Pourquoi les statues égyptiennes n’ont-elles plus de nez ?

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  • Pourquoi les statues égyptiennes n’ont-elles plus de nez ?
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    Les statues de l’Antiquité sont bien souvent privées de leur appendice nasal. Et ce n’est pas qu’une question de fragilité : loin d’être victimes des affres du temps, ces statues ont souvent été volontairement détériorées par des ennemis politiques, des pilleurs de tombes ou encore des chrétiens.

    Si l’on se fie à l’album d’Astérix et Cléopâtre, c’est Obélix qui, en tentant d’escalader le célèbre Sphinx, aurait irrémédiablement abîmé le nez de la statue. Les albums de Goscinny et Uderzo n’étant pas particulièrement reconnus pour leur véracité historique, l’origine de cet outrage nasal semble être tout autre. La légende veut qu’un boulet de canon tiré par les armées de Bonaparte ait amputé le sphinx de son appendice. Mais la vérité archéologique semble bien différente : le nez a été volontairement détruit.

    A en croire les écrits d’Ahmad al-Maqrîzî, historien égyptien du XVe siècle, le nez du sphinx aurait été supprimé lorsque le sultan Mohammed Sa’im al-Dahr a détruit ce qu’il considérait comme une idole païenne au cours du XIVe siècle, avant d’être attrapé et pendu par les paysans qui déposaient des offrandes au Sphinx pour favoriser leurs récoltes.
    Avoir du nez… ou pas

    “Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé”, affirmait Blaise Pascal. Au même titre que celle du Sphinx, les statues de Cléopâtre privées de leur nez - fusse-t-il plein de grâce et impérieux - sont légion. Et il ne s’agit pas que de la Reine d’Egypte, mais bel et bien d’innombrables statues dont le nez s’est mystérieusement volatilisé.

    Logique, est-on tenté de penser : les affres du temps ont fait leur ouvrage et ont privé ces sculptures de ce qui dépassait et s’avérait un peu trop fragile. Il n’en est rien, assure de son côté Edward Bleiberg, égyptologue au Brooklyn Museum de New York : “ll est tout à fait possible que quelques statues égyptiennes antiques aient été abîmées par les outrages du temps. C’est vrai que le nez est fragile. Cependant, un examen attentif de nombreuses statues révèle des traces de coups de burin. Ces marques indiquent qu’un sculpteur professionnel a volontairement enlevé le nez”.

    Et si le nez est une cible de choix, il ne s’agit pas de l’unique partie à être volontairement détériorée : “En plus du nez, les yeux, la bouche ou encore les oreilles, voire la tête entière, pouvaient être détruits. Les bras et les jambes, ou bien les mains et les pieds, étaient également souvent abimés”, poursuit l’égyptologue.

    Mais pourquoi donc priver des statues de leurs appendices ? “Il y a à la fois des raisons politiques et religieuses qui justifient d’abimer des statues, précise Edward Bleiberg. Les dégradations ont pour objectif d’empêcher la statue de remplir son rôle”. Au cours de l’Antiquité, les statues ne sont pas considérées uniquement comme des représentations : elles sont, aux yeux des peuples antiques, une véritable incarnation spirituelle :

    "Dans les temples ou les tombes, la partie endommagée est la partie qui avait une fonction pendant un rituel. Si le rituel requiert que la statue sente, voie, entende ou encore mange, alors le nez, les yeux, les oreilles ou la bouche étaient détruits pour empêcher le rituel de fonctionner. Si la main ou le bras droit était supprimé, c’était parce que l’esprit dans la statue acceptait les offrandes avec la main ou le bras droit. En revanche, lorsque le bras ou la main gauche est détruit, c’est pour empêcher l’esprit d’offrir une bénédiction à l’aide de son bras ou de sa main gauche. Les pieds ou les jambes sont détruits lorsque l’esprit a besoin de marcher vers l’offrande pour rendre le rituel efficace. L’idée fondamentale, c’est que la partie du corps qui est nécessaire pour terminer le rituel est détruite pour empêcher qu’il soit réalisé."

    Les statues sont donc bien souvent détruites pour saper “l’aura” d’un opposant politique ou religieux. “En Egypte, la plupart des nez ont été cassés à l’époque pharaonique (environ 3 000 av. J.-C. à 284 apr. J.-C.) ou bien ou à la fin de la période antique (234 à 700 apr. J.-C.), détaille Edward Bleiberg. À l’époque pharaonique, les anciens rituels étaient encore pratiqués et le but des dégradations était d’empêcher un individu ou un roi de tirer profit du rituel." La destruction des statues est d’ailleurs strictement interdite : "Il existe de nombreuses inscriptions dans les tombeaux, à toutes les époques, qui maudissent quiconque endommage les statues ou les bas-reliefs à l’intérieur de la tombe. La malédiction statue que quiconque agit de la sorte n’héritera pas de son père et ne sera pas admis dans l’autre monde. A l’époque, il s’agissait d’une punition terrible pour un Égyptien.”

    Les dégradations se poursuivent tout au long de l’Antiquité, notamment lorsque les autorités chrétiennes se mettent en tête d’empêcher la pratique des rituels polythéistes. “Les chrétiens considéraient les anciens dieux comme des démons qui tentaient les bons croyants. Les évêques locaux encourageaient parfois les dommages causés aux anciennes sculptures ou bâtiments polythéistes.” Il faut attendre l’ère moderne pour que les appendices nasaux des statues restent préservés. C’est ailleurs que les nez sont sacrifiés, notamment chez les personnages féminins dans les bandes dessinées, pour des raisons, cette fois, plus sexistes que politiques.