un procès sous le signe de la toute-puissance masculine et du déni de la parole des femmes – Le blog de Christine Delphy

/chronique-judiciaire-alexandra-richard-

  • Chronique judiciaire. Alexandra Richard humiliée, niée et condamnée : un procès sous le signe de la toute-puissance masculine et du déni de la parole des femmes

    La justice refuse une nouvelle fois la légitime défense à une femme victime de violences conjugales. Retour sur un procès honteux, théâtre d’humiliations et de dénigrements, qui culpabilise et revictimise les victimes .

    chronique-judiciaire.-alexandra-richard-humiliee-niee-et-condamnee-un-proces-sous-le-signe-de-la-toute-puissance-masculine-et-du-deni-de-la-parole-des-femmes-1-800x445-1

    Alexandra Richard vient d’être de nouveau condamnée en appel à 10 ans de prison pour homicide volontaire sur la personne de son conjoint violent, Sébastien Gest. Ce verdict inique et presque impossible à croire est tombé le samedi 23 octobre à 20h30. La Cour d’assise d’Évreux a rendu quasiment le même verdict qu’en première instance (novembre 2020). N’avons-nous rien appris sur la légitime défense des femmes victimes de violences conjugales depuis les affaires Alexandra Lange (acquittée en 2012, à la demande du procureur Luc Frémiot) et Adriana Sampaio (acquittée en 2020) ? Ni rien sur le phénomène d’emprise – pourtant entré dans le code pénal via la loi du 30 juillet 2020 – depuis Jacqueline Sauvage (graciée en 2016) ou Valérie Bacot (libérée en 2021) ?

    Ce procès tout entier traduit l’incapacité de la justice à comprendre le phénomène des violences conjugales et ce qu’elles produisent sur les victimes en termes de psychotraumatismes, de mémoire traumatique, de souvenirs parcellaires. On a accusé Alexandra Richard d’être dans la « surenchère », d’en rajouter sur les violences qu’elle a rapportées durant le procès. Pourquoi ? Parce qu’elle n’avait jamais mentionné certaines de ces violences auparavant. Elle aurait dû se souvenir de tout, tout dire, dès la première audition par la police pendant les 48h de garde à vue qui ont suivi le drame, alors même que la défense a fait valoir que les gendarmes ne lui ont pas laissé la possibilité de livrer un récit plus complet, qui lui aurait permis de recontextualiser son geste. Lors de ces deux auditions, trop courtes, on lui a demandé par deux fois d’abréger son discours sur les violences vécues avec Sébastien Gest, et d’en venir aux faits du 16 octobre 2016, jour du drame.

    Un procès hors normes dans sa tenue

    Ce procès s’est déroulé de manière honteuse : l’avocat général, Patrice Lemonnier, a maintenu durant cinq jours une posture archaïque et patriarcale, volontairement provocatrice. Il s’est permis de crier sur les témoins et les experts dès lors que ceux-ci étaient en faveur d’Alexandra, leur coupant même la parole, les intimidant à loisir, sans jamais être rappelé à l’ordre par la Présidente, Julie Arzuffi. Cette dernière n’a mené aucune police d’audience durant le procès, laissant l’avocat général, en roue libre, tenir des propos ouvertement sexistes, gratuitement offensants, des commentaires désobligeants clairement en rupture avec les obligations de déontologie des magistrats.

    Nous pouvons même affirmer qu’elle a joué un double jeu : d’apparence calme et posée – on aurait pu penser qu’elle assurerait la sérénité des débats –, elle a été la caution de l’attitude inqualifiable du procureur. Elle a vraisemblablement fait preuve d’une extrême dureté au moment des délibérés, puisque le verdict a porté à 15 ans l’interdiction pour Alexandra Richard de porter une arme – mesure certes automatique en cas d’homicide – soit 10 ans de plus qu’en première instance ! Comme si elle était dangereuse pour autrui, alors que le risque de récidive a été explicitement écarté par tous les experts psychiatres, qui ont dépeint Alexandra Richard comme une personne à la construction psychologique saine, sans profil criminogène.

    L’interdiction de port d’armes, mesure qui aurait pu être utile et efficace si elle avait été imposée à Sébastien Gest – un homme violent passionné par les armes, condamné en 2001 pour violences volontaires aggravées par préméditation et usage d’une arme et contre lequel plusieurs femmes avaient porté plainte – est, dans un renversement de la réalité, appliquée à sa victime qui a cherché à défendre sa vie. Cette interdiction de porter une arme aurait dû frapper en premier lieu l’agresseur d’Alexandra Richard, ce qui l’aurait en partie protégée (il l’a plusieurs fois menacée de mort avec des fusils qui pouvaient être chargés).

    Cette peine infamante qui ajoute 10 ans à l’interdiction de port d’arme, prouve la coloration politique de ce procès : on ne traite pas les femmes et les hommes de la même manière, on ignore la volonté de tuer de Sébastien Gest mais on prête à Alexandra des intentions criminelles qu’elle n’a jamais eu !

    Ironie ! Car tout le long du procès, on a reproché à la défense et aux soutiens féministes d’Alexandra de politiser les faits, comme si le politique ne se trouvait que d’un côté… Tout est politique ! Toute parole est évidemment située, aussi bien celle de l’accusation que celle de la défense, aussi bien celle d’une justice patriarcale que celle des associations féministes. C’est un discours typique et récurrent du conservatisme que d’attacher les termes « militant », « partisan », « politique » au camp progressiste.

    Le but de la manœuvre, menée principalement par l’avocat général, était de rejeter toute recontextualisation des faits. Il a par exemple cherché à discréditer et à dénigrer, avec l’appui de la Présidente, un témoignage clé : celui de la présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (voir ci-dessous). L’autre finalité était de faire peur aux jurés, avec ce mot lâché comme un danger, « politique », assorti d’une connotation volontairement péjorative, comme pour dire aux jurés qu’ils risquaient d’être manipulés par quelque chose qui les dépasse, or personne n’aime se sentir manipulé. Mais lorsque l’on appuie sur des peurs et que l’on convoque des stéréotypes issus de notre imaginaire patriarcal commun, dans lequel les hommes sont injustement accusés et les femmes sont des menteuses, dans lequel les agresseurs ont des excuses et les victimes l’ont bien cherché, on obtient souvent ce que l’on veut… C’est ainsi que l’obscurantisme, dans ce procès, a triomphé au détriment de la vérité.

    EXTRAITS DES DÉBATS
    ...

    https://christinedelphy.wordpress.com/2021/11/11/chronique-judiciaire-alexandra-richard-humiliee-niee-et-c