• « C’est le moment où je me libère » : dans les mondes virtuels de Roblox, les avatars aident les ados à s’affirmer
    https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2021/11/13/sur-roblox-j-ai-fait-mon-coming-out-sans-que-ca-pose-de-probleme-quand-les-a

    Les murs de sa chambre couverts de posters de Michael Jackson, ses vinyles et ses tee-shirts à son effigie ne suffisaient plus : tous les soirs, il passe désormais plusieurs heures dans la peau de son idole. « Dans ma vie, je n’ai pas trop de problèmes, mais c’est quand même génial de m’éloigner de ma réalité, de m’immerger dans un autre monde quand je rentre d’une longue journée de cours », dit-il en souriant, émerveillé.
    160 millions d’utilisateurs dans le monde

    En quelques années, Roblox, entreprise née dans la Silicon Valley en 2004, est devenue l’une des marques de jeux vidéo les plus populaires au monde chez les moins de 16 ans. Avec son design cubique un peu puéril et ses couleurs criardes, la plate-forme est le plus souvent délaissée par les joueurs sortis de l’adolescence. Les jeunes gameurs en ont donc fait une immense cour de récréation virtuelle, où ils peuvent se donner rendez-vous pour discuter sur le chat, customiser leur avatar et surtout partir à l’aventure parmi les 18 millions de jeux différents disponibles à toute heure du jour et de la nuit.

    Passionnée de Roblox, elle a créé une chaîne YouTube consacrée au sujet au mois de juillet. Avant de tourner ses vidéos, elle imagine avec ses parents des saynètes, qu’ils incarnent ensemble avec leurs avatars. Kiara est désormais parfaitement à l’aise devant les caméras. Avant les tournages, elle enfile une perruque bleu fluo, assortie aux cheveux de son avatar Roblox, et oublie son habituelle timidité pour tenter de divertir ses « pixels » – le surnom qu’elle donne à ses abonnés. Certaines de ses vidéos comptabilisent plus de 75 000 vues.

    Ses camarades d’école sont bien sûr tombés sur sa chaîne, certains disent qu’elle « fait trop la belle ». Elle estime que YouTube l’a aidée à prendre confiance en elle, et surtout à fédérer autour d’elle toute une communauté. « Il est déjà arrivé qu’on me demande de signer des autographes ! », s’exclame la préadolescente, hilare, avant d’assurer qu’elle est aujourd’hui « habituée » à être reconnue dans la rue. Son rêve, c’est de devenir plus tard comédienne.

    « Roleplay », comme une quête identitaire

    Comme le théâtre, la mode ou le maquillage, Roblox permet aux jeunes joueurs de repenser qui ils ont envie d’être aux yeux des autres, et de bâtir des groupes d’amis partageant leurs aspirations. Une logique poussée à son extrême dans la pratique du « roleplay », forme de jeu de rôle en ligne particulièrement immersif. Les gameurs créent un forum de discussion instantanée sur des serveurs comme Discord, et s’attribuent ensuite un rôle fictif au sein du groupe. « C’est comme du théâtre », s’extasie Ruben, lycéen de 17 ans à Lampaul-Plouarzel, près de Brest, dans le Finistère.

    Michael Stora, psychologue et fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, définit Roblox comme un « bal masqué » où chaque joueur peut se parer de différents attributs pour tester les réactions des autres. « L’adolescence est une période de grande fragilité narcissique, où l’on cherche à construire son image de soi au moment même où notre corps se transforme. L’avatar, auquel on donne les qualités qu’on aimerait parfois avoir, permet de compenser ce sentiment de fragilité », précise le psychanalyste.

    Nathan, 14 ans, s’est ainsi inventé il y a quelques mois un personnage de père de famille, dans une période où il se posait beaucoup de questions quant à son identité de genre. « Je suis né assigné fille et les membres de ma famille me perçoivent comme tel, alors que je me considère plus comme un garçon », explique l’adolescent d’une voix calme. Quand il allume son ordinateur, il peut être ce personnage masculin dont l’identité n’est une question pour personne. « Mon alter ego a aidé à ma construction. Au collège, je n’ai encore fait mon coming out qu’à quelques potes, alors que sur Roblox, j’en ai parlé à mes amis sans que ça pose de problème », précise Nathan. Il se sent bien dans ce monde où l’étrangeté est la norme, où ses copains arborent des visages de monstres ou de fantômes.

    Son amie Lucie, élève en 3e à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, a choisi pour son avatar des oreilles d’elfe et des vêtements tout noirs, de style gothique. « Je suis très très très réservée dans la vraie vie. Au collège, je ne parle quasiment jamais », glisse-t-elle d’une petite voix, jointe sur le service de messagerie Discord. Son jeu préféré, c’est Royale High, univers fantastique situé dans un lycée pour étudiants issus de l’aristocratie. Elle y passe parfois des nuits blanches. « C’est le moment où je me libère », dit-elle.

    #Roblox #Réalité_virtuelle

  • « Koh-Lanta » : le steak-frites de la discorde
    https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2021/11/12/koh-lanta-le-steak-frites-de-la-discorde_6101847_4497916.html


    Teheiura, en avril 2021.
    A.ISSOCK

    Sapristi et sacrilège : un glorieux candidat de l’émission de télé-réalité, Teheiura Teahui, a mangé en loucedé. Une exclusion irrévocable plus tard, on examine par le menu les ressorts de cet irrémissible péché de gourmandise.

    En participant cette année à l’émission « Koh-Lanta, La légende » (TF1), Teheiura, aventurier emblématique, ne pensait sans doute pas débarquer sur l’île de la tentation. La tentation, en l’occurrence, n’était pas une vahiné entreprenante, mais un steak-frites, des légumes cuits et des fruits qui lui furent livrés en douce par un accort piroguier… « Nous avons appris et nous avons eu la confirmation qu’à plusieurs reprises, vous avez demandé à des pêcheurs qui passaient au large de la nourriture », lui a fait savoir l’animateur Denis Brogniart, lors d’un conseil de discipline improvisé.

    Après avoir reconnu les faits, l’aventurier, piteux, s’en est expliqué sur les réseaux sociaux : « Un matin, j’ai aperçu une personne. J’ai hésité longuement et puis, finalement, tiraillé par la faim, je n’ai pas su résister, la tentation était trop forte. Je lui ai fait un geste, elle a déposé un peu de nourriture. Je n’ai pas souhaité la garder pour moi, je l’ai donc partagée. Cela s’est passé seulement deux fois, le même jour. Pour la deuxième fois, je n’ai rien demandé. »

    « Ça va me peser toute la vie… », a déclaré Teheiura
    Teheiura a donc été exclu du jeu, et la sentence est irrévocable. « J’ai failli… », a ajouté l’aventurier, lors d’une séance de contrition filmée. « A une règle », lui a soufflé Denis Brogniart. « A une règle », a répété docilement l’aventurier. « A l’éthique de “Koh-Lanta” ! », a ajouté Denis Brogniart, d’un ton grave. Niveau ambiance, on n’était finalement pas très loin des grands procès staliniens. « Ça va me peser toute la vie… », a d’ailleurs cru bon d’ajouter le natif de Papeete, comme s’il avait tué un de ses camarades d’infortune pour un bout de manioc (je rappelle qu’on parle juste d’un steak-frites englouti à la sauvette).

    Le coup de la pirogue-Deliveroo
    Le crime réel de Teheiura ? Avoir insufflé l’imaginaire anachronique de la livraison à domicile dans un programme dont la crédibilité repose sur une esthétique à la Robinson Crusoé. En d’autres termes, avoir fait entrer le hors-champ, l’omniprésente civilisation et son fantasme de disponibilité totale de tout, dans un jeu qui se plaît à feindre la possibilité d’y échapper. « C’est pas parce que tu te commandais une petite 3 fromages le soir que t’es pas un bon aventurier, courage à toi », ironisait, sur Twitter, un certain Axel.
    Derrière la blague, il y a incontestablement là quelque chose de plus profond. Si l’objet réel du jeu est de survivre, dans ce cas-là, tous les moyens sont effectivement bons pour maintenir à flot ses capacités physiques et mentales. Dans la survie, il n’existe pas de règle supérieure à celle stipulant que l’on doit tout mettre en œuvre pour sa propre conservation. Du point de vue de l’« éthique » profonde du jeu, le coup de la pirogue-Deliveroo est incontestablement un coup de maître.