Dans la baie de San Francisco, les habitants n’en peuvent plus de l’insécurité

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  • Dans la baie de San Francisco, les habitants n’en peuvent plus de l’insécurité
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    Après les fusillades sur les campus, les lieux de travail ou de culte, une nouvelle catégorie a fait son apparition en Californie : les « highway shootings », ou fusillades autoroutières. Depuis janvier, la police a recensé 76 de ces incidents – dont cinq mortels – sur les rocades d’Oakland, soit plus d’un par semaine. Les motifs et auteurs des attaques ont rarement été identifiés. A plusieurs reprises, les victimes sont mortes au volant, causant par ailleurs des accidents.

    Cette série vient s’ajouter à la violence intra-muros, quotidienne dans ce port de 450 000 habitants où les autoroutes servent de frontière aux anciens ghettos : 127 homicides depuis le début de l’année, soit 20 de plus que pendant la même période de 2020. Le 19 novembre, le chef de la police d’Oakland, LeRonne Armstrong, a tenu une conférence de presse pour sonner l’alarme. Il n’a pas eu à chercher très loin les exemples. La veille, ses agents avaient été appelés pour une fusillade sur la 89e avenue : ils avaient compté 198 douilles (aucun blessé miraculeusement).

    LeRonne Armstrong a supplié les élus de lui accorder des effectifs supplémentaires : de 830 en 2009, le nombre de policiers est passé à 681. La maire d’Oakland, Libby Schaaf, l’a écouté. Le 29 novembre, elle a proposé au conseil municipal d’annuler les coupes budgétaires qui avaient été décidées dans la foulée du mouvement Black Lives Matter contre les violences policières.

    En cet an II de la pandémie, une autre expression a fait son apparition dans le vocabulaire de la baie de San Francisco : « flash mob burglaries », la nouvelle vague de cambriolages des magasins. Des pillages organisés, en groupes, avec des lieux de rendez-vous transmis à la dernière minute sur les réseaux sociaux comme pour les rave parties. Les voleurs sont munis de marteaux pour casser les vitrines, certains d’armes à feu. Ils déboulent en caravanes de voitures aux plaques d’immatriculation maquillées, bloquent la circulation et se ruent dans le grand magasin visé, au milieu des clients qui font leurs achats. Les vigiles sont débordés.

    Ces cambriolages dits « de masse » ont été signalés à Los Angeles, Minneapolis (Minnesota), Chicago (Illinois), à la faveur du « Black Friday ». Le 19 novembre, à San Francisco, les magasins Louis Vuitton, YSL, Alexander McQueen et six autres enseignes ont été dévalisés. Les magasins chics sont particulièrement visés mais aussi les boutiques de cannabis, qui sont supposées entreposer du cash – un garde de sécurité d’une équipe de télévision a été tué à Oakland en essayant de protéger les journalistes qui filmaient justement un hold-up.

    Le pillage le plus spectaculaire a eu lieu le 20 novembre, à Walnut Creek, banlieue résidentielle de l’est de la baie de San Francisco. Les caméras ont saisi une armée de 80 personnes, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, à l’assaut du grand magasin Nordstrom. Le butin de la soirée a été estimé à 200 000 dollars.

    S’agit-il d’un phénomène lié à la pandémie ? A l’accroissement des inégalités ? Le débat est houleux à San Francisco. Les syndicats de policiers, les conservateurs, les commerçants et nombre d’observateurs mettent en avant l’impunité dont bénéficient les petits délinquants. En cause : la proposition 47, adoptée par les électeurs californiens en 2014. Cette loi a décidé que le vol de biens d’une valeur inférieure à 950 dollars ne serait plus qualifié de crime mais de délit. Elle a permis de désengorger quelque peu les prisons.

    « Black Friday » sous état de siège

    Face à la bronca de la population, les élus se sont montrés devant les boutiques fermées de panneaux de contre-plaqué en proclamant que les « cambriolages de masse » ne seraient « pas tolérés ». Les dispositions annoncées jusqu’à présent donnent la mesure de leur impuissance. La maire de San Francisco, London Breed, a fermé à la circulation automobile Union Square, le cœur de la ville, où se trouvent les enseignes de luxe. Le shopping du « Black Friday » s’est déroulé sous état de siège, dans des rues sans voitures sinon celles de la police.

    Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a promis des patrouilles supplémentaires sur les autoroutes et aux abords des centres commerciaux. Il n’a pas convaincu tout le monde. Sa propre enseigne de grands vins, à San Francisco, PlumpJack Wines, a été cambriolée trois fois cette année.