En Provence-Alpes-Côte d’Azur, des nouveaux vaccinés contre le Covid-19 convaincus « au forceps »
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Au centre de vaccination de l’hôpital de la Timone, à Marseille, le 30 décembre 2021, Julie Sampo (22 ans) redoute la vaccination au moment de se faire piquer. Avec Rayan Cherfeddine (à gauche), ils vont recevoir leur première dose du vaccin de Pfizer pour pouvoir voyager en février. FRANCE KEYSER POUR « LE MONDE »
Dans la région la moins vaccinée de métropole, des réfractaires franchissent chaque jour le pas de la première injection en conservant leurs doutes.
Bouchra n’arrive pas à calmer son angoisse. Cette travailleuse sociale, qui tient à rester anonyme, attend son tour dans le petit local de l’association des habitants de la cité Air-Bel dans le 11e arrondissement de Marseille. Et panique. Depuis quelques semaines, le lieu, plus habitué aux luttes contre le mal-logement, se transforme en centre de vaccination chaque mercredi. Entre midi et 14 heures, des médiateurs accueillent sans rendez-vous et tentent de convaincre ceux qui, comme Bouchra, n’ont toujours pas franchi le pas de la première dose. « Je suis à jour de tous mes vaccins, mais avec celui-là, j’ai peur », reconnaît cette mère de famille de 35 ans, qui a contracté un Covid-19 sévère en mars 2021.
Au niveau national, 5 % du total des vaccinations sur les sept derniers jours étaient des premières injections, un taux en léger rebond ces dernières semaines. En Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), le nombre de primo-vaccinés est plus élevé qu’ailleurs en métropole. Selon les calculs du Monde, entre le 18 et le 28 décembre 2021, 0,5 % de la population éligible dans la région PACA a reçu une première injection, le taux le plus élevé de France, avec la Corse (contre 0,3 % en Ile-de-France, ou 0,1 % en Pays de la Loire). « Les couvertures vaccinales régionales ont longtemps été plus basses que le niveau national ; un rattrapage plus important est en cours », analyse l’agence régionale de santé.
L’accueil des futurs vaccinés contre le Covid-19, au centre de vaccination de l’hôpital de la Timone, à Marseille, le 30 décembre 2021. FRANCE KEYSER POUR « LE MONDE »
Bouchra avale un comprimé de paracétamol, par précaution.
« Beaucoup de gens ont eu des problèmes après l’injection, il y a même eu des morts. Ils l’ont dit aux infos », assure-t-elle. L’infirmière lui murmure des mots apaisants mais cette mère de trois enfants ne peut s’empêcher de penser à l’étreinte de son fils de 14 ans, le matin même. « Il m’a dit : “Non, maman, n’y va pas !” Son père est contre le vaccin et forcément, lui aussi », justifie-t-elle. Pourquoi se décide-t-elle en cette fin décembre ? « A cause du travail. Mon directeur ne m’a jamais rien dit, mais à la rentrée, je me doute qu’il me demandera un passe vaccinal », explique cette agente dans un centre social.
Un déclic d’abord financier
A Marseille, seuls 60 % des habitants sont vaccinés. Et dans les arrondissements les plus populaires – le 3e, et les 13e, 14e et 15e – le taux plafonne autour des 50 %. Un retard que les responsables des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM) pointent comme l’explication principale de la saturation des services de réanimation. 86 % des patients atteints du Covid-19 admis dans ces services n’ont pas un schéma vaccinal complet.
Si le ministre de la santé, Olivier Véran, a mis, mercredi 29 décembre 2021, la pression sur ces non-vaccinés, l’association Santé et environnement pour tous (SEPT) travaille depuis plusieurs mois à la nécessité de rapprocher l’injection des publics les plus populaires ou les plus réfractaires. Et le rendez-vous du mercredi d’Air-Bel est l’une des nombreuses initiatives de sa stratégie. Mercredi, sur les trente-six vaccinations effectuées en deux heures, cinq sont des premières doses. Habib Chehimi, 25 ans, fait partie de ceux qui l’ont reçue. Son déclic est d’abord financier. « J’en ai marre de payer 25 euros pour chaque test », calcule ce serveur, pochette siglée d’une marque de luxe en bandoulière.
Mais Habib Chehimi a aussi été convaincu par les médiateurs de SEPT et notamment Djamila Haouache, de l’association à Air-Bel, qu’il connaît depuis longtemps. « Elle m’a parlé de mes parents, m’a dit de penser à leur santé », reconnaît le jeune homme. Sa défiance envers le vaccin reste pourtant intacte. Il la nourrit des témoignages « vus sur TikTok ». Pour la deuxième dose, il attendra de voir « les effets sur les autres ». « Avec une seule dose, je pourrais refaire des tests gratuitement », prévoit-il déjà.
Validé dans la nuit du mercredi au jeudi, le projet de loi transformant le passe sanitaire en passe vaccinal a achevé « de mettre le couteau sous la gorge » des derniers réfractaires, estime Nassim Berkchi, boucher de 26 ans aux Arcs (Var). A quelques kilomètres de sa boutique, à Draguignan, un centre vaccinal reçoit les moins de 30 ans sans rendez-vous pendant les fêtes. Alors, en traînant les pieds, Nassim est venu faire sa première dose. Pour une seule raison : en février, il part en vacances à Dubaï. « Là, clairement, on ne nous laisse plus le choix, estime le jeune homme en survêtement de velours bleu ciel. Jusqu’ici, dans les bars, je pouvais avoir le passe de quelqu’un d’autre, mais pour voyager, c’est une autre affaire. » Plus tôt dans la matinée, Martin (prénom modifié), conseiller dans les assurances de 30 ans, est aussi venu les paumes moites. « Je suis là à contrecœur », dit-il à l’homme de l’entrée. Il veut partir au ski, « pour la première fois depuis deux ans. » « Le gouvernement joue sur la peur des gens » estime-t-il.
Laëtitia (prénom modifié), infirmière de 42 ans à Grasse et « gilet jaune » de la première heure, sillonne l’arrière-pays six jours sur sept. La peur du vaccin, elle l’entend quotidiennement et tente de la déconstruire. Elle ne préfère pas donner son nom car elle craint « qu’on [lui] en veuille » de parler « comme ça ». Mais à ses patients, elle « répète depuis six mois qu’il faut se faire vacciner ». A force d’échanges, elle parvient à en convaincre quelques-uns, « même des gros antivax ». Comme ce couple de retraités qui vivent dans une ferme sur les hauteurs des Préalpes et ont finalement franchi le pas avant les fêtes. « J’ai proposé de les vacciner mine de rien après un pansement que je venais faire pour le monsieur. J’étais sûre de mon coup, j’avais prévu les doses », raconte-t-elle.
Venir « à reculons »
Les soignants de proximité ou les médecins de famille sont aussi des leviers importants. A Antibes (Alpes-Maritimes), où le taux de personnes infectées par le Covid-19 hospitalisées en réanimation atteint 130 % des lits habituellement disponibles dans ces services, le généraliste Daniel Vivona, 54 ans, rappelle tous les jours ses patients réticents pour leur demander s’ils ont changé d’avis. Le 29 décembre, deux Antibois d’une soixantaine d’années non vaccinés, ayant contracté le Covid-19 et dans un état grave, étaient transférés en avion vers Lille. « Au début, les gens pensaient qu’il n’y aurait qu’une vague ou deux. Ils comptaient attendre la fameuse immunité collective. Mais là, on en est à la cinquième, et je leur dis que maintenant, il va falloir y aller », témoigne ce médecin de famille, qui vaccine tous les jours des « primos » et à qui on demande encore parfois « de vider la dose dans l’évier contre un billet ».
A l’hôpital de La Timone à Marseille, le centre de vaccination occupe une partie du hall d’entrée. Deux cents personnes y passent quotidiennement, dont quelques dizaines de premières doses. Julie Sampo, 23 ans, et Rayan Cherfeddine, 22 ans, sont venus ensemble mais « à reculons ». Ils se sont décidés dans le but de pouvoir profiter d’un voyage en Andorre en février. « Sinon, c’était test PCR pour aller et revenir », précise Rayan, vendeur dans une grande surface automobile. Julie, qui travaille dans les écoles, s’inquiète des effets secondaires et notamment de cette rumeur qui dit que le vaccin peut rendre stérile. Rayan, lui, n’en voit « toujours pas l’utilité ».
A gauche, Rayan Cherfeddine, 22 ans, et Julie Sampo, 23 ans, viennent de recevoir leur première dose de vaccin, à Marseille, le 30 décembre 2021. FRANCE KEYSER POUR « LE MONDE »Un sentiment que partage Nacera Souidi, 58 ans. « Ce vaccin n’empêche pas d’attraper le virus. C’est qu’une histoire d’argent », s’agace-t-elle. Si elle est là aujourd’hui, c’est par crainte d’être hospitalisée en Algérie, où elle doit se rendre prochainement. Après s’être fait enregistrer et après la consultation du médecin, Nacera Souidi zappe finalement le box où l’attend l’infirmière. « Je ne le fais pas. Si je suis malade, c’est que Dieu le voulait », assume-t-elle avant de quitter les lieux.
« Convaincre les gens est un travail au forceps », reconnaît Yazid Attalah, fondateur de l’association SEPT. « Avec les plus réfractaires, l’argument scientifique ne fonctionne pas car ils vont toujours te citer un professeur Maboul qui, sur les réseaux sociaux, valide leurs idées. Il faut recentrer sur leur propre responsabilité, le cas de proches qu’ils pourraient contaminer ou de parents qui verront leur opération du cancer reportée parce qu’il n’y a plus de place à l’hôpital », détaille-t-il. Mais pour lui, les cas les plus épineux restent ceux des « repentis », ces personnes qui ont un passe sanitaire frauduleux et veulent aujourd’hui se faire vacciner. « L’ARS n’a pas de solution pour eux et nous renvoie la responsabilité de faire l’injection », explique Yazid Attalah, qui aimerait que le gouvernement se saisisse de la question.