ils veulent que personne ne se pose ces questions. Car eux, ils savent quoi faire des gens qui ...

      Et puis il y a ceux qui ont tout oublié ...

      Joyeux Noël !

    • @tranbert répondre avec autant de mépris tient du comique. Ton texte est un prêche de curé où tu donnes à ton « nous » la vérité vraie à inculquer à ceux qui ont des questions stupides. J’ai une question stupide : d’où viens-tu, quel âge as-tu ?

      Cela nous divertira de la question sur l’essentialisme naturiste déversé par certains technocritiques, qui permet leur forte accointance avec l’xdroite et leurs conservateurs de traditions.

      Dommage que tu souhaites rester aveugle à cette problématique de départ (technocritique et conservatisme) dans laquelle les technocritiques se sont vautrés à force de mépris.

    • Je tiens à redire que je n’apprécie aucunement cette brochure Le naufrage... Des personnes qui se reconnaissent dans la critique anti-industrielle ne portent aucunement des positions conservatrices sur le plan culturel. Elles n’ont pas forcément lu les textes cités qui posent problème, mais elles en lu d’autres. Cette étiquette "anti-industrielle" est bien pratique pour mettre tous les auteurs dans le mêmes sacs. Cependant chaque auteur parle en son nom et non pas au nom de tous les anti-industriels.

      Reste que les jeunes générations, très sensibilisées aux questions des discriminations, ne vont pas aller lire les textes de ce courant qui pourraient les intéresser, à cause de certaines prises de positions contraire à leur préoccupation première, qui est pourtant légitime.

      Par exemple PMO dans "Ceci n’est pas une femme" :

      (...) le capitalisme technologique, qu’on le nomme société du Spectacle, société de consommation, société post-industrielle, post-moderne, est tout, sauf raciste, sexiste,
      xénophobe, homophobe, etc. C’est au contraire une condition de sa prospérité que d’être aussi inclusif, ouvert, égalitaire que possible envers les identités de genre, de sexe, d’ethnie, de religion.

      En dehors du fait que ça ne tient pas la route factuellement (oui l’intérêt du capitalisme est bien de vendre, mais une condition de sa prospérité est bien de maintenir les divisions sociales et non les abolir), il y a là bien une prise de position politique de qui tient à se couper de toute alliance avec les gens qui luttent contre des discriminations diverses. Le texte est d’une grande violence, méprisant et souvent alambiqué (ainsi le passage tenant à faire passer la nouvelle droite pour technophile pour mieux assumer le conservatisme social du texte. Il faudrait donc comprendre que PMO n’est pas d’extrême-droite parce que certains de leurs théoriciens ne sont pas à tout moment technocritiques. Absurde. Juste, l’extrême-droite s’en fout, de ce débat.).

      Peut-être que d’autres auteurs du courant anti-industriels se sont positionnés là-dessus, je ne sais pas.

      Pour moi il est clair que simplement critiquer les technologies sans en analyser la dynamique globale capitaliste et marchande fait qu’on va chercher les ressorts de cette dynamique dans des choix, choix qui seraient faits par certaines catégories de la population qui y ont intérêts (la classe technologique).
      Il suffirait alors de s’extraire du champ d’influence culturel de cette classe technologique, pour lui opposer d’autres valeurs. Une forme de culture matérielle plus sobre, à rechercher dans le passé par exemple, qui malheureusement est difficilement détachable de formes sociales elles-mêmes antérieures, que l’on va finir par idéaliser pour cette raison qu’elles étaient liées à un état antérieur du développement technologique.

      Creuse citron dans "A propos de PMO et de la « question trans »" - un texte ne critiquant finalement pas vraiment le "Ceci n’est pas une femme de PMO" - écrit à propos des luttes trans :

      A les croire il n’y a rien d’autre dans leur lutte ; et effectivement on chercherait en vain sur leur site un texte d’analyse générale ou programmatique un tant soit peu conséquent, qui permettrait au moins d’avoir des positions claires à discuter.

      ... sans voir que le même constat peut être fait des texte anti-industriels. Comment leur reprocher plus qu’aux personnes trans luttant pour se faire accepter ? C’est justement cette attention (compréhensible et légitime pour moi) quant à cette fuite en avant technologique qui peut en devenir obsédante, et même malheureusement en faire une question identitaire au sens d’existentiel.
      C’est pourquoi à mon sens tous les milieux militants sont très rapidement problématiques. Leurs causes sont justes tant qu’elles permettent encore de se décentrer et d’écouter le souci des autres.

    • Notre critique de la technologie n’a pas pour but de tracer une ligne de démarcation entre « amis » et « ennemis » au sein de ceux qui sont dominés ( @touti ), (...)

      Effectivement c’était le sens de ma question « que faire des gens...? ». Que faire, dans une critique anti-industrielle se bornant à chercher des ennemis (la classe technologique de Garcia, les technocrates de PMO etc), des gens qui utilisent ou développent des technologies, qui ne le font pas par choix ou selon une idéologie technophile ?
      Comment tu peux assumer que le texte de PMO « Ceci n’est pas une femme » ne cherche pas à se faire des ennemis parmi les personnes dominées ? A moins que tu ne penses que les trans et les femmes ne sont pas des catégories dominées (comme le stipule PMO - cf. la citation plus haut) ?

  • CE QUE SIGNIFIE RÉSISTER

    Entretien du Comptoir avec PMO

    Le Comptoir, « blog socialiste, républicain, anti-utilitariste, décroissant, écologiste », a publié en octobre 2021, un entretien (ici : https://comptoir.org/2021/10/26/pieces-et-main-doeuvre-la-cybernetique-affaiblit-notre-autonomie-de-pensee) autour de notre dernier ouvrage, Le Règne machinal (la crise sanitaire et au-delà). C’était pour nous l’occasion – comme dans la plupart de ces entretiens réalisés par écrit – de creuser certaines notions que nous avons introduites, telles que le « technocène », le « technotope », la « société de contrainte », la « technocrature », et d’esquisser une réponse à la sempiternelle question des fins de débats : « Comment résister à… ? »

    Q) Selon vous, nous ne vivons ni dans l’anthropocène, ni dans le capitalocène, mais dans le technocène, pourquoi ?

    Le terme d’« Anthropocène » est un néologisme du biologiste Eugène Stoermer, forgé au début des années 80 pour désigner une nouvelle ère géologique – et popularisé en 2002 dans un article de Nature, co-rédigé avec Paul Crutzen, le prix Nobel de Chimie 1995. Stormer et Crutzen ne font pas remonter les causes du bouleversement géo-climatique à l’apparition de l’anthropos, voici trois millions d’années, ni même à l’émergence du capitalisme, mais situent le début de cette ère en 1784, année du perfectionnement de la machine à vapeur. C’est-à-dire le début de l’usage des énergies fossiles : la révolution thermo- industrielle.

    Certes, nul ne vit sans laisser d’« empreintes écologiques ». « De tous temps, les hommes » ont pratiqué la politique de la terre brûlée, y compris les chasseurs cueilleurs du paléolithique. « L’Anthropocène » si l’on veut désigner par ce mot la « transformation » de la nature, sa production/destruction par l’animal politique (zoon politikon), a commencé à feu doux avec les chasseurs cueilleurs, fort peu nombreux, fort mal armés, et qui auraient pourtant réussi à éliminer la plupart des grands mammifères rencontrés depuis 125 000 ans, dans leurs migrations (1). La destruction des forêts du nord et de l’ouest de l’Europe, les ravages des sociétés agraires partout dans le monde marquent l’extension du brasier (2). Dès le Moyen-Âge, les mines et forges d’Allevard, dans le Grésivaudan, signalent par leur « exploitation destructrice de la nature », l’avènement de la société industrielle.

    L’embrasement devient général quand, des noces du capital et de la science, jaillissent des forces productives/destructives et une explosion démographique exponentielles. Ni le capital, ni la technologie, pris séparément, n’auraient été capables de tels exploits en si peu de temps. Il fallait l’investissement du capital (public ou privé) pour développer les technologies ; et le développement technologique pour justifier ces investissements (au nom du progrès et du profit). C’est la science, en dépit des gaspillages du capital et de ses propres errances, qui s’est révélé le facteur décisif, par sa capacité à transformer la connaissance du monde en puissance matérielle au moyen de machines. Le capital n’étant lui-même qu’un de ces moyens ou machines subordonnés à cette conquête de la puissance. Et c’est ainsi que nous vivons au Technocène ou – suivant nos géologues – à l’ère technologique de l’Anthropocène. Tous les hommes ont contribué au crime, mais tous n’y ont pas contribué autant suivant leur strate sociale et historique. Les derniers venus, les technologues, montés sur les épaules des générations précédentes, disposent de moyens sans commune mesure avec ceux des chasseurs cueilleurs.

    Le « Capitalocène » dénoncé par Andreas Malm dans L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital est surtout la sempiternelle tentative des anticapitalistes (en l’occurrence un néo-léniniste suédois) de ramener tous les maux à leur idée fixe – « le capitalisme, seul responsable de l’exploitation destructrice de la nature (3) » (Alain Badiou) – et pour en disculper le Technocène, dissimulé dessous. Comme si le productivisme communiste, autrement dit capitalisme d’État, avait été plus ménager de la nature, humaine ou non-humaine (4). Comme si un communisme technologique et prométhéen, régi collectivement par une humanité d’ingénieurs et de scientifiques, par voie d’assemblées, de débats et de votes électroniques, pouvait enrayer l’entropie de l’énergie et de la matière, l’échange inégal entre une société techno-industrielle et le monde matériel.

    Q) Selon vous, l’homme n’est plus connecté au biotope, mais au « technotope ». Qu’entendez-vous par-là ? En quoi cela explique-t-il la crise sanitaire ?

    Jusqu’à récemment, l’humanité, famille du règne animal, vivait en symbiose, heureuse ou malheureuse, avec son biotope – son « lieu de vie ». L’artificialisation et la machination ont transformé celui-ci en technotope, ce monde-machine auquel les humains doivent être intégrés et connectés pour survivre. La pandémie a rappelé avec brutalité notre dépendance au système techno-industriel dans tous les aspects de nos vies - « comment aurions-nous fait sans Internet ? ». C’est désormais notre technotope qui satisfait nos besoins, pourvu que nous obéissions aux lois du règne machinal : non plus vivre, mais fonctionner.

    D’un point de vue matériel, concret, cette connexion s’effectue via l’interface universelle, la cyber-prothèse greffée à homo mechanicus : le smartphone connecté au réseau cybernétique. Le technotope est saturé d’« intelligence ambiante » - de l’anglais intelligence : renseignement – ainsi que les ingénieurs désignent leurs filets électroniques (puces, capteurs, objets connectés, réseaux de communication sans fil) qui piègent les données numérisées, indispensables à l’automatisation de la vie sociale. Puis l’« intelligence » artificielle calcule ces données pour en tirer modèles, indicateurs, profils, décisions et prédictions. La ville-machine fonctionne sur la transmutation en code informatique de la vie directement vécue.

    La machinerie cybernétique doit réguler au mieux les flux et les stocks d’éléments toujours plus nombreux. Désormais, l’organisation rationnelle de l’ordre public - la police des populations, suivant le sens premier du mot « police » – se confond avec le technotope, produit de l’organisation rationnelle de l’homme-machine, toujours plus socialisé et organisé ; tels les composants d’un ordinateur/calculateur.

    Ce monde-machine se construit sur une fiction : on pourrait détruire le biotope sans affecter ses habitants. Remplacer le naturel par l’artificiel n’aurait pas d’effet sur la vie biologique et sociale de l’animal politique (zoon politikon), ni sur les règnes animaux et végétaux. Deux cents ans de cette guerre au vivant (5) ont tué les sols, vidé forêts, savanes et océans, infecté l’air et l’eau, empoisonné l’alimentation et l’environnement naturel, dévitalisé les hommes.

    Entassés sur la terre ravagée, nous piétinons les territoires des grands singes, des chauves-souris, des oies sauvages. Promiscuité idéale pour les contagions (du latin tangere : toucher). Sans oublier le chaos climatique. Si vous craignez les virus et les bactéries, attendez que fonde le permafrost. Tels sont les effets de la destruction de notre biotope et de son remplacement par le technotope.

    Q) Selon vous, nous avons dépassé la société de contrôle et la société de surveillance et nous sommes entrés dans la société de contrainte. Cela s’est-il reflété dans la gestion de la crise sanitaire, du confinement au passe sanitaire ?

    Dans un livre de 2008, Terreur et possession. Enquête sur la police des populations à l’ère technologique, nous distinguions le contrôle de la surveillance et de la contrainte. Les deux premiers sont à l’œuvre depuis des années. Le contrôle à travers les multiples fichiers dans lesquels figure tout individu, auxquels s’ajoutent trois outils de fichage liés à la pandémie : fichiers de malades, de cas contact, de vaccinés, intégrant des données personnelles de santé sans l’autorisation des concernés. La surveillance est quasi ubiquitaire, via les caméras de vidéosurveillance (y compris à reconnaissance faciale), la géolocalisation, la capture des données numériques que laisse derrière elle la cyber-vie, comme avec l’appli de traçabilité (de traque) électronique TousAntiCovid.

    La contrainte n’est ni le contrôle ni la surveillance. Contraindre, c’est faire agir contre son gré, malgré soi, à son corps défendant, tel un pantin ou un robot. Cela n’implique pas forcément la coercition. Nulle loi ne vous impose un smartphone ou Internet chez vous. Mais la suppression des cabines téléphoniques, des boîtes aux lettres physiques des administrations ou des guichets SNCF, l’obligation de déclarer ses impôts en ligne (et bientôt toutes les démarches administratives, selon le plan « Action Publique 2022 » du gouvernement), l’exigence des recruteurs d’avoir des salariés joignables à tout instant, nous contraignent à nous adapter au monde-machine, à la smart city. En 20 ans, une population entière devenue Smartienne a été modifiée à son insu, suivant un modèle qu’elle n’avait pas choisi mais qu’elle a adopté, avec plus ou moins de bonne volonté.

    Cette machinerie cybernétique renforce en retour les moyens de contrainte du pouvoir. Via les réseaux et les objets connectés, celui-ci peut d’une d’une part collecter des informations (flux de données ascendants), d’autre part transmettre des ordres (flux descendants).

    La gestion de la pandémie a mis en lumière ces processus de contrainte. Notre liberté de mouvement est actuellement conditionnée au scan d’un QR code attaché à chaque individu, comme les marchandises dans les entrepôts – et comme les Chinois dont la police des populations nous horrifiait il y a peu, souvenez-vous. Via le QR code, le pouvoir nous pilote de façon centralisée : Vert = Oui / Rouge = Non. Simple et efficace.
    Ce pilotage centralisé est au cœur du projet de smart city, de « planète intelligente » pour une gestion optimale des métropoles. L’algorithme de réservation des VTC détecte si la batterie de votre smartphone est bientôt vide, et fait monter le prix de la course en proportion. Dépêchez- vous. Dans le métro de Londres, les piétons sont ralentis ou accélérés à leur insu par la machinerie des stations (distributeurs de billets, portillons, escaliers roulants, etc), selon les besoin de l’écoulement des flux. Ne vous avisez pas de marcher à votre rythme. Etc.

    Ces exemples concernent le macro-pilotage global de la société-machine, qui nous contraint à suivre les procédures décidées par les concepteurs de la Machine et de ses réseaux. Une société automatisée est une société de contrainte.

    La contrainte s’exerce aussi au niveau micro, individuel, de façon de plus en plus fine. Avec les outils convergents des neurotechnologies et de l’« intelligence artificielle », le règne machinal pousse ses connexions jusqu’en notre for intérieur. Au-delà des drogues et psychotropes chimiques, on voit émerger des cyberdrogues. Nous avons documenté les moyens toujours plus performants des neurotechnologies pour connecter le cerveau à la machine. Voyez nos enquêtes sur Clinatec, clinique expérimentale du cerveau, issue du CHU et du CEA- Minatec de Grenoble. Les équipes du professeur Benabid y testent entre autres des implants neuro-électroniques agissant sur le comportement des individus (pour réguler leurs habitudes d’alimentation, calmer les addictions, etc.). C’est ce que le vaudou et l’Inquisition nommaient autrefois la possession. Une force extérieure au sujet s’empare de lui, le contraint ou au contraire lui interdit certains actes et comportements. Cela se plaide en justice (irresponsabilité pénale). Simplement cette force « extérieure », purement psychique et suggestive autrefois, procède aujourd’hui de moyens matériels, chimiques et électroniques, à la disposition d’un manipulateur high tech.

    Les neurotechnologies ont aussi développé des outils de détection de l’intention, avant l’acte lui-même, utilisées par le neuromarketing. D’où découle le nudge, ces techniques de modification du comportement qui s’appuient sur certains mécanismes neuronaux et manipulent les réflexes anthropologiques. Combinées à la puissance des algorithmes et de l’intelligence artificielle, ces techniques sont capables de profiler les individus et de déterminer les ressorts à activer pour provoquer les réactions réflexes attendues. Comme dit un expert : « l’IA cible, et le nudge transforme ».

    Emmanuel Macron a fait appel aux spécialistes du nudge (l’agence BVA Nudge Unit), non seulement pour sa campagne, mais pour la gestion de l’épidémie. Le décompte macabre quotidien, la comparaison avec les autres pays, ou l’invention d’une « attestation autodélivrée » de déplacement, répondent aux principes manipulatoires du nudge.
    A nouveau, l’objectif est d’éliminer chez les humains leur part d’imprévisibilité, leurs hésitations, ce que ces ingénieurs du comportement nomment des « biais » - bref, d’en finir avec l’humanité vivante et spontanée.

    Le mot « contrainte » vient du latin stringere, « serrer, lier étroitement ensemble ». Voir constriction, boa constrictor. Exactement ce que nous vivons dans le filet de contention électronique qui entrave et oriente nos mouvements et nos choix, telle une camisole de force numérique : l’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine.

    Q) Je vais me faire l’avocat du Diable, mais si cela permet d’améliorer la vie des gens, ou dans le cas de la crise sanitaire, de sauver des vies, quel est le problème ?

    Il faudrait s’entendre sur ce que l’on appelle « améliorer la vie des gens ». Mais adoptons l’opinion façonnée et diffusée par les cybernéticiens, selon laquelle l’automatisation et la machination de tous nos actes nous soulageraient et nous faciliteraient la vie. La machine ayant allégé le labeur physique, devrait aussi alléger nos tâches cognitives et intellectuelles. Ce qu’elle a épargné à notre squelette, elle devrait l’épargner à notre cerveau, prenant en charge le calcul mental, l’orthographe, la mémorisation, la pratique de langues étrangères, l’orientation dans l’espace, l’analyse des situations complexes et toutes nos activités cérébrales. Nos contemporains nous assurent que « c’est bien pratique ». Puis les objets prétendument « intelligents » et la supposée « intelligence artificielle » ont convaincu les humains de leur infériorité et de renoncer à toute initiative. Ainsi le Smartien s’allège-t-il de lui-même en se dépossédant de sa faculté de penser, de décider, d’agir. Qu’est-ce qu’un humain, qui, après avoir renoncé à l’usage de son corps, n’utilise plus son cerveau ? Un amas de chair connecté, sous assistance informatique.

    Ivan Illich a décrit comment le « progrès » technologique devenait contre-productif passé un certain seuil. De même que la sédentarité et le manque d’effort physique attaquent désormais la santé – comme le rappellent les « comorbidités » du Covid-19 -, la cybernétique affaiblit notre autonomie de pensée, y compris l’intelligence du quotidien, et nous contraint en outre à un rythme toujours plus épuisant. La contre-productivité prend la forme du « stress, » de la dépression, du surmenage, mais aussi de la déconcentration, de la perte de mémoire, en un mot de l’abrutissement. La vie s’améliore, en effet.

    La réaction majoritaire de la population à la pandémie témoigne des effets de ce renoncement à l’autonomie de pensée. La demande de prise en charge totale par la Mère-Machine (et ses maîtres) a éclaté avec l’angoisse de la maladie. Seuls des Smartiens conditionnés à demander secours en toute chose à leurs « applis » pouvaient accepter la traque numérique via TousAntiCovid, puis le QR code pour accéder aux lieux familiers. Il ne leur vient même pas à l’esprit que l’on pourrait faire autrement, ni que cette contrainte ne sauve probablement pas de vies ; des soignants en nombre suffisant et des médecins de famille autorisés à suivre leurs patients dès le début de l’épidémie en auraient à l’évidence sauvé plus. Moins d’humains, plus de machines : le monde-machine révèle sa logique mortifère.

    Le cyber-pilotage des masses a franchi un seuil évident à la faveur de cette crise, au nom de la sécurité et de la santé, les habituels chevaux de Troie de la tyrannie technologique. Des habitudes ont été prises, des barrières ont sauté, notamment dans l’acceptabilité des moyens de la contrainte. En témoigne le cynisme glaçant du rapport sénatorial de juin 2021 consacré à l’usage du numérique dans la gestion des futures crises sanitaires (6). Sans oublier le chaos climatique : la population a donné son « feu Vert » (Bernard Charbonneau) à une gestion technologique et tyrannique des crises à venir.

    Notez que la question de l’origine du virus, de la cause de la crise, n’intéresse pas grand-monde. Qu’il soit une zoonose ou issu d’un accident de laboratoire, le Sars-CoV2 est le produit de la guerre que la société industrielle mène au vivant : une catastrophe industrielle. Comme d’habitude, il n’est nullement question de mettre en cause ce qui a produit la catastrophe, afin d’éviter que celle-ci ne se reproduise, mais de trouver dans la fuite en avant technologique les moyens d’en repousser provisoirement les effets. En vue « d’améliorer la vie des gens », on réduit celle-ci à un simple fonctionnement.

    Q) Selon vous, la crise nous a fait avancer vers la « technocrature », c’est-à-dire à la dictature technologique, à la chinoise. N’est-ce pas exagéré ? Nous sommes encore loin du système de notes sociales, par exemple…

    Nous n’assimilons nullement la technocrature à la dictature. Nous prenons soin, au contraire, de distinguer entre la France de Macron où nous pouvons nous exprimer sur Le Comptoir, dans nos livres, nos journaux, et dans la rue, chaque samedi, sans être tués, torturés, ni emprisonnés, et les pays - disons de la Biélorussie au Vietnam - où nous serions immédiatement neutralisés. Nous disons que la Chine constitue un modèle absolutiste de technocratie, au sens où Louis XIV incarne la monarchie absolue, cependant que les États-Unis en constituent le modèle éclairé, au sens où Frédéric II de Prusse et Catherine II de Russie prétendent s’inspirer des lumières de la raison et des philosophes. La technocrature est ce moment, ce glissement – mi-latent, mi- conscient – vers l’avènement du techno-totalitarisme ; l’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine.

    Il ne s’agit pas seulement de contrôle et de surveillance policiers, de « cyber-flicage », mais de l’organisation cybernétique de la société. La véritable organisation d’une polis, cité/société, quels que soient son régime de propriété, ses convictions politiques ou ses croyances religieuses, réside dans son appareillage technique et matériel. Simplement parce que les contraintes technologiques (c’est-à-dire les faits matériels et la rationalité technicienne) l’emportent sur toute autre considération dans les sociétés humaines asservies au principe de réalité, au primat de l’efficacité, et in fine, à leur propre volonté de puissance.

    Toutes les sociétés, toutes les technocraties dirigeantes, tendent vers cet objectif de toute- puissance, toutes cherchent « le seul meilleur chemin » d’y parvenir. Tout au plus devons-nous conserver la distinction entre techno-despotisme « éclairé » (américain, occidental) et techno- despotisme « absolu » à la chinoise, même s’ils interagissent, que chacun présente certains traits de l’autre et gravite vers l’autre, en attendant leur fusion au sein d’un techno-totalitarisme mondialisé.

    L’avènement de cette technocrature avait été dénoncé, il y a un demi-siècle de cela, sous le nom d’« écofascisme », la dictature des ingénieurs Verts, grâce à l’état d’urgence écologique. Voyez les ouvrages de Bernard Charbonneau ou André Gorz. Chacun constate aujourd’hui que cet « écofascisme » était en fait un « technofascisme », si l’on tient à employer cette référence extrêmement définie et datée.

    Tandis qu’enfle la Crise (climatique, écologique, sociale, migratoire, etc.) dont la pandémie n’est qu’un avant-goût, la technocratie mobilise des moyens de pilotage des populations inégalés jusqu’ici, et dont les progrès à venir ne font aucun doute. Quand viendra l’heure du rationnement des ressources – stade ultime d’une gestion rationnelle – la « note sociale » à la chinoise sera une « note verte ». On ne détruit pas la nature sans détruire en même temps la liberté. Voilà pourquoi nous, anti-industriels et naturiens, défendons les deux indistinctement.

    Q) Comment résister à ce rouleau compresseur technologique, qui s’amplifie depuis la crise sanitaire ?

    « Résister » vient d’un vieux mot grec, puis latin, ayant transité par le français ancien sous la forme « ester », « tenir debout », pour produire, entre autres, un doublet « rester/résister ». Rester en arrière, quand la plupart « pro-gressent », vont de l’avant, c’est résister.
    Un manifestant chinois anonyme et solitaire, face à une colonne de chars, a montré en 1989, sur la place de la Paix céleste, ce que signifiait tenir debout face au rouleau compresseur. On peut supposer qu’en « restant en arrière », cet homme est également « resté lui-même », et qu’il a « agi de soi », sans réflexion, parce qu’il n’avait pas d’autre choix, de son point de vue, que de rester debout, face à la progression du rouleau compresseur, blindé, armé et motorisé par la technologie.
    Certains protesteront « qu’ils n’ont pas envie de jouer les martyrs, ni les héros. » Qu’ils ne jouent pas. Qu’ils ne se payent pas de mots. Qu’ils ne prétendent pas à une « résistance » sans prix, ni peine. On ne peut avoir à la fois l’auréole de l’effort et la jouissance du confort. – Enfin, si, on peut.

    On ne compte plus les artistes, les universitaires, les charlatans qui réussissent dans le « catastrophisme positif » ; ni les groupes réunis une fois par mois, autour d’un film ou d’un conférencier, afin de manger une part de tarte aux légumes et de se confirmer dans leur posture « dissidente ». Cependant, quand vient la fin du « débat » et la sempiternelle question, « comment résister à… », on voit vite qu’il n’y a que deux sortes de réponses : les choses « qu’on ne peut pas faire » et celles « qu’on ne veut pas faire ». De sorte que tout ce que l’on peut faire, c’est ce qu’on fait déjà. C’est-à-dire convenir d’une nouvelle réunion, avec un nouveau sujet, un nouveau film et un nouveau conférencier, le mois prochain. C’est l’alter- mondanité, ce qu’un article du Monde Diplomatique, il y a une dizaine d’années, avait nommé « le divertissement militant ». La résistance, il y a des festivals pour ça. Mais George Smiley, l’anti-héros de John Le Carré nous avait prévenus, « il y a toujours une raison de ne pas faire les choses. » Inertie, veulerie, procrastination, étourderie, àquoibonisme, etc.

    Les gens qui vous demandent « comment résister » ont rarement envie de le faire ; et concluent souvent d’un air navré que, non, ils ne peuvent ou ne veulent pas faire ce que vous suggérez. En fait, on devrait retourner la question et leur demander, « Et vous ? Que faites-vous ? Qu’êtes- vous prêt à faire personnellement, par vous-même, pour résister, à part faire partie du collectif machin et même d’un tas de collectifs machins ? »

    A l’inverse, les gens qui veulent résister vous demandent rarement comment faire. Ils résistent. Individuellement et/ou collectivement. Passivement et/ou activement. Spirituellement, intellectuellement, pratiquement, politiquement, juridiquement, etc.
    Le compagnon qui s’en va seul incendier une antenne-relais et se retrouve au trou pour trois ans, ne vient pas d’abord nous demander un avis que nous n’avons aucun droit de lui donner. Il ne consulte que sa conscience et il fait ce qu’il a à faire pour « rester debout » selon son idée. Les manifestants qui défilent chaque samedi contre le pass numérique - et nous avec eux – depuis le 12 juillet, n’ont pas attendu notre appel pour « résister au rouleau compresseur technologique », même s’ils ne le formulent pas forcément ainsi. Quoique nombre de pancartes disent « je ne suis pas un QR-code », ou « Mon métier n’est pas de contrôler les patients/ les lecteurs/les clients », etc. Ou encore celle-ci, brandie au Puy-en-Velay par une vieille dame, « Laissez-nous vivre notre fin du monde tranquilles ».

    Quant à nous, loin de la jactance militante et activiste, nous ne prétendons pas « nous battre », ni « résister », du moins pas au vrai sens que ces mots purent avoir en 1870 ou en 1940 ; mais tout au plus nous débattre et traîner, avancer à reculons, sur le tapis roulant du progressisme machinal où la technocratie nous a embarqués, de gré et de force. Faire cet entretien par mail, et le poster sur un site, c’est admettre que nous sommes aussi les produits et les héritiers de deux siècles de défaite face à l’emballement machinal.

    Ceux qui vivent actuellement sans QR code ni smartphone peuvent témoigner d’une part, que c’est possible, d’autre part que leur vie est contrainte par leur refus même des outils de la contrainte. C’est en cela que nous parlons de techno-totalitarisme : impossible de vivre hors du technotope, même quand on en refuse les connexions à titre individuel. Sauf à choisir l’érémitisme, et encore, sous l’œil de Google Earth.

    Finalement, qui veut « résister » à ce tapis roulant technologique ? A peine les courbes de contamination du Covid-10 semblent-elles s’affaisser, que l’on nous abreuve de « rebond de la croissance », de « reprise de l’investissement » et d’un « retour à la vie normale » présenté comme un dû. C’est à quoi servent la vaccination de masse et la gestion numérique de l’épidémie, derniers avatars de la fuite en avant technologique : à oublier la crise sans réfléchir à ses causes, pour passer au plus vite à « autre chose », c’est-à-dire à la même chose qu’avant.

    D’où la pression des vaccinés et QR codés sur les réfractaires, accusés de ralentir ce retour à la normale. Bref, nous ne voyons guère de désir de résister au techno-totalitarisme dans la population, mais à l’inverse un désir de prise en charge par la technologie de tout ce qui fait la condition humaine, y compris la peur de la maladie et de la mort. Il faudrait pour que nos contemporains se révoltent contre leur mutation en homme-machine que la conscience atteigne un seuil et une masse critiques. Nous n’avons toujours pas trouvé le secret d’apprendre à penser aux poissons, avant qu’ils ne soient dans la poêle. Seul, pourtant, ce travail de l’enquête critique et de la pensée autonome peut trouver ce secret et le divulguer à tous. Quitte, en espérant, à refuser le maximum de connexions afin de montrer l’exemple et de préserver notre for intérieur de l’invasion cybernétique.

    Pièces et main d’œuvre
    Grenopolis, le 6 novembre 2021
    le 26 octobre 2021 sur « Le Comptoir »

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    1 Cf. « Extinction. Body size downgrading of mammals over the later Quaternary », Science n°360, 20 avril 2018, sur www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/science_20_avril_18.pdf

    2 Cf. Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, 2006

    3 Le Monde, 28 juillet 2018

    4 Cf. Marius Blouin, Alain Badiou nous attaque, et nous faisons (humblement) notre autocritique. Mars 2019 sur www.piecesetmaindoeuvre.com Pièce détachée n°87

    5 Cf. J.-P. Berlan, La guerre au vivant, Agone, 2001.

    6 Cf. « Contrainte numérique : des sénateurs lâchent le morceau »
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1525

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    • Le Comptoir, « blog socialiste, républicain, anti-utilitariste, décroissant, écologiste

      Je ne comprends pas, comment, pourquoi se définir comme « républicain » ?

  • Entretien avec Le Comptoir
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article1599

    Toujours en librairie : Le Règne machinal (la crise sanitaire et au-delà). Voir ici

    Le Comptoir, « blog socialiste, républicain, anti-utilitariste, décroissant, écologiste », a publié en octobre 2021, un entretien (ici) autour de notre dernier ouvrage, Le Règne machinal (la crise sanitaire et au-delà). C’était pour nous l’occasion – comme dans la plupart de ces entretiens réalisés par écrit – de creuser certaines notions que nous avons introduites, telles que le « technocène », le « technotope », la « société de contrainte », la « technocrature », et d’esquisser une réponse à la sempiternelle question des fins de débats : « Comment résister à… ? » (Pour lire l’entretien, ouvrir le document ci-dessous.) Lire aussi : Entretien avec La Décroissance La puce dans le vaccin Règne machinal : tout Le Monde savait La (...)

    https://comptoir.org/2021/10/26/pieces-et-main-doeuvre-la-cybernetique-affaiblit-notre-autonomie-de-pensee #Documents
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/entretien_le_comptoir-pmo_.pdf

  • Entretien avec « La Décroissance »
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article1591

    Toujours en librairie : Le Règne machinal (la crise sanitaire et au-delà). Voir ici

    Le mensuel La Décroissance a publié en septembre 2021 un entretien que nous avions réalisé début août. On est en novembre, autant dire que c’est un peu du réchauffé. Il faut avouer que nous défendons les mêmes idées depuis une paire de décennies et que les faits et les événements ne cessent d’apporter de nouveaux exemples pour illustrer notre propos et alimenter nos enquêtes. Ainsi, depuis cet entretien, le « passe » numérique a été adopté en Italie, en Suisse, Grèce, Irlande, Pays-Bas, etc et la technocrature demande maintenant sa prolongation jusqu’à l’été 2022. Qu’à cela ne tienne, si vous voulez une mise à jour, vous pouvez lire notre récent échange avec Kévin Boucaud-Victoire sur le site du Comptoir (ici). (Pour lire (...)

    https://comptoir.org/2021/10/26/pieces-et-main-doeuvre-la-cybernetique-affaiblit-notre-autonomie-de-pensee #Documents
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/entretien_de_croissance_sept_2021.pdf