• La peur du black-out se propage de la Chine à l’Europe - rts.ch - Monde
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    Une pénurie mondiale d’électricité menace alors que les difficultés d’approvisionnement augmentent et que les pays doivent relever le défi de la transition énergétique. Pour faire face, certains optent pour un retour du nucléaire.

    La pénurie d’électricité est déjà une réalité en Chine où les coupures se multiplient à l’initiative du gouvernement. La ville de Shenyang, dans le nord-est du pays, a même été privée de courant durant une journée entière fin septembre.

    Ces mesures, sans précédent, concernent quasiment toutes les provinces et les conséquences économiques se font déjà sentir. Les prévisions de croissance pour la Chine ont été revues à la baisse de 0,1% par le FMI.
    « L’infrastructure ne suit plus »

    Comment la Chine en est-elle arrivée là ? D’abord en raison de la reprise économique, explique François Maréchal, professeur à l’EPFL et invité dans l’émission Géopolitis : « [Avec la pandémie], l’économie a été freinée, et là, on lui demande de redémarrer. On s’est rendu compte que rattraper notre retard impliquait beaucoup plus de capacités. Et surtout, pour les économies en croissance, l’infrastructure ne suit plus. »

    En octobre dernier, juste avant la COP26 de Glasgow, le président chinois Xi Jinping s’est aussi engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 et à limiter à moins de 20% l’usage des énergies fossiles. La production de charbon a été revue à la baisse ces dernières années. Or, même si Pékin a considérablement investi dans les énergies renouvelables, cela n’a pas suffi à combler le manque actuel. La Chine, qui dépend du charbon pour les deux tiers de son électricité, a dû se résoudre à augmenter sa production.

    A cela s’ajoutent les tensions avec l’Australie. En octobre 2020, Pékin a imposé un embargo officieux sur les importations de charbon australien, notamment après deux contentieux bilatéraux : Canberra a interdit au géant chinois Huawei de déployer son réseau 5G dans le pays et le Premier ministre australien Scott Morrison a appelé à une nouvelle enquête sur l’origine du Covid-19.
    L’Europe se prépare

    En Suisse, le président de la Confédération Guy Parmelin s’est adressé directement aux entreprises pour qu’elles se préparent à faire face au scénario du grand black-out.

    L’Europe n’en est pas encore à tirer la prise, mais les autorités anticipent déjà les pénuries. L’Allemagne a aussi dû exploiter davantage son charbon cette année pour faire face au manque d’électricité. Avec le rebond économique et l’abandon du nucléaire, s’ajoute un problème de vent qui n’a pas permis d’alimenter suffisamment les éoliennes au nord du pays.

    Et puis l’Europe est très dépendante de la Russie pour son approvisionnement en gaz. Or les relations avec Vladimir Poutine se sont tendues, notamment autour du projet Nord Stream 2, toujours en attente d’homologation côté allemand. Ce gazoduc permettrait de doubler les exportations de gaz russe, mais plusieurs pays européens, notamment de l’Est, et les Etats-Unis s’y opposent fermement.

    Comme ce qui est très demandé est cher, en un an à peine, le prix du gaz a parfois quadruplé en Europe et celui de l’électricité a connu une évolution similaire.
    Le défi de la transition énergétique

    Décarboner un pays implique une augmentation des besoins en électricité verte. Et on est encore loin du 100% renouvelable : la forte dépendance aux énergies fossiles, toujours autour de 65% au niveau mondial, n’a pas diminué en 20 ans.

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    Mix électrique mondial en 2020. [Géopolitis - RTS]

    Et les disparités sont énormes. Si certains pays sont des champions de l’électricité verte, comme l’Islande, l’Ethiopie, l’Afghanistan ou le Brésil, pour d’autres, la part des renouvelables ne dépasse pas 1% du mix électrique, comme en Arabie saoudite ou en Algérie. Quant aux trois plus gros pollueurs mondiaux - Chine, États-Unis, Inde - les énergies vertes représentent moins d’un tiers de leur production.

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    Part des énergies renouvelables dans la production électrique. [Géopolitis - RTS]

    François Maréchal refuse pour autant de penser que le pire est devant nous. « Le pire est à venir si on s’assied et qu’on regarde vers le passé », assure-t-il. « Cela veut dire qu’on doit accepter de changer ». Il évoque tout d’abord une réorientation des investissements : « On ne va pas continuer à payer pour puiser du pétrole à 4000 mètres de profondeur dans la mer, pour l’acheminer jusque chez nous. On va utiliser les énergies locales, parce que l’énergie locale est gratuite. »

    François Maréchal insiste aussi sur la nécessité de revoir notre manière de consommer l’énergie. « L’Agence internationale de l’énergie nous dit que la plus grande source d’énergie renouvelable dont on dispose, c’est l’efficacité », rappelle-t-il. Et d’ajouter : « La première chose à faire, c’est améliorer nos bâtiments, mettre des pompes à chaleur, des panneaux solaires. »
    Le retour en grâce du nucléaire

    Dans son allocution à la population française début novembre, Emmanuel Macron a confirmé son soutien au nucléaire pour poursuivre la transition énergétique de la France. Il projette notamment de construire six nouvelles centrales, et cela malgré les retards et les surcoûts qui s’accumulent sur le chantier de Flamanville, le seul réacteur actuellement en construction dans le pays.

    Après la catastrophe de Fukushima en 2011, on pensait pourtant le nucléaire définitivement enterré. Mais face à l’urgence climatique et la hausse des prix du gaz et de l’électricité, de nombreux pays relancent des projets nucléaires. En Asie, on dénombre sept centrales en construction en Inde et quatorze en Chine. L’électricité produite dans des centrales nucléaires a l’avantage d’être très peu émettrice de gaz à effet de serre. Certains pays la voient donc comme une très bonne alternative aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon).

    « C’est une très mauvaise idée », estime François Maréchal. « On doit aller beaucoup plus vite que ce que le nucléaire peut faire », s’exclame-t-il. Il cite en exemple la Finlande, avec un projet de centrale décidé en 2001 qui n’a toujours pas démarré. « Ce sont aussi des dettes que l’on va donner à nos enfants », regrette-t-il, en pointant le problème des déchets radiocatifs.

    Seuls six pays dans le monde se dirigent vers une sortie du nucléaire, dont la Suisse. En 2017, le peuple a voté en faveur de la Stratégie énergétique 2050, incluant l’interdiction de construire de nouvelles centrales. L’Allemagne suit la même direction. Elle fermera sa dernière centrale en 2022.