Même à partir de Hongkong, les voyages d’affaires en Chine restent des parcours du combattant
La Chine a beau annoncer que ses portes sont « grandes ouvertes », et avoir réduit de 2 jours la quarantaine d’entrée, vendredi 11 novembre, les conditions d’accès au pays restent compliquées voire ubuesques pour ceux, étrangers comme Chinois, qui tentent le voyage.
« N’oublie pas de prendre draps, oreiller, serviettes de toilette, bouilloire électrique (très important), des réserves (chocolat, thé, snacks…), et du frais pour les premiers jours », avait-on conseillé à Paul H., un homme d’affaires occidental qui n’a pas souhaité être identifié, installé à Hongkong depuis vingt ans. Très familier des voyages en Chine, plutôt dans les meilleurs hôtels internationaux des principales grandes villes, il n’y était pas retourné depuis presque trois ans, et avait été ainsi conseillé par un ami qui en revenait.Car, depuis que « la Chine a rouvert », ceux qui y vont, pleins d’enthousiasme à l’idée de pouvoir « enfin revoir leurs équipes », reviennent un peu sous le choc des parcours d’obstacles que sont devenus les voyages en Chine continentale. L’époque pré-Covid-19 des « sauts de puce », où, à partir de Hongkong, on enchaînait en quarante-huit heures réunions, visites d’usines et soirées avec les clients dans plusieurs villes, est un lointain souvenir. Tout comme les allers-retours Hongkong-Shanghaï, qui pouvaient se faire sur la journée, ou les visites à Shenzhen, qu’un train rapide relie à Hongkong en dix-neuf minutes depuis 2018…
Dix-neuf minutes de train, c’est rapide, sauf qu’il faut désormais ajouter à ce temps de transport plusieurs semaines d’attente pour gagner à la loterie qui donne le droit de traverser la frontière, et dix jours de quarantaine pour les visiteurs non-résidents… Alec L., qui travaille dans une grande entreprise d’électronique, s’était inscrit sur l’application en ligne prévue pour le tirage au sort des passages à Shenzhen, la ville frontière avec Hongkong. Il a enfin eu son jour de chance fin octobre. Mais, en arrivant à la frontière, il lui manquait le certificat écrit de l’un de ses tests anti-Covid.
Retour à la case départ. « Je retente ma chance tous les jours. Ma valise est prête depuis deux mois maintenant, car les résultats tombent à 20 heures chaque jour, et l’autorisation peut être donnée pour le lendemain », raconte Alec. Aller en Chine en ce moment requiert donc patience, persévérance et même endurance. Si l’accès par avion, lui, ne requiert pas de loterie, les billets sont très rares. Et, pour Pékin, outre la fourniture des tests « habituels », il fallait aussi, jusqu’aux annonces d’assouplissement de vendredi 11 novembre, se tester dans les sept heures avant le décollage. Ce qui impliquait, pour les vols du matin, de passer la nuit à l’aéroport. Un seul test pré-voyage est désormais requis.
Mais c’est à l’atterrissage que le périple se corse. Car toute arrivée en Chine – pour les étrangers, les Hongkongais ou les Chinois continentaux – commence par un minimum de sept jours en isolement complet, dans un lieu désigné par les autorités et attribué de manière aléatoire à la descente de l’avion. Au bout de sept jours, les personnes, Chinois ou résidents étrangers, qui ont un logement local attitré peuvent rentrer chez elles pour les trois jours supplémentaires d’isolement, sous réserve d’avoir obtenu l’accord préalable de la copropriété, ce qui est loin d’être automatique. Mais les autres, en voyage d’affaires, voient leur quarantaine prolongée de trois jours. Depuis vendredi, ce modèle 7+3 a été remplacé par « 5+3 », un allègement bienvenu qui ne lève pas pour autant nombre de risques et de désagréments.Après des formalités bien rodées, qui se font essentiellement de manière électronique, et une désinfection scrupuleuse des bagages, tous les passagers sont pris en charge. « On monte dans des bus sans savoir où l’on va, raconte une femme qui travaille dans la finance. On découvre à l’arrivée un immeuble neuf, à peine fini. On vous annonce alors trois tarifs, entre 35 et 60 euros par nuit. Mais les numéros de chambre sont ensuite distribués sans aucune prise en compte du prix payé par chacun. »
Lors de son récent voyage à Pékin, elle s’est ainsi retrouvée dans un deux-pièces avec vue sur la grande muraille, un surclassement inattendu et bienvenu, deux mois après une première quarantaine à Shanghaï « nettement plus pénible ». Parmi les différents témoignages recueillis par Le Monde, un voyageur à Shanghaï mentionne des réveils répétés à 4 heures du matin par un tambourinage sur sa porte en vue du test quotidien, ainsi qu’une visite soudaine par des personnes en « combinaisons Hazmat intégrales, dont on ne croise même pas le regard », pour des prélèvements sur toutes les parois de la chambre, quelques jours avant la fin du séjour.
« Maintenant, je conseille à ceux qui partent d’emporter des somnifères, des vitamines et des antidépresseurs », affirme un « revenant » de Chine. Depuis sa chambre de 10 m2, au 18e étage d’un immeuble neuf, également situé dans la grande banlieue de Pékin, Paul H. affirme pour sa part qu’il lui est impossible de faire le moindre exercice, faute d’espace pour bouger. Dans la petite salle d’eau, la douche est au-dessus des toilettes, et la seule serviette mise à disposition est de la taille d’un torchon de cuisine. Il faut débarrasser l’ordinateur de la minuscule table quand arrive le plateau-repas, ou manger sur ses genoux.
Et cela, pendant dix jours, si tout va bien… Alors que toutes ses valises étaient prêtes, lundi 7 novembre, Paul a eu une mauvaise surprise : un cas potentiel avait été identifié dans une chambre située au-dessus ou en dessous de la sienne, partageant certaines tuyauteries d’eau ou d’air conditionné. Il était donc considéré « cas contact potentiel » et ne pouvait plus sortir. Son séjour n’a finalement été prolongé « que » de deux jours.
Mais tout le monde n’est pas traité de la même façon, selon son « Guanxi », son réseau de relations. « A l’arrivée de l’avion, une berline est venue me chercher pour m’emmener directement au JW Marriott [un hôtel cinq étoiles] », raconte le patron d’une grande marque, qui reste vague sur la manière dont ce traitement de faveur a pu s’organiser. Les dirigeants dans les secteurs jugés stratégiques (électronique, alimentaire…) font normalement partie des nantis à qui les plus gros désagréments sont épargnés.
Mais même une fois sur le terrain, le stress continue. « A tout moment, on peut être identifié cas contact, et là, on ne maîtrise plus », raconte un homme d’affaires. Lui-même a reçu un appel pendant une réunion, lui indiquant qu’il avait « sans doute croisé un cas contact dans le lobby de son hôtel ». « Par chance, je filais vers une autre province. Mais en arrivant à l’étape suivante, j’ai été contacté par les autorités locales, qui étaient déjà au courant… Quand on sent que l’étau se resserre, le mieux est de quitter la Chine au plus vite », conclut-il.