Les marins toujours victimes de la fermeture des frontières

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  • Les marins toujours victimes de la fermeture des frontières
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/la-bulle-economique-du-samedi-25-decembre-2021


    Depuis la découverte du nouveau variant Omicron, les frontières se ferment, mettant une fois de plus des centaines de milliers de marins dans la difficulté. Vers une nouvelle crise humanitaire en mer, alertent les organisations internationales. Dans un complet silence.
    Depuis 18 mois, la fermeture des frontières liée à la pandémie complique la relève des marins (dont 1/3 de Philippins), obligés de rester travailler à bord.
    Passer noël loin de la Terre et des siens, pour les marins (ils sont un million 900 000), cela fait partie du métier. Mais cette année encore, une fois sa traversée terminée, ce marin Nigérian, comme beaucoup d’autres, ne sait pas comment il va rentrer chez lui, ni quand. Depuis l’arrivée du Covid, au rythme des nouveaux variants, les ports et les frontières terrestres se ferment, les règles changent d’un jour à l’autre, et cette galère dure depuis presque deux ans. Crew crunch, crise des relèves d’équipage, c’est comme cela qu’on appelle dans le milieu maritime, ce qu’il faut bien nommer une crise humanitaire en mer. L’ONG Human Right at Sea retrace 20 mois de crise dans ce document. Au plus fort de cette crise il y a quelques mois, 400 000 marins ont dû rester à bord, interdits qu’ils étaient de débarquer, même malades et en attente de soins urgents. Certains ont dû travailler 18 mois d’affilé, quand la limite légale est de 11 mois. 400 000 autres marins ont été empêchés de rejoindre leur navires."Alors que les Etats se barricadent à nouveau face au variant Omicron, les marins vont être les premières victimes de ces fermetures, ne les oublions pas" prévient l’Association Française des capitaines de navires. Certains pays qui délivraient des exemptions de quarantaines aux marins vaccinés les ont annulées. De nombreux pays (dont des pays européens de façon unilatérale) ont fermé leurs frontières et ont suspendu les liaisons aériennes avec l’Afrique australe ce qui va de facto augmenter les difficultés de relèves des équipages. Les marins souffrent depuis bientôt deux ans, ils continuent de faire fonctionner l’économie en mettant leur santé en danger (je rappelle que la majorité des marins dans le monde n’a toujours pas eu accès au vaccin). Ils mériteraient un peu plus de considération. Association Française des capitaines de navires.
    Oubliés… les gens de mer ne le sont pas des instances internationales. On ne compte plus les alertes, déclarations, avertissements, et tribunes pour s’inquiéter de leur sort. Dès le début du premier confinement, le 19 mars 2020, le secrétaire général de l’Organisation Maritime international, Kitack Lim pressait les Etats membres à prendre en compte la dimension stratégique du commerce maritime dans leur décision contre le Coronavirus. I Urge, dit-il, je presse instamment… expression forte pour cette institution acculée à édicter des protocoles spécial Covid non contraignants. Quelques mois plus tard, c’est l’Organisation International du Travail, qui condamnait le manque de diligence des gouvernements envers les gens de mer, un avertissement rarissime, et une fois de plus sans effet. Les pays ne doivent pas s’attendre à ce que les gens de mer travaillent indéfiniment pour fournir des biens vitaux, tout en les privant de leurs droits fondamentaux, en tant que travailleurs, et en tant qu’être humain. Observation générale sur les questions découlant de l’application de la convention du travail maritime, 2006, telle qu’amendée (MLC, 2006) pendant la pandémie de COVID-19. 80 à 90% des marchandises voyagent par les océans. Après un creux en 2020, le commerce mondial a retrouvé en 2021 son niveau d’avant covid. Essentielles sont bien les marchandises, mais toujours pas ceux et celles qui les transportent. Si les Etats les considéraient comme travailleurs clés, comme le demande encore cette semaine l’Organisation maritime internationale, les marins pourraient, une fois leur travail achevé, éviter les quarantaines et les montagnes de bureaucratie pour passer les frontières. 62 pays l’ont fait à ce jour, dont la France, la Russie, les Philippines, mais plus de 100 pays manquent à l’appel, dont la Chine, alors que 8 des 10 ports les plus fréquentés au monde sont chinois. La mondialisation des échanges reste reine, mais les Etats souverains et les marins les victimes de ce hiatus. Une nouvelle crise des relèves d’équipage se profile sans doute. Pour l’éviter la profession a lancé un programme spécial quarantaine, pour fournir aux marins des lieux de repos à terre à la fin de leur passage en mer. Aux ports de Singapour, Anvers Rotterdam et Houston, on vaccine gratuitement les marins… car c’est un autre souci, seulement un quart des marins sont vaccinés, et encore faut-il que leur vaccin soit reconnu dans le pays qu’ils doivent traverser. Malgré les goulots d’étranglement de l’automne, les cadeaux de Noël sont arrivés pour la plupart à temps, mais "la maltraitance infligée par les gouvernements aux salariés des transports aura des conséquences à long terme", prévenait dès le mois d’août le directeur de la Chambre international de la marine marchande dans le Financial Times.
    Étonnamment, les marins ne se disent pas plus malheureux qu’en 2019, constate l’organisation chargée de mesurer chaque année, un index du bonheur dans la profession, mais ils se sentent humiliés, "toujours considérés comme des lépreux à tenir aussi loin que possible de la population" écrit Steven Jones, celui qui anime ce « Seafarer Happiness Index » dans un article édifiant. Dans un aéroport, on peut apercevoir des marins, vêtus de combinaisons de protection contre les matières dangereuses bon marché, rassemblés. Il ne manque que les cloches de la peste pour avertir les gens des dangers liés à leur présence. Certains ont même été obligés de porter des combinaisons de sauna en plastique ! Pouvez-vous imaginer… ! Steven Jones du Seafarer Happiness Index.
    Une fois rentrés chez eux, beaucoup disent qu’ils ne reprendront pas la mer. Surtout les plus expérimentés. La profession estime qu’il manquera 75 000 officiers de marine d’ici 4 ans. Les prix des containers pour aller d’Europe en Chine ont été multiplié par 10 en un an, ce n’est pas sans effet sur l’inflation qui revient… qu’en sera-t-il quand il n’y aura plus assez de candidats pour conduire les 74 000 navires de commerce ? Si la flambée actuelle des taux de fret conteneurisé se poursuit, les niveaux des prix des importations mondiales augmenteront en moyenne de 11% mais les PEID (Petits Etats Insulaires en Développement) qui dépendent principalement du transport maritime pour leurs importations pourraient faire face à des augmentations allant jusqu’à 24%. Rapport de la CNUCED.
    Après le crew crunch, le no crew at all… ? Les marins ne sont pas les seuls travailleurs dont l’activité n’a jamais cessé avec le covid, et pour qui le covid a accru la difficulté d’un métier déjà dur et contraignant.
    Souhaitons leur, où qu’il soit sur la mer, pour l’an prochain, un meilleur noël. J’ai conscience de me répéter en finissant cette chronique ainsi, car c’est aussi ce que je disais l’an dernier… Les routiers français, selon la porte parole de la FNTR (Fédération Nationale des Transporteur Routier), n’ont pas eu les mêmes problèmes qu’avec le variant anglais de l’an dernier, mais pour les marins, la situation reste aujourd’hui plus que difficile avec Omicron.

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