Les Luttes de classes en France au XXIe...

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  • Enrichissement, inégalité, autoritarisme : les classes dominantes ne prennent même plus la peine de « rendre des comptes ».

    https://threadreaderapp.com/thread/1470083462837284878.html

    J’ai beaucoup aimé cet entretien entre @APopelard (que j’ai découvert à cette occasion) et @RomaricGodin. Comme je suis déjà la moitié* des contributeurs de l’ouvrage qu’il a coordonné, Le nouveau monde** s’impose comme mon prochain achat.

    Un long fil.

    « Les classes dominantes ne rendent plus de comptes au reste de la ...
    Entretien avec Allan Popelard, un des trois coordinateurs du « Nouveau Monde » (éditions Amsterdam), qui se propose de réaliser un vaste tableau de la France à la fin du quinquennat d’Emm...
    https://www.mediapart.fr/journal/economie/151021/les-classes-dominantes-ne-rendent-plus-de-comptes-au-reste-de-la-societe
    (@Uneheuredepeine, @bruno_amable, @StefPalomba , @SamGontier, @LarrereMathilde, @ArSaintMartin, @debatdecole1, @DrSabrinaaurora, @NicolasFramont...)

    *
    Le Nouveau Monde
    Dans quel pays vivons-nous ? « Un nouveau monde », disent-ils. Mais lequel ? Pour répondre à cette question, il fallait mener une enquête de grande ampleur
    http://www.editionsamsterdam.fr/le-nouveau-monde

    Dans l’entretien, @APopelard donne sa vision de "ce que le capital fait à la société française" (pour le paraphraser) et prend position dans l’un des débats intellectuels et politiques qui traversent la gauche des pays les plus économiquement avancés.

    La question est la suivante
    La domination des ultra-riches sur la société, la structure inégalitaire qu’elle créé et la destruction environnementale qui l’accompagne sont-elle le fait des 1% (ou même des 0,1%) ou bien d’une frange plus nombreuse (et donc plus hétérogène) de la société (les 5%, 10% ou 20%) ?
    Dans le camp des 1%, on compte beaucoup d’économistes.

    C’était ouvertement la position exprimée par @gabriel_zucman dans un tweet où il réclamait (de mémoire) que son épitaphe soit "It is not the 10%" avec un graphe illustrant la croissance bien plus rapide du patrimoine et du revenu des 0,1% même quand on les compare aux 1% ou aux 10% les plus riches. Autrement dit, bien que les 10% les plus riches et les plus éduqués (les cadres supérieurs, typiquement) aient une croissance du patrimoine et du revenu nettement supérieur à celles du reste de la population, cette croissance demeure tout de même encore plus éloigné de celle des 0,1%. Empiriquement, cela semble établi : la fortune des milliardaires français a connu une croissance de 25% l’an dernier (pardon "que de 25%" comme l’a écrit Challenges).

    Le magazine Challenges a publié jeudi son classement des 500 plus grandes fortunes de France dont le capital a augmenté en 2020.
    https://www.lefigaro.fr/societes/le-nombre-de-milliardaires-francais-est-passe-de-95-a-109-pendant-la-pandem

    Nombreux sont toutefois les politistes a émettre des doutes sur la validité du raisonnement "similitude du taux de croissance du patrimoine implique intérêts politiques alignés" (et peut-être Zucman a-t-il lui-même changé d’avis car le tweet en question est supprimé).

    L’idée est simple et remonte en principe à La Boétie : malgré leur capacité d’influence démesuré, les 0,1% ou mêmes les 1% d’ultra-riches ne pourraient pas organiser la société à leur avantage sans l’aide d’une fraction économiquement distincte mais politiquement alignée.

    Parmi les ouvrages qui défendent explicitement cette thèse, on trouve entre autres (et par ordre chronologique) L’illusion du bloc bourgeois (de @bruno_amable et @StefPalomba).

    L’illusion du bloc bourgeois
    https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/lillusion-du-bloc-bourgeois-2
    La quadrature des classes (de @tmuzergues)

    editionsbdl.com/produit/la-qua…

    Ou encore Les luttes de classes en France au XXIème siècle (d’Emmanuel Todd, qui avait déjà défendu les prémisses de cette thèse dans L’illusion économique).

    Les Luttes de classes en France au XXIe...
    Les Luttes de classes en France au XXIe siècle , Emmanuel Todd : Macron et les Gilets jaunes ont ouvert une page nouvelle de l’histoire de France, qui mê...
    https://www.seuil.com/ouvrage/les-luttes-de-classes-en-france-au-xxie-siecle-emmanuel-todd/9782021426823

    Pourquoi les 10% les plus riches s’alignent-ils sur les 1% ou même les 0,1% ? Les auteurs ci-dessus apportent des réponses différentes, et pas toujours parfaitement conciliables. Ma propre conviction est que les 10%, voir les 20% les plus aisés et les plus éduqués ont compris
    1) Que la vie des 50% les plus pauvres étaient vraiment horribles et 2) Que leur capacité à transmettre à leurs enfants leur propre position socio-économique (donc à leur éviter l’enfer du déclassement) passe, pour eux qui ne sont pas rentiers, par la compétition éducative.
    Ils doivent donc s’assurer que leurs enfants sortiront vainqueurs de cette compétition, et comme celle-ci est jeu à somme négative (du fait même de leurs choix politiques), la solution la plus efficace est tristement simple : taper sur les faibles.

    Dans un contexte de compétition et de divergence éducative, économique et de socialisation entre le groupe dominant et la frange basse de la population, toute mesure de diminution du service public égalitaire favorisera relativement les 10% ou 20% dominants
    Même si dans l’absolu, cette mesure peut les défavoriser. Pour prendre un exemple limite et provocateur, il est n’est pas impossible que la destruction de l’éducation publique orchestrée par Blanquer profite relativement aux enfants de profs.
    Or, il y a une frange de la population qui est toujours enthousiaste pour diminuer les composantes égalitaires et redistributives du système socio-économique et d’éducation : les ultra-riches.
    D’où à mon avis, l’alliance politique entre deux groupes dominants, bien que les modalités et l’intensité de leurs dominations respectives soient très distinctes : directement et violemment patrimoniale pour les ultra-riches, éducative et plus modérée pour les 10% à 20%.
    À l’analyse de @APopelard, que je vous recommande chaudement d’écouter dans l’émission, et en particulier au phénomène de sécession du groupe dominant qu’il décrit, j’ajouterais une chose qui me tient à coeur.
    "Les classes dominantes ne rendent plus de comptes au reste de la société"

    Mais que signifie "rendre des comptes" ? Non seulement justifier de ses actions, mais également en présenter un description motivée en raison, et encore en présenter une justification économique.
    Le troisième sens est clair : le groupe dominant (étroit ou élargi) n’estime plus devoir présenter une justification économique de sa prospérité, ni de la misère qu’elle croit pouvoir infliger (ou au mieux tolérer) chez les autres.

    Mais il ne faut pas oublier les deux autres.
    Être contraint de rendre des comptes, c’est se contraindre à fonder en raison ses actions, c’est se contraindre à raisonner d’une manière qui nous serait acceptable non seulement dans notre propre position mais également si les rôles ou les opinions étaient interchangés.
    C’est refuser absolument de privilégier arbitrairement sa propre position, et de sommer les autres de faire la preuve que la leur puisse être valable, refuser absolument de s’arroger le droit de fixer les standards de la preuve en question.

    Cesser de rendre des comptes, ce qu’@APopelard attribue aux classes dominantes et je souscris entièrement à son analyse, c’est donc sortir des mécanismes qui sous-tendent l’exercice de la pensée raisonnée, et en définitive de la raison elle-même.
    En la matière, il ne peut y avoir de miracle : cesser de rendre des comptes, c’est dériver immanquablement vers l’autoritarisme, bien sûr (dès que les subordonnés se rebellent), mais tout aussi immanquablement et tragiquement vers l’obscurantisme.

    L’articulation de la pensée raisonnée ne nous est jamais donnée, elle se conquiert, se dispute et se construit.

    Ceux qui se permettent de cesser de rendre des comptes doivent comprendre le prix qu’ils paient pour cette autorité séparée qu’ils s’arrogent.
    En même temps qu’ils se donnaient une place spéciale dans la société justifiant à leurs yeux le traitement discriminatoire dont ils profitent à l’exclusion des autres ils ont abandonné la possibilité de réfléchir.

    Car réfléchir, c’est accepter de se voir avec les yeux d’un autre

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    Source : https://twitter.com/Minimaliste13/status/1470083462837284878