• Le virage Boris Johnson d’Emmanuel Macron – Journal d’épidémie

    Pour celles et ceux d’entre nous qui ont l’impression d’être englués dans un jour sans fin, la réunion du Conseil de défense sanitaire de lundi marque une réelle évolution. Pour la première fois en effet, en pleine transparence, l’exécutif assume ne plus même faire semblant de se soucier de la situation sanitaire du pays. Les contaminations explosent, mais l’essentiel est sauf : de nouvelles règles ont été édictées, semblant sorties tout droit d’un jeu médiéval inventé par le Perceval de Kaamelott. Masque en extérieur, interdiction de consommer debout au comptoir, mais pas de report de la rentrée scolaire alors que l’incidence des contaminations chez les enfants, qui avait augmenté courant décembre, commençait à redescendre pendant les vacances chez les 5-12 ans (dont pourtant le ministre de l’école ouverte nous explique qu’ils se contaminent surtout à domicile).

    Une fois encore, la vaccination semble résumer toute la stratégie gouvernementale. A l’école, l’aération, les masques FFP2, une vraie politique de tests et de prévention des clusters avec fermeture dès le premier cas positif, tout cela a été une fois de plus balayé. Et tandis que dans de nombreux pays européens pas moins vaccinés que le nôtre (Portugal, Pays-Bas, Danemark, Belgique…), la décision a été prise de rallonger la coupure de Noël ou de privilégier l’enseignement en distanciel, en France, ceux qui ont pointé la dangerosité de cette rentrée précoce quelques jours à peine après les brassages familiaux des fêtes ont eu droit à une contre-attaque groupée dans les médias. Comme je l’ai dit dans les colonnes de Ration, les cinquante soignants qui ont signé une tribune dans le JDD pour demander à Olivier Véran, devant l’incurie autosatisfaite de Jean-Michel Blanquer, de protéger les enfants en milieu scolaire, n’ont pas soudain décidé la veille de Noël d’emmerder le monde. Nombre d’entre eux alertent, depuis plus d’un an et demi, sur les contaminations en milieu scolaire, et sont constamment caricaturés par le ministre en ayatollahs de la fermeture. Or, rappelons-le, si une porte doit être ouverte ou fermée, une école peut être ouverte et protégée.

    Rassurisme télévisuel

    Sous le regard ravi de David Pujadas, Martin Blachier, celui-là même qui, le 7 décembre, prédisait avec une acuité jamais égalée que « Noël sera déjà dans une phase de descente de l’épidémie », expliquait que ces médecins sonnant l’alerte étaient des « fanatiques ». Ne voulant pas être en reste, Gérald Kierzek, à qui Gala avait fait l’honneur d’une interview dans laquelle il avait pu donner libre cours à son irritation envers les médecins de plateaux, trop nombreux à… ne pas être lui, apparemment, avait surenchéri : « Omicon ne dévaste rien du tout. » Le premier avait de longue date confié faire passer ses analyses à l’Elysée, le second minaudait dans Gala sur sa relation privilégiée avec Brigitte Macron pour qui il avait organisé, courant novembre, un déjeuner informel avec une demi-douzaine de médecins, dans un panel allant du rassurisme télévisuel au conspirationnisme pur et dur, en passant par le charlatanisme naturopathe, et expliquait envoyer au Président les vrais chiffres d’occupation des lits d’hospitalisation.

    Au moment où leurs confrères confrontés à l’augmentation des contaminations alertaient sur les risques touchant les enfants en milieu scolaire, Kierzek et Blachier faisaient donc une fois de plus la tournée des plateaux pour expliquer que tout allait bien se passer, et Jean Castex et Jean-Michel Blanquer, une fois de plus, pouvaient appuyer leur immobilisme sur la « position sans équivoque » de la Société française de pédiatrie, dont le dernier communiqué de presse atteignait des sommets. Après avoir répété depuis des mois que les enfants n’étaient pas à risque, n’étaient pas contaminants, que le port d’un masque était une hérésie, la SFP, confrontée au variant Omicron, faisait valoir son expertise spécifique par rapport à des médecins « sans expertise en santé de l’enfant », et alignait une série d’affirmations étonnantes. Forcée de constater une augmentation préoccupante du nombre d’enfants hospitalisés, elle insistait : « Si le nombre des jeunes enfants hospitalisés en lien avec le Covid semble en augmentation, une analyse qualitative des données est indispensable car il s’agit très souvent de bronchiolites dues au virus respiratoire syncitial (sic) avec découverte fortuite du Sars-CoV-2. » On croyait relire les délires des négationnistes du Covid qui, en 2020, expliquaient que les morts du Covid étaient en fait morts « avec » le Covid, mais d’autres causes. Pour asseoir son expertise, la SFP mettait ainsi en avant… une étude réalisée lors de la première vague épidémique en 2020, alors même que le variant Omicron change radicalement la donne en s’attaquant plus particulièrement aux enfants…

    Française des jeux

    Le lendemain de la conférence de presse ministérielle, les contaminations, qui avaient passé les 100 000 le jour de Noël, atteignaient 180 000 par jour, malgré la difficulté grandissante des malades à obtenir un test PCR rapidement. Les urgentistes et réanimateurs effarés dépeignaient une situation apocalyptique dans de nombreux hôpitaux. Le Conseil scientifique estimait qu’un tiers des enseignants seraient touchés de manière directe ou indirecte en janvier, ce à quoi Jean-Michel Blanquer, déplorant le spectre de l’absentéisme, expliquait qu’il ferait appel à de jeunes retraités, population la plus appropriée à plonger dans un bain de variant omicron. Le virage Boris Johnson d’Emmanuel Macron, épidémiologiste à la Française des jeux, se déroulait comme prévu.
    https://www.liberation.fr/societe/sante/le-virage-boris-johnson-demmanuel-macron-20211229_35UVT64KUBFPHM33ERYICMU
    https://www.liberation.fr/resizer/qs1kqVqQK21SnQgIwAaaeteyQaU=/1200x630/filters:format(jpg):quality(70):focal(1353x761:1363x771)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/PFMIWL7ZCVBEJEWEB7MMNPENKA.jpg
    (les deux présidents se causent très rapprochés et sans masques sur cette photo...)
    A la COP26, à Glasgow, le 1er novembre. (Christopher Furlong/AFP)

    • Il n’y pas que le virus qui varie. N’en déplaise à Christian Lehmann, il n’y a pas de « tournant Johnson » mais une stratégie sous-jacente (cf. la Déclaration de Great Barrington) adoptée localement par nombre de gouvernants à travers le monde, servie par des tactiques variables au gré des circonstances et rapports de forces.
      La tactique, ça se divise en deux : soit des actes et des abstentions en cohérence plus ou moins étroite avec la stratégie suivie, soit, à l’inverse, des moments de renversement de la stratégie pour garder la main, suffisamment quant au besoin.

      Il semble que l’on ne se souvienne pas que le méchant rassuriste inconséquent Johnson avait du faire un virage à 180° qui fit évènement il y a un an lorsque la vague delta a frappé la GB [erreur de ma part : c’était le alpha, surnommé « variant anglais »] et que des mesures inimaginables vu le cadre idéologique affiché jusqu’alors avaient été prises (confinement). Avant d’être en mesure de varier encore.

      Quoi qu’il en coûte.

      #Great_Barrington_Déclaration