• Didier Leschi : « L’action des grévistes de la faim a fait apparaître une incohérence dans la politique mise en œuvre », Propos recueillis par Julia Pascual
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/01/didier-leschi-l-action-des-grevistes-de-la-faim-a-fait-apparaitre-une-incohe

    Le patron de l’OFII est chargé d’une mission de médiation à Calais où, depuis plus de trois semaines, un prêtre et deux militants ont cessé de se nourrir pour dénoncer la situation des #migrants. Il se rend sur place, mardi, pour une nouvelle réunion.

    Depuis plus de trois semaines, un prêtre, Philippe Demeestère, et deux militants ont entamé, à Calais (Pas-de-Calais), une grève de la faim pour dénoncer la situation des migrants. Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’intégration et de l’immigration (OFII), fait le déplacement, mardi 2 novembre, et précise les enjeux de la situation au Monde.

    Voilà plus de trois semaines qu’un prêtre et deux militants sont en grève de la faim à Calais pour dénoncer la situation des migrants. Vous avez été chargé d’une mission de médiation le 27 octobre. Qu’est-ce qui fait obstacle à une sortie de crise ?

    Ce qui bloque aujourd’hui, c’est un débat autour de ce que les grévistes de la faim et un groupe d’associations appellent un moratoire sur les évacuations de campements. Depuis cinq ans, l’action de l’administration a permis que ne se reconstitue pas, à partir de petites implantations, la « jungle » qui a été démantelée il y a cinq ans, c’est-à-dire un campement où se sont entassées jusqu’à 10 000 personnes et qui accumulait tous les défauts de ce type de situation informelle : violence, emprise des passeurs, prostitution… une indignité totale. Aujourd’hui, il y a des tentatives régulières d’installer des petits campements par des personnes en attente d’un passage en Angleterre. Le débat avec les grévistes de la faim est un débat sur la légitimité de ces personnes à continuer de stationner à Calais dans de l’habitat informel. Il n’y a pas un droit des gens de demeurer à Calais pour être à portée de main des passeurs. L’Etat ne peut pas laisser libre cours à des traversées de la Manche extrêmement dangereuses. Faire un moratoire tel que proposé par certaines associations, c’est, en réalité, faire le jeu des passeurs.
    Dans le cadre de la médiation, je propose qu’un hébergement soit systématiquement offert aux personnes. Celui-ci ne peut pas se situer à Calais, pour des raisons matérielles, et parce que la dernière fois qu’une tentative d’hébergement en dur s’est faite à Calais, ça a participé au développement de la « jungle ».

    Vous proposez un hébergement systématique lorsqu’un campement est évacué. Ce n’était donc pas le cas jusque-là ?

    Ce n’était pas le cas jusqu’à présent. L’action des grévistes de la faim a fait apparaître une incohérence dans la politique mise en œuvre. Effectivement, les évacuations en urgence n’étaient pas assorties systématiquement d’une proposition d’hébergement. La proposition que je fais, en outre, c’est que ces évacuations ne soient plus faites par surprise mais que les personnes soient prévenues en amont et qu’un délai de trois quarts d’heure leur soit laissé pour récupérer leurs effets personnels.

    Confirmez-vous les confiscations de tentes ou d’affaires dénoncées par plusieurs associations ?

    Il est indéniable que, lors des évacuations, il n’y a pas d’attention portée aux effets personnels. Je considère qu’il y a là un problème. Mais aucun service de l’Etat ne vole ces effets. Pour mettre un terme à la suspicion, il faut laisser un temps pour que les personnes récupèrent leurs affaires, y compris les tentes. Cela dit, s’il s’agit uniquement de récupérer les tentes pour refuser les hébergements et s’installer ailleurs, cette attitude finira par poser problème.
    Lorsque les personnes acceptent d’être hébergées, elles repartent presque aussitôt pour tenter de nouveau de passer en Angleterre.

    C’est un éternel recommencement ?

    Calais est en face de l’Angleterre et les migrants qui y stationnent sont le reflet du chaos du monde et sont, pour certains, les rejetés de pays voisins de la France. La situation ne pourra pas se résoudre du jour au lendemain, il faut l’humaniser au maximum.

    Ne faudrait-il pas négocier avec les Anglais pour qu’ils considèrent ces demandeurs d’#asile ?

    Les rapports avec l’Angleterre se sont complexifiés depuis [que c’est la faute de] le Brexit. Il est difficile de faire fi d’un accord des autorités anglaises. A défaut, dire qu’on laisse passer les personnes dans des conditions dangereuses et pour le seul bénéfice lucratif des passeurs ne résoudra pas le problème.

    Pourquoi les personnes qui se trouvent à Calais ne demandent-elles pas l’asile en France ?

    Il y a des gens qui n’ont jamais demandé l’asile en Europe, il y a des gens qui ont bénéficié d’une protection humanitaire en Allemagne mais qui a pris fin, il peut aussi y avoir des déboutés de l’asile en Europe… On a, aujourd’hui, une image partielle de qui sont ces personnes. Je propose d’ailleurs de faire des diagnostics sociaux pour mieux individualiser les situations. Il y a aussi une forme de mirage anglais et il est difficile de faire comprendre aux gens que l’Angleterre n’est pas le paradis espéré.

    Un des bilans positifs de l’évacuation faite il y a cinq ans et que ceux qu’on a convaincus de déposer une demande d’asile en France, et qui ont été acceptés à ce titre, sont dans des parcours d’intégration aujourd’hui.

    A l’époque, l’application du règlement de #Dublin qui empêche un demandeur d’asile de demander une protection dans un autre Etat que celui par lequel il est entré en Europe, avait été suspendue. Ce n’est pas envisagé aujourd’hui ?

    La non-application de Dublin a été faite au cas par cas, quand les personnes ont accepté de quitter #Calais. Ça ne fait pas partie des choses qu’on met sur la table aujourd’hui et c’est une décision complexe qui ne relève pas de ma compétence.

    En quoi le contexte électoral pèse sur votre mission de médiation ?

    Personne n’a intérêt à ce que les difficultés autour de Calais soient portées à l’incandescence. L’immigration fait partie des sujets qui enflamment une partie de la société française et qu’il faut savoir traiter sans angélisme mais aussi sans oublier qu’on a affaire à des personnes humaines qui sont dans une situation de détresse. Il y a un équilibre à trouver. Le rappel du besoin de fraternité fait partie des prises de position importantes de l’Eglise. J’ai une très grande considération pour des actes comme ceux du père Philippe Demeestère, mais il faut que le sentiment de la vie l’emporte sur des tentations mortifères.