• Pédocriminalité
    L’affaire Claude Lévêque remue la biennale d’« Art Press »

    Plusieurs écoles d’arts refusent de participer à la deuxième édition de la manifestation organisée par le magazine, prévue en 2022 à Montpellier. En cause, son soutien au plasticien accusé de pédocriminalité.

    La révélation des accusations de pédocriminalité à l’encontre du plasticien Claude Lévêque, en janvier, a provoqué un séisme qui secoue encore le milieu de l’art contemporain. Et les répliques se font sentir jusque dans les écoles d’enseignement supérieur artistique. Les crispations se cristallisent aujourd’hui autour d’« Après l’école » ; la toute jeune biennale organisée par le journal Art Press. La première édition, écourtée à cause du deuxième confinement, a eu lieu à Saint-Etienne (Loire) en octobre-novembre 2020, au musée d’Art moderne et contemporain et à la Cité du design. Une deuxième édition, prévue à Montpellier en 2022, associe cette fois le Mo.Co (réunion de l’Ecole supérieure des beaux-arts et les espaces d’exposition de la Panacée et de l’Hôtel des collections) avec le Musée Fabre, musée des beaux-arts de Montpellier.
    Boycott de l’école où enseigne un des plaignants

    Cette nouvelle biennale entend défendre la création émergente et vise à promouvoir le travail de 30 à 40 anciens élèves, diplômés depuis deux à cinq ans. Les dossiers des postulants seront sélectionnés par un jury. Sollicitées pour présenter des jeunes talents à cette biennale, les 45 directions des écoles d’art sont divisées sur la réponse à apporter à cette proposition.

    Pourquoi ? Car le 23 février dernier, la revue Art Press a publié une tribune en soutien à Claude Lévêque intitulée « Présomption d’innocence », pour défendre le plasticien, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans, comme l’a révélé par le Monde et Mediapart.

    Stéphane Sauzedde, directeur de l’Ecole supérieur d’art d’Annecy (Esaaa), a fait savoir par courrier qu’il ne présenterait pas de dossier. Parmi l’équipe d’enseignants haut-savoyards se trouve Laurent Faulon, l’artiste qui a porté plainte contre Claude Lévêque auprès du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le professeur a le soutien des élèves et de Stéphane Sauzedde, en total désaccord avec la tribune d’Art Press. « On sait que les agissements dénoncés par Laurent Faulon sont prescrits et donc ne peuvent être considérés par la justice… Aucun·e diplomé·e de l’Esaaa ne souhaiterait participer à une biennale organisée par le journal et les personnes qui témoignent un tel mépris pour sa parole », a écrit Stéphane Sauzedde dans ce courrier adressé à la direction de l’événement.

    Selon la volonté du directeur, la lettre a circulé auprès d’autres directeurs d’écoles d’art, dont les établissements sont nombreux à être traversés par des conflits liés aux violences sexistes et sexuelles. « A Annecy, nous avons parlé avec beaucoup de sérieux des questions de pédocriminalité, et plus largement des violences sexistes et sexuelles, précise Stéphane Sauzedde. Le sujet était d’évidence grâce à la présence de Laurent Faulon, mais aussi parce que l’équipe comme les étudiants sont engagés et souhaitent accuser réception, ici et maintenant, sans délai, du mouvement #MeToo qui traverse la société. Et pour toutes et tous, il est évident qu’en matière de pédocriminalité, dire qu’il faut s’en remettre à la justice et seulement à elle alors que les faits sont prescrits, c’est affirmer que la parole est interdite. S’ils veulent travailler avec la jeune création, il faut qu’ils entendent que ceci est important. »

    Une trentaine d’écoles favorables à la biennale

    Ce point de vue n’est pas partagé par les organisateurs de la biennale, qui dénoncent une polémique déplacée. Celle-ci ferait de l’ombre aux jeunes artistes et produirait un amalgame : d’une part, entre les positions de Catherine Millet (directrice de la rédaction), les éditos de Jacques Henric (collaborateur d’Art Press), la tribune en faveur de la présomption d’innocence concernant Claude Lévêque et, d’autre part, l’organisation d’une biennale pour la création émergente, avec deux commissaires qui n’ont pas signé la tribune du 23 février. « Ceux qui critiquent n’ont pas demandé aux jeunes artistes comment s’était passée la première édition, avance Romain Mathieu, critique d’art, enseignant à l’Ecole supérieure d’art de Saint-Etienne (Esadse) et co-commissaire de la biennale avec Etienne Hatt, rédacteur en chef adjoint d’Art Press. « Cette biennale est l’occasion de donner une visibilité aux jeunes diplômés. Les écoles ont pour mission de veiller à une professionnalisation, alors qu’il est si difficile aujourd’hui de devenir un artiste. »

    Numa Hambursin, directeur du Mo.Co, qui prévoit d’accueillir l’exposition, abonde : « Comment faire pour les aider ? Ma priorité va aux étudiants afin de leur mettre le pied à l’étrier. » Pour lui, il s’agissait surtout d’augmenter le forfait de 300 à 1 000 euros par participant pour la nouvelle édition. « Art Press est un monument de la critique, nous y sommes tous passés, c’est la seule revue française qui soit internationale », défend-il. Selon Numa Hambursin, plusieurs écoles ont déjà répondu à l’appel en envoyant des dossiers, comme les Beaux-Arts de Paris ou les Arts-déco (Ensad) ; une trentaine d’écoles seraient favorables. Le Fresnoy, à Tourcoing, dirigé par Alain Fleischer (signataire de la tribune), entend aussi y participer. Raphaël Cuir, directeur de l’Ecole supérieure d’art et de design de Reims, a déjà présélectionné des diplômés : « On n’est pas nécessairement d’accord avec 100% de ce qui est écrit dans un journal, mais je trouve il n’y a aucune raison de censurer Art Press qui a légitimement défendu la présomption d’innocence. Les diplômés deviennent des otages si on boycotte ce projet. »

    « Un poids surprenant du patriarcat »

    Sollicitée pour être partenaire d’Après l’école, l’Association nationale des écoles supérieures d’art et design publiques (ANDEA) s’en est tenue à une position de neutralité, laissant chaque direction libre de présenter ou non des anciens étudiants. « Plusieurs membres de l’ANDEA souhaitent affirmer une position éthique forte et cohérente entre le travail fait pendant les études et l’accompagnement des diplômé·es après l’école, sans pour autant pointer du doigt ceux et celles qui auraient un avis divergeant, explique Amel Nafti, co-présidente. Nous avons décidé de faire examiner la participation aux conseils pédagogiques. » Amel Nafti est également directrice de l’Esad Grenoble-Valence, et si le site de Grenoble a déjà choisi de ne pas envoyer de dossiers, la décision de ne pas participer, pour le site de Valence, sera entérinée lors d’un conseil étudiant le 14 décembre. Amel Nafti reconnaît que les écoles d’art traversent en ce moment des moments de vives tensions à propos de questions de violences sexuelles. L’Esad Grenoble-Valence a récemment été secouée par quatre affaires, et la directrice a dû signaler deux plaintes pour viols à Grenoble depuis sa prise de fonction.

    Ce climat de crise est confirmé par Jérôme Delormas. Le directeur de l’Isdat, à Toulouse, a choisi de décliner la proposition de la biennale, en laissant toutefois les anciens diplômés libres de choisir : « On ne fera pas de zèle, ni de publicité », explique-t-il à Libération. A Toulouse, les prises de position d’Art Press ont été au cœur de débats houleux entre l’équipe pédagogique et les étudiants. « Certains enseignants sont heureux que la parole se libère, détaille Jérôme Delormas. Mais il y a aussi un poids surprenant du patriarcat dans nos réseaux. »

    Dans une lettre adressée à la direction de la biennale, Estelle Pagès, directrice de l’Ensba Lyon, a elle aussi décliné l’invitation, après consultation du conseil pédagogique : « Certaines des positions portées par la revue Art Press depuis ces dernières années sont en contradiction avec ce que les écoles supérieures d’art cherchent à déconstruire », écrit-elle pour expliquer le choix collégial de l’école.

    Si la plupart des personnes interrogées louent l’initiative d’une biennale autour de la création émergente, l’étiquette Art Press fait ressortir des divisions qui pourraient aussi être rapprochées du départ, ces dernières années, d’une jeune génération de pigistes qui ne se reconnaissaient plus dans la revue.

    On parle de ton musée @arno

    #art #pedocriminalité #claude_leveque #art_press #catherine_millet

    • La tribune d’Art Press en soutiens à Claude Levèque
      https://www.artpress.com/2021/02/23/presomption-dinnocence-claude-leveque

      Paul Ardenne, écrivain et historien de l’art ; Claude Arnaud, écrivain ; Gilles Barbier, artiste ; François Barré, ancien président du Centre Pompidou ; Michel Baverey, éditeur ; Pierre Beloüin, artiste enseignant ; Fabien Boitard, artiste ; Patrick Bouchain, architecte ; Charles-Arthur Boyer, critique d’art, collaborateur à artpress ; Damien Cabanes, artiste plasticien ; François Carbonnier, architecte ; Blandine Chavanne, conservatrice du patrimoine ; Evelyne Chartier, institutrice ; Frédéric Chartier, consultant ; Fabienne Clérin, chargée d’expositions ; Brigitte Cornand, réalisatrice ; Vincent Corpet, peintre ; Alain Coulange, écrivain, critique d’art ; Franck David, artiste ; Benoît Decron, conservateur du patrimoine, historien d’art ; Bernard Delosme, enseignant ; Stéphanie Ditche, artiste ; Jérôme Duwa, écrivain ; Anne-Marie Faucon, artiste ; Jean-Noël Flammarion, éditeur ; Alain Fleischer, écrivain, cinéaste et artiste ; Paul-Armand Gette, artiste ; Josiane Guilloud-Cavat, historienne de l’art ; François Guinochet, amateur et curieux ; Didier Hochart, consultant ; Yves Jammet, médiateur culturel ; Baudouin Jannink, éditeur ; Olivier Kaeppelin, écrivain, critique d’art ; Jason Karaindros, artiste ; Laurent Quénéhen, critique et commissaire d’exposition ; Carlos Kusnir, artiste-peintre ; Vincent Labaume, artiste ; Francis Lacloche, médiateur ; Yvon Lambert, libraire ; Loïc Le Groumellec, artiste ; Ange Leccia, artiste ; Julien Ludwig-Legardez, sérigraphe, Atelier Tchikebe ; Olivier Ludwig-Legardez, directeur, Atelier Tchikebe ; Roberto Martinez, artiste ; Catherine Millet, directrice de la rédaction d’artpress ; Ghislain Mollet-Viéville, expert honoraire auprès des tribunaux, agent d’art, critique d’art ; Bernard Moninot, artiste ; Didier Morin, directeur de la revue Mettray ; Jean-Luc Moulène, artiste ; Michel Nuridsany, écrivain, critique d’art ; Dominique Païni, critique et commissaire d’exposition indépendant ; Raphaëlle Paupert-Borne, artiste ; Jacqueline Philippart, amateur d’art ; Michel Philippart, amateur d’art ; Philippe Piguet, historien et critique d’art, commissaire d’exposition indépendant ; Rudy Ricciotti, architecte ; Jacques Ristorcelli, graphiste ; Paul Ristorcelli, directeur d’école ; Éric Rondepierre, artiste ; Jean-Jacques Rullier, artiste plasticien ; Cécile Savelli, artiste peintre ; Karine Savigny, Association A.I.R (Artiste Invité en Résidence) ; Danielle Schirman, artiste, cinéaste ; Alberto Sorbelli, poète ; Ludwig Trovato, vidéaste ; Frederic Valabrègue, écrivain et critique d’art.

    • Faut-il rallumer une installation de Claude Lévêque, accusé de viols sur mineurs ? A Montreuil, le débat fait rage

      Le conseil de quartier de Bel Air demande l’illumination de « Modern Dance », que la mairie avait éteinte en janvier, après que « Le Monde » a révélé les accusations visant le célèbre plasticien.

      Peut-on séparer l’artiste de son œuvre ? Cette question inflammable émerge régulièrement dans le débat public, questionnant notamment les tribunes données au cinéaste Roman Polanski, au musicien Bertrand Cantat ou encore à l’écrivain Louis-Ferdinand Céline. Cette fois, le sujet s’est invité dans un quartier populaire de Montreuil (Seine-Saint-Denis), divisé à propos d’une installation lumineuse monumentale du plasticien Claude Lévêque, aujourd’hui accusé de viols sur mineurs.

      Sur la place centrale du quartier Bel Air, sur les hauteurs de Montreuil, trois larges cercles d’inox décorés d’ampoules se déploient autour des piliers d’un château d’eau décrépi. Presque invisible en journée, l’œuvre s’illumine à la tombée de la nuit. Les cercles prennent l’apparence de cerceaux bleus, qui semblent virevolter autour de la structure.

      VEND. 25/09, 19h, espace 40 (Bel Air) : rencontre avec l’artiste CLAUDE LÉVÊQUE autour de son oeuvre "Modern Dance". http://t.co/cfhcSWZaJW
      — CentreTignousAC (@cactignous@montreuil.fr)

      Depuis janvier, en même temps que les révélations du Monde concernant le plasticien, ce hula-hoop nocturne a cessé. La ville de Montreuil a éteint l’installation Modern Dance quelques jours après avoir appris que son concepteur, de renommée internationale, faisait l’objet depuis 2019 d’une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans, qui remonteraient au milieu des années 1980. Un sculpteur d’une cinquantaine d’années accuse Claude Lévêque, 68 ans, d’avoir abusé de lui et de ses deux frères.

      L’installation, composée de 1 300 LED, se trouve sur une place devant prochainement être baptisée du nom de l’avocate Gisèle Halimi, comme le révélait le magazine Causette qui a dévoilé l’histoire.

      L’extinction de cette œuvre qui a coûté 171 269 euros avait été décidée « pour répondre au choc des habitants qui s’était exprimé à l’époque », explique à l’Agence France-Presse (AFP) la mairie de cette commune limitrophe de Paris. Installée dans l’espace public, « l’œuvre sautait aux yeux des passants », s’imposant également à ceux qui ne souhaitaient plus la voir, commente la municipalité, chargée contractuellement de l’entretenir durant vingt-cinq ans.

      Pendant une année de statu quo, les trois immenses hula-hoops, commandés sous le mandat de Dominique Voynet, sont restés en place sur le château d’eau. Mais, à la fin de novembre, le conseil de quartier de Bel Air a envoyé une lettre à la mairie pour lui demander de rallumer l’installation. Dans ce texte, consulté par l’AFP, cette instance de démocratie participative défend une œuvre intégrée au « patrimoine local », que les habitants se sont appropriée. Et de préciser que l’apprécier ne signifie pas une quelconque forme de soutien à son créateur.

      Fierté locale

      Sans cette illumination, le quartier est devenu « triste » et « lugubre », déplore la lettre. De nombreux riverains ignorent tout des accusations qui pèsent sur Claude Lévêque et pensent simplement que l’œuvre est en panne, ou cassée. « Je ne comprends pas le sens d’éteindre les lumières pour lutter contre la pédophilie », s’agace Delphes Desvoivres, sculptrice vivant à Bel Air, l’une des initiatrices de cette pétition. D’après cette Montreuilloise, qui a témoigné devant la commission sur la pédocriminalité dans l’Église des abus sexuels infligés à son père par un prêtre, « éteindre les lumières n’a jamais aidé personne à aller mieux… ».

      Pour les habitants de Bel Air, l’œuvre de Claude Lévêque constituait une fierté locale. Quelque chose d’unique, de valorisant. « C’est féerique et beau. Sincèrement, à part les barres d’immeubles, il n’y a pas grand-chose de beau dans le quartier », témoigne Mimoun, habitant de logement social à Bel Air depuis seize ans.

      Commandée par la municipalité au plasticien, résident de Montreuil, Modern Dance symbolisait aussi la renaissance du quartier. Son installation en 2015 marquait l’aboutissement d’une décennie de gigantesques travaux de rénovation urbaine pour réhabiliter cette zone qui était affligée par l’insécurité et la pauvreté. « En été, des gens venaient voir l’œuvre. Ils attendaient ici dans le café qu’il fasse nuit » et qu’elle s’égaie, se souvient Niakaté, propriétaire du seul café-restaurant du quartier, face au château d’eau.

      Echanges électriques

      Le rallumage de l’œuvre ne fait toutefois pas l’unanimité localement, et donne parfois lieu à des échanges électriques. Enseignante en maternelle, Cécile Miquel montrait régulièrement à ses élèves le travail de Claude Lévêque, artiste qu’elle admirait. Son Modern Dance avait même pesé dans sa décision de venir s’installer à Bel Air, assure-t-elle.

      Depuis la révélation de l’affaire, l’installation du plasticien provoque, chez elle, un rejet épidermique. « J’en ai assez de cette injonction à faire la part des choses de tout, commente-t-elle auprès de l’AFP, on est ce qu’on fait. On ne peut pas ranger les actes pédocriminels dans un tiroir. »

      Avec son association de parents d’élèves, cette amatrice d’art contemporain défend fermement l’extinction des lumières « pour montrer qu’en 2021 on veut que les choses changent. Que les enfants comprennent qu’ils ont le droit de parler et que les adultes seront là pour les écouter, prendre note et agir en fonction ». D’autant que, rappelle-t-elle, l’œuvre de Claude Lévêque, avec son jeu de cerceaux, se veut « une ode à l’enfance, à l’insouciance de l’enfance ».

      Des œuvres embarrassantes pour plusieurs collectivités

      Le débat dépasse largement le contexte local, posant une question morale aux nombreuses collectivités qui ont passé commande au plasticien, comme Issy-les-Moulineaux, Paris ou encore l’agglomération du Val de Fensch. A Montrouge (Hauts-de-Seine), le néon de Claude Lévêque Illumination n’éclaire plus le beffroi de la ville depuis le 25 janvier, afin d’éviter tout soupçon de complaisance envers l’artiste. Le mot Illumination, qui renvoie aux poèmes de Rimbaud, a en effet été écrit, comme l’explique le site Internet de Claude Lévêque, par l’un de ses « filleuls », ces très jeunes garçons dont il s’entourait, dont le nom apparaît au générique de ses œuvres dès 2012.

      L’œuvre, un néon long de dix mètres et haut de deux, n’avait pas été achetée, mais seulement commandée en prélude au festival Le Jour d’après, qui devait se tenir au printemps, avant d’être annulé en raison de la crise sanitaire. L’œuvre a donc été retirée en mars, au même titre que toutes celles concernées par cet événement.

      A l’inverse, beaucoup de collectionneurs et d’institutions ont continué d’exposer les œuvres de Claude Lévèque, invoquant la présomption d’innocence de l’artiste : celle intitulée J’ai rêvé d’un autre monde (2001) figure toujours dans les combles de la Collection Lambert, à Avignon ; Soleil noir, un immense tapis représentant des diamants, propriété du Mobilier national, décore toujours l’Elysée ; à l’abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire), où se déploie une immense installation baptisée Mort en été (2012), son directeur, Martin Morillon, n’a aucune intention de la démonter, rappelait Le Monde en janvier.

      Face à l’extinction de ses œuvres, Claude Lévèque avait adressé au Monde un courrier en janvier, dans lequel il déplorait ces décisions « en dépit du principe fondamental de la présomption d’innocence et de mon droit moral d’auteur, absolu, inaliénable et imprescriptible ». Selon la loi, il est impossible de modifier, dénaturer ou démanteler une œuvre sans le consentement de son auteur.

      « En vertu du droit au respect de l’artiste, il ne peut être porté atteinte à l’intégrité de son œuvre, celle-ci devant être communiquée au public telle qu’il l’a souhaité », précisait, au Monde, le juriste Pierre Noual, spécialisé en droit du patrimoine artistique. Un arrêt du Conseil d’Etat datant de 1999 permet toutefois de modifier une œuvre « à la seule condition que ce changement soit rendu strictement indispensable par des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurité publique », détaillait M. Noual.

      A l’aune de l’importance de plusieurs autres affaires impliquant des célébrités pour des faits de violences sexuelles, plusieurs collectifs féministes estiment que les artistes ne peuvent se soustraire au jugement moral au nom de la sacralité de l’art. Plusieurs associations appellent par ailleurs à un travail de contextualisation autour des œuvres, permettant d’expliquer les accusations dont font l’objet leurs auteurs.

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      "« en dépit du principe fondamental de la présomption d’innocence et de mon droit moral d’auteur, absolu, inaliénable et imprescriptible ». Selon la loi, il est impossible de modifier, dénaturer ou démanteler une œuvre sans le consentement de son auteur."
      Pour le démantèlement des œuvres je suis pas sur. Ca voudrais dire qu’on ne peu pas décroché une œuvre une fois qu’on l’a accroché. Les auteurs ont un droit de retrait, ils peuvent faire décroché une œuvre mais pas obligé à l’afficher.
      Sinon pour le fait que la place va s’appeler Gisèle Halimi c’est pas très respectueux, faudrait appeler cette place Matznef peut être ou Place Marc Dutouc ca serait plus respectueux et conforme à l’œuvre de Claude Lévêque.

    • https://www.mediapart.fr/journal/france/231122/les-oeuvres-de-claude-leveque-accuse-de-viol-sont-devenues-embarrassantes

      Montreuil (Seine-Saint-Denis).– Dimanche 20 novembre. Un vent humide soulève les affiches collées sur les piliers du château d’eau qui domine le quartier de Bel-Air, entre terrain de foot et immeubles HLM. Aux côtés de reproductions d’œuvres d’art de Picabia ou Goya montrant des enfants maltraités, on lit notamment que « lutter contre les violences faites aux femmes, c’est aussi lutter contre les violences faites aux enfants. #ME2 ».

      Le 20 novembre est la journée internationale des droits de l’enfant. Depuis un an, la place du château d’eau porte le nom de l’avocate Gisèle Halimi.

      L’élégant bâtiment, daté de 1930 et désormais hors service, est devenu le symbole de cette portion sud de Montreuil. Tout autour de la structure haute sur pattes court un rail hérissé de centaines de LED : la nuit, leur lueur bleutée s’élève en spirale et donne à la place l’allure d’une base aérospatiale. Depuis quelques semaines, les lumières ne s’allument plus.

      L’œuvre, commandée par la ville et installée en 2015, a pour titre Modern Dance et pour auteur l’artiste français Claude Lévêque, 69 ans, qui réside en partie à Montreuil. Celui-ci fait l’objet de deux plaintes déposées par Laurent Faulon, l’une en mars 2019 au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), l’autre en juin 2019 à Nevers (Nièvre), pour des faits de « viols sur mineurs de moins de 15 ans et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans ».
      La place du château d’eau, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). © DR

      L’enquête publiée par Mediapart le 13 janvier 2021 faisait état de plusieurs autres témoignages évoquant des faits similaires. À ce jour, Claude Lévêque, qui a depuis été entendu par la police ainsi que d’autres témoins, reste présumé innocent. Contacté, le parquet de Bobigny indique que l’enquête préliminaire qui le vise est toujours ouverte.

      Quelques jours après la révélation de l’affaire, la mairie de Montreuil – qui contractuellement doit entretenir Modern Dance pendant 25 ans, soit jusqu’en 2040 – décidait d’éteindre l’œuvre, sans pour autant la démonter. Alexie Lorca, adjointe au maire déléguée à la culture et à l’éducation populaire, indiquait alors à l’AFP : « Il ne s’agit pas de censure, ni de remettre en question la présomption d’innocence. Nous dissocions l’œuvre de l’artiste, mais l’œuvre est une installation monumentale qui est dans l’espace public et donc imposée à tous les habitants. »

      En novembre 2021, le conseil de quartier, qui compte une trentaine de personnes, demandait à la mairie de rallumer l’œuvre. Ce qui fut accepté quelques mois plus tard. Ce rallumage devait s’accompagner d’un « temps d’échange et de sensibilisation sur les violences faites aux enfants » qui n’a jamais eu lieu.
      Éteinte, puis rallumée, puis éteinte

      Le 21 mars 2022, la spirale bleutée de Claude Lévêque éclairait à nouveau la place Gisèle-Halimi. Pourquoi, 14 mois après la publication de l’enquête, réclamer qu’elle soit rallumée ? Dans un compte-rendu du conseil de quartier de janvier 2022, la sécurité des lieux est mentionnée : « La place du château d’eau connaît plusieurs sources de tensions depuis un an. [...] Des problématiques sont apparues : santé mentale, précarité économique, isolement social, addiction, incendie volontaire. » Le « sentiment de danger sur la place à la tombée de la nuit » justifierait le rallumage de l’œuvre, selon le document.

      Mais depuis cet été, Modern Dance est de nouveau éteinte, sans qu’aucune explication n’ait été donnée aux riverain·es. La mairie de Montreuil a ignoré nos nombreuses relances à ce sujet.
      Affiche réalisée par Delphes Desvoivres, membre du conseil de quartier local. © DR

      Delphes Desvoivres, membre du conseil de quartier, est l’autrice des affiches collées sur le château d’eau. En ce dimanche de novembre, elle est seule sous l’œuvre de Claude Lévêque. Elle-même artiste, elle est en faveur du rallumage de l’œuvre. « L’indignation, l’extinction des lumières, ne sont pas des réponses suffisantes », estime cette militante contre les violences éducatives sur les enfants au sein de l’association La Société protectrice des nuages. « Il n’y a pas de raison de priver les habitants de l’œuvre, qui est devenue un symbole du quartier et qui l’embellit. »

      Pour Delphes Desvoivres cependant, « rallumer l’œuvre ne suffit pas ». Il faut, selon elle, accompagner ce choix d’une « sensibilisation aux violences sur les enfants ». Or aucune action n’aurait été engagée par la mairie en ce sens.

      « Cinq lignes ont été publiées dans Le Montreuillois [le journal local – ndlr] quand l’œuvre a été éteinte, dénonce l’artiste. Quand elle a été rallumée, je voulais distribuer des flyers dans les boîtes aux lettres pour en donner une explication, mais Alexie Lorca m’a dit que ça n’était pas la peine, car les gens allaient tout casser. C’est de l’hypocrisie, de l’infantilisation, on laisse les gens dans l’ignorance. »
      Les collectivités locales regardent ailleurs

      Ailleurs, les réactions politiques aux œuvres de Claude Lévêque présentes dans l’espace public sont diverses. Les réponses à nos questions sont vagues, tardives, et la plupart du temps, c’est le silence total.

      À Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le grand néon rouge Les Dessous chics, qui court sur le pont face à l’île Saint-Germain, a continué de briller après la révélation de la plainte contre Claude Lévêque. Commande du département, l’œuvre a été installée en septembre 2018 non loin du siège de TF1.
      Image extraite de l’émission « Complément d’enquête ». Au fond, le grand néon rouge réalisé par Claude Lévêque. © Capture d’écran France 2

      C’est elle qu’on voit à l’arrière-plan du plateau de l’émission de France 2 « Complément d’enquête » (« PPDA, la chute d’un intouchable ») du 28 avril 2021 : se détachant sur ce fond flamboyant, la journaliste Muriel Reus, fondatrice et présidente de l’association « Femmes avec… », y témoigne au nom des nombreuses femmes qui accusent l’ancien présentateur télé de violences sexuelles. Depuis le 27 octobre, l’œuvre est éteinte. Pour quelle raison ? Le département n’a pas répondu à nos multiples demandes d’entretien.

      Chaque nuit depuis 2007 à Uckange (Moselle), le haut-fourneau U4 s’empourpre des lumières de Tous les soleils de Claude Lévêque, commande publique de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, soutenue par le ministère de la culture. L’illumination fait du site un véritable phare dans le paysage environnant, entretenant la mémoire ouvrière d’une région marquée par l’industrie métallurgique.

      Depuis fin octobre, l’ancien site industriel transformé en parc à vocation patrimoniale et culturelle est plongé dans l’obscurité. L’extinction a été envisagée, sans être actée, dès qu’a été révélée la plainte contre Claude Lévêque, nous informe Muriel Pelosato, directrice des sports, de la culture et du patrimoine de la communauté d’agglomération.
      Le haut fourneau U4 d’Uckange, illuminé par une œuvre de Claude Lévêque © Bertrand Rieger / Hemis via AFP

      Mais la récente décision aurait été prise pour durer jusqu’au 31 mars 2023 pour des raisons économiques, « suite aux contraintes budgétaires qui pèsent actuellement sur les établissements publics de coopération intercommunale, liées à l’augmentation conséquente du coût de l’énergie ». L’élue ne sait pas ce qu’il en sera ensuite.

      Moins spectaculaires, les panneaux en inox froissés de Tchaïkovsky (2006), surmontant l’aqueduc de la Vanne dans le XIVe arrondissement de Paris, sont toujours en place : commande du Centre national des arts plastiques (CNAP), l’œuvre est propriété de la Ville de Paris, qui n’a pas répondu non plus à nos sollicitations.

      S’il devait contester le retrait de ses œuvres de l’espace public, Claude Lévêque, en invoquant son droit moral, obtiendrait probablement gain de cause auprès d’un juge : dans la loi française, l’œuvre reste considérée comme autonome de son auteur, tandis que le statut de celui-ci le place encore, dans l’imaginaire collectif, au-dessus du réel et de la société.
      Dans les collections

      En attendant, c’est dans les lieux où ses œuvres sont les moins offertes au regard que la décision a été prise le plus rapidement. Fin janvier 2021, le conseil régional des Pays de la Loire annonçait le retrait de l’installation Mort en été de l’exposition permanente de l’abbaye royale de Fontevraud (Maine-et-Loire) « jusqu’à ce que la justice fasse la lumière sur les accusations » contre l’artiste.

      À la Collection Lambert à Avignon, la salle qui accueille J’ai rêvé d’un autre monde, un long néon rouge conçu spécifiquement pour les lieux, est restée fermée au public après le premier confinement, par décision du conseil d’administration. « L’œuvre cristallisait trop de choses », explique Stéphane Ibars, directeur artistique délégué.

      Dans le XIIIe arrondissement de Paris, La Fab., qui accueille la fondation agnès b. – la styliste est une importante collectionneuse qui a beaucoup acheté et soutenu le travail de Claude Lévêque dès les années 1980 –, était inaugurée en février 2020 avec l’exposition « La Hardiesse », qui présentait des photographies de l’artiste, notamment le portrait d’un adolescent de 14 ans, crâne rasé, tête et buste recouverts de confiture de fruits rouges. Les œuvres de Claude Lévêque ne sont plus visibles dans l’accrochage actuel.

      En 2009, Claude Lévêque représentait la France à la Biennale de Venise.

      Les œuvres des collections publiques françaises (56 au total) dorment quant à elles dans les réserves, que ce soit au centre Pompidou, au Mac Val (musée d’art contemporain du Val-de-Marne), au musée d’art moderne de Paris, au CAPC de Bordeaux, dans les divers fonds régionaux d’art contemporain ou au CNAP. Celui-ci conserve une série de dix photographies particulièrement équivoques : Vacances au Cambodge (2004), achetée à la galerie Yvon Lambert en 2006, montre un jeune garçon torse nu, vu du dessous d’une table en verre.

      Une pièce cependant est sortie des réserves après le dévoilement de l’affaire : la sérigraphie Not afraid (2016) a été prêtée par les Abattoirs de Toulouse pour deux expositions en Haute-Garonne, l’une en juin 2021 au musée de Saint-Frajou et l’autre, de manière plus surprenante, au collège Georges-Chaumeton, à L’Union, de janvier à avril 2021.

      Jusqu’en janvier 2021, Claude Lévêque était un véritable artiste officiel de la République française. En 2009, il représentait la France à la Biennale de Venise, son tapis en velours Soleil noir (2007), réalisé par la manufacture de la Savonnerie, orna le sol du bureau d’Emmanuel Macron à l’Élysée, dès 2017 et jusqu’en février 2021 (avant d’être remisé au Mobilier national), ses œuvres ornèrent la pyramide du Louvre en 2014-2015, et l’Opéra de Paris en 2018-2019.
      Sur le marché de l’art

      Aujourd’hui, le cas de Claude Lévêque provoque l’embarras. Celui de son ancien galeriste Kamel Mennour d’abord, qui a effacé (presque) toute trace de l’artiste de son site internet et qui, immédiatement après la parution de l’enquête, a annoncé la fin de sa collaboration avec l’artiste.

      Il est quasiment absent des salles des ventes. Une œuvre a été cédée en mai 2022, la première depuis avril 2020 : une sérigraphie, La nuit pendant que vous dormez, je détruis le monde (2009), adjugée 380 euros, sous son estimation basse, à la maison de ventes Cornette de Saint-Cyr (la même se vendait pour 900 euros en 2013).

      Seule la galerie Gilles Drouault, à Paris, propose sur son site deux photographies (2 950 et 1 400 euros pièce). Quant aux t-shirts dessinés par Claude Lévêque en 2019 pour les 30 ans d’Act Up, produits sur commande en partenariat avec le Mac Val, ils ne sont plus disponibles.

      Magali Lesauvage

      En resumé c’est a cause du cout élevé de l’électricité que Montreuil a éteint cette sculpture.