« Jamais les patients ne se sont sentis aussi fragiles et en danger face à un système hospitalier public exsangue »

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  • « Jamais les patients ne se sont sentis aussi fragiles et en danger face à un système hospitalier public exsangue »

    « On ne réécrit pas l’histoire en un claquement de doigts », soulignait récemment le ministre de la santé [dans Libération du 27 octobre]. Pourtant, ni les 12 milliards d’euros annoncés à l’occasion du Ségur de la santé, ni les promesses de voir arriver une nouvelle génération de soignants (dans des délais indéterminés) ne suffisent à endiguer le départ des personnels des hôpitaux publics. Repos fragmentés, plannings irréguliers, manque de reconnaissance, les soignants n’en peuvent plus et cela affecte désormais de plus en plus lourdement les soins.

    Nous attendons des mesures fortes, incitatives et immédiates de la part des femmes et des hommes politiques, représentants de l’Etat et garants de la santé de leurs concitoyens, de notre santé.
    Maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, accident vasculaire cérébral, épilepsie, maladie de Charcot-Marie-Tooth, neuropathies inflammatoires, sclérose en plaques, amyloses, myopathies, amyotrophies spinales, sclérose latérale amyotrophique, myasthénie, dystrophies musculaires… Des maladies neuromusculaires aux maladies neurodégénératives, nous sommes plusieurs millions de personnes malades et proches de patients particulièrement concernés par la fermeture continue de lits dans les unités spécialisées des hôpitaux publics.

    L’accueil et la prise en charge de ces personnes malades aux besoins hétérogènes et complexes requièrent beaucoup de personnel médical et paramédical aux compétences spécifiques. S’habiller, se laver, manger, se déplacer, aller aux toilettes, communiquer, être en sécurité, prendre un traitement sont autant d’éléments pourtant essentiels, mais particulièrement concernés par le manque de personnel.
    Devons-nous rappeler la valeur constitutionnelle de la protection de la santé dans notre pays ?

    « Désertion sanitaire »

    Il est clair qu’aujourd’hui, en France, dans les services de neurologie, faute de personnels, la réponse aux besoins des malades n’est plus adaptée. Si nous ne voulons pas voir arriver une catastrophe sanitaire d’une tout autre nature que celle que nous venons de vivre, il faut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin pour attirer et retenir les personnels dans les unités de soins.

    Bien que nous ne disposions hélas pas de chiffres très précis, nous constatons que certains services ont dû fermer parfois plus de la moitié de leurs lits. Si les hôpitaux de l’AP-HP sont souvent mis en lumière, en réalité, bien peu d’établissements publics échappent à ce mouvement de « désertion sanitaire » d’une ampleur inédite.
    Au-delà, n’oublions pas que l’hôpital public est un acteur majeur dans la mise en application de soins hautement techniques, dans l’évolution des connaissances à l’origine d’innovations pour les malades de demain ou encore dans la délivrance d’une expertise hautement spécialisée.

    150 à 200 jours

    Soins suspendus, décalés par manque de ressources humaines qualifiées, chaque jour le fardeau qui pèse sur les malades et les familles les conduit à se tourner vers des associations qui n’ont de cesse d’alerter.
    Des maladies neuromusculaires aux maladies neurodégénératives, nous sommes plusieurs millions de malades et proches de patients concernés par la fermeture continue de lits dans les unités spécialisées des hôpitaux publics

    Dans certains hôpitaux, les prises en charge programmées sont décalées de 150 à 200 jours. Comment expliquer à un malade que son accès aux soins n’est plus garanti ou que le maintien de son autonomie physique n’est pas assuré par notre système de santé ? Et que faute d’accès à son traitement habituel, il va perdre l’usage de la marche, de ses membres supérieurs et qu’on ne sait pas si, quand et comment il pourra récupérer ?
    Nous aurions pu croire qu’avec la pandémie et les difficultés d’accès aux soins pour les malades chroniques, une prise de conscience politique et sociétale était en marche. En réalité, ce sont les soignants qui ont pris conscience des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier et qui massivement ont décidé de partir ; et l’on constate combien ils sont de loin plus réactifs que la mise en œuvre d’une nouvelle politique de santé…
    En fait, jamais les patients ne se sont sentis aussi fragiles et en danger face à un système hospitalier public lui-même exsangue.

    Maltraitance professionnelle

    Le ministre de la santé évoquait récemment une « situation compliquée ». A y regarder de plus près, les choses nous paraissent extrêmement simples. Il ne s’agit pas seulement de former plus mais avant tout de revaloriser de manière conséquente une profession dont on a laissé le statut en totale désuétude pendant des années.

    Il faut cesser cette forme de maltraitance professionnelle auprès de soignants qui, au-delà de questions salariales, se sentent aujourd’hui épuisés et plus que tout malmenés par une administration incapable d’entendre les propositions et de mener des changements structurels permettant d’offrir des conditions de travail et des moyens pour une prise en charge de qualité.
    Il semble désormais indispensable pour le ministère de la santé à travers son administration hospitalière de reconstruire une confiance perdue, et cela passe par des actes forts. Gageons que nous trouverons rapidement une issue pour rebâtir ensemble, quoi qu’il en coûte…

    Liste des signataires : Alain Derbesse, président de l’Union pour la lutte contre la sclérose en plaques (Unisep) ; Olivier Heinzlef, président de la Ligue française contre la sclérose en plaques ; Joël Jaouen, président de France Alzheimer et maladies apparentées ; Martine Libany, présidente de Charcot-Marie-Tooth et neuropathies périphériques France (CMT-France) ; Christophe Lucas, président d’Epilepsie France ; Françoise Pelcot, présidente de l’Association française contre l’amylose ; Jean-Philippe Plançon - Président de l’Association française contre les neuropathies périphériques ; Pascale Ribes, présidente d’APF France Handicap ; Didier Robiliard, président de France Parkinson ; Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’Association française contre les myopathies (AFM)-Téléthon.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/15/jamais-les-patients-ne-se-sont-sentis-aussi-fragiles-et-en-danger-face-a-un-

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