• La Compil’ de la Semaine
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    Chaque semaine, nous vous proposons notre Compil’ de la Semaine : une sélection de dessins de presse à la fois drôles et incisifs, ainsi que des vidéos d’analyse participant à l’indispensable travail d’auto-défense intellectuelle. Bonne lecture et bon visionnage à toutes et à tous ! Dessins de Presse Vidéos Marianne – Aquilino Morelle : « […]

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    • LES ALIBIS DU CAPITALISME

      Alors que la COP26 nous rappelle les effets destructeurs du capitalisme planétaire, on nous rejoue avec le projet de metaverse de Facebook la même pièce qu’avec la 5G, l’intelligence artificielle, les drones, les cryptomonnaies, la reconnaissance faciale ou la géolocalisation qui transforme les smartphones en appareils espions. Sauf que, cette fois, on a affaire à un projet qui n’a même pas l’alibi d’une quelconque utilité.

      Le metaverse, monde virtuel en 3D, nous propose de plonger dans un univers d’avatars au sein duquel on pourra jouer, comme ailleurs, mais aussi, selon Facebook, commercer, dépenser et travailler, c’est-à-dire vivre dans un monde de substitution qui ne sert à rien mais dont la fréquentation addictive devra rembourser les milliards de dollars d’investissement annoncés par l’entreprise. Du développement d’une économie parallèle incontrôlable à une épidémie de schizophrénie numérique, des intellectuels pointent déjà les dangers de ce projet. Mais il faut aller jusqu’au bout du raisonnement, qui conduirait à exiger des Etats qu’ils interdisent de proposer le metaverse au public.

      Marx l’avait écrit dès 1867 : dans le capitalisme, tout ce qui peut prétendre répondre à un besoin devient marchandise (ou service), peu importe que ce besoin naisse dans l’estomac ou dans l’imagination, qu’il soit réel ou artificiellement construit, qu’il relève de l’indispensable ou du futile. Le principe du système, c’est que tout ce qui se vend est légitime a priori et doit pouvoir se répandre, indépendamment de son utilité, de sa qualité ou de ses effets pervers. L’éthique et l’Etat n’ont pas à s’en occuper, les consommateurs sont seuls juges.

      Mais que se passe-t-il lorsque de nouveaux produits ou de nouveaux services font figure de boîtes de Pandore, font craindre que leurs effets délétères l’emportent largement sur leurs bienfaits ? Entre fatalisme et fascination technophile, on nous rappelle la liste des digues qui doivent permettre d’éviter la catastrophe et qui commandent, dès lors, de commencer par laisser faire : la responsabilité individuelle, les parents, l’école et la régulation.

      L’impossible mission assignée aux parents et aux écoles
      Commençons par la responsabilité. La 5G va polluer de manière massive en démultipliant les données véhiculées. Une fréquentation trop assidue des réseaux sociaux provoque des troubles psychiques, surtout chez les mineurs, ce dont ces réseaux sont conscients. On se doute déjà que le metaverse va mettre des utilisateurs fragiles en danger, puisque son but est de les river à cet univers parallèle 24 heures sur 24. Mais ce n’est pas grave : le consommateur est responsable ou censé l’être, il lui appartient d’apprendre le bon usage des outils qu’on lui propose, c’est à lui de maîtriser sa consommation pour éviter qu’elle lui nuise ou qu’elle nuise à la collectivité. Le capitalisme, c’est la liberté de choisir ce que l’on fait de son temps et de son argent : vous n’allez quand même pas en priver nos consommateurs ?

      Bien sûr, dans certains cas, il y va de nos enfants, qui méritent une attention particulière. Ou de la civilisation, lorsque le fonctionnement algorithmique des réseaux sociaux les transforme en vecteurs de haine ou de désinformation. Mais la parade est toute trouvée : les parents et l’école doivent éduquer les enfants et fabriquer ces adultes responsables dont je parlais au point précédent. Que les parents expliquent à leurs enfants le bon usage d’internet, les pièges à la pornographie numérique, les moyens d’éviter le harcèlement en ligne, le nombre d’heures de fréquentation des réseaux à ne pas dépasser… Et que l’école donne des cours d’éducation aux médias, qu’elle enseigne le bon et le mauvais usage des likes, qu’elle alerte sur les effets pervers de la surconsommation, qu’elle forme, elle aussi, des adultes responsables qui éviteront que le système se retourne contre eux…

      En réalité, les parents n’ont pas que cela à faire, ne sont pas armés pour relever ces défis, font face à des enfants dont ils n’ont pas envie de brider les désirs et sont souvent eux-mêmes, tout adultes qu’ils sont, des consommateurs assidus des technologies qu’on les invite à éloigner de leurs rejetons. Quand Netflix fait tout pour nous donner envie d’avaler cinq épisodes d’une série en une nuit, il n’aide pas les parents à jouer les contrefeux. Quant à l’école, elle croule sous les missions d’éducation « citoyenne » : on lui demande de parer à tous les maux sans qu’elle en ait le temps (l’horaire n’est pas extensible), les compétences (qu’elle se débrouille pour inventer les cours et les pédagogies adaptées à ces enjeux) et les moyens (il faut des enseignants formés à ces défis, alors que la pénurie de profs croît d’année en année).

      Agir avant qu’il soit trop tard
      Reste enfin l’alibi suprême : la régulation par l’Etat. On commence par laisser faire, on observe, on constate les dégâts et, quand ils s’avèrent trop lourds, on se demande comment réguler. Sauf que, dans l’intervalle, le phénomène que l’on tente de circonscrire s’est solidement installé, des habitudes sont prises, des emplois sont en jeu : y toucher devient difficile, et un lobbying intense bride l’intervention publique.

      On raisonne comme si force allait rester à la loi, comme si les Etats étaient plus puissants que les entreprises, alors que c’est l’inverse. Les entreprises lèvent des capitaux en Bourse, décident en petit comité et versent des salaires élevés pour s’offrir les meilleurs cerveaux : elles possèdent une réactivité et une détermination qui rend leurs stratégies redoutables. Les Etats, eux, doivent trouver des budgets pour développer leurs politiques, décident au terme d’un processus législatif qui prend des années et qui doit triompher de divisions partisanes, et doivent respecter des règles statutaires et des plafonds salariaux lors de leurs recrutements : ils sont plus lents, plus divisés et moins réactifs que les entreprises, qui gardent un temps d’avance. Face aux géants de la technologie, se fier à la régulation étatique revient à laisser un éléphant se balader dans un magasin de porcelaine en lançant une patrouille de souris à ses trousses.

      Bien entendu, on va me répondre que la réalité est ainsi faite et que l’on n’y peut rien, sauf à verser dans une économie dirigée dont personne ne veut. Le défi, effectivement, est colossal. Mais verser dans le fatalisme serait suicidaire : qu’on le veuille ou non, il faut parer aux effets destructeurs du système, et le faire avant qu’il soit trop tard.

      Vincent De Coorebyter dans Le Soir du 3 novembre 2021

      Source : https://www.facebook.com/groups/batiamourtsou/posts/10159554366446125