Réflexions en marge d’une tragédie de Pierre Vidal-Naquet, 1970
Il est (...) profondément naturel que le combat de ce peuple [palestinien] dont l’existence même a été, est encore niée soit compris et au besoin soutenu par ceux pour qui l’internationalisme a encore un sens. Mais il ne s’ensuit pas pour autant que cette lutte nécessaire doive être menée avec les armes de l’illusion idéologique et de la mystification apaisante. En particulier il convient de dire, à mon sens, avec la plus grande netteté et une franchise totale que ceux qui répandent la vision idyllique d’une Palestine « laïque et démocratique », unitaire ou binationale se méprennent gravement à la fois sur les objectifs actuels du mouvement palestinien et sur les possibilités réelles de mettre en œuvre une telle solution. Ce qui rend au contraire le conflit israélo-palestinien si profond, si total, c’est qu’il n’est que, pour l’instant, un conflit de délimitation de souveraineté. C’est un conflit pour une même terre entre deux peuples dont l’un, développé, utilise et au besoin force l’appui des collectivités juives de l’Occident capitaliste et de cet Occident tout entier, et dont l’autre, sous-développé, s’insère dans le contexte d’une « révolution arabe » qui est reconquête de l’identité nationale pulvérisée, promesse peut-être à long terme de développement autonome mais qui se situe sur un plan tout différent de celui du combat révolutionnaire et socialiste dont Mai 68 a démontré qu’il n’était pas impossible dans un pays développé.
En fait, la revendication palestinienne apparaît comme très exactement symétrique du mouvement même qui l’a provoquée, je veux dire de l’établissement sioniste : c’est ce que montre de façon saisissante le texte qui jusqu’à maintenant exprime avec le plus de netteté et de façon officielle la position de la révolution palestinienne — texte que ne sauraient annuler, pour le moment, des déclarations de circonstances : le « pacte national palestinien » adopté au premier congrès palestinien tenu à Jérusalem en mai 1964, texte modifié et amendé au quatrième congrès tenu au Caire en juillet 1968. L’article 4 de ce texte est ainsi rédigé : « La personnalité palestinienne est un caractère inné, persistant qui ne peut disparaître et qui est transmis de père à fils. » Comme l’a observé avec une lucidité féroce le général et arabisant israélien Y. Harkabi (Maariv, 12 décembre 1969), compte tenu du fait que dans la tradition arabo-islamique la filiation est patrilinéaire et que dans la tradition juive elle est matrilinéaire, nous avons là très exactement la contrepartie palestinienne de la « loi du retour ». Il en résulte aussi que la qualité de « palestinien » ne résulte pas d’un contrat (pas plus que la qualité de juif israélien dont tous les fils de mère juive sont les bénéficiaires possibles), mais est transmise exclusivement par la naissance.
Quant à l’article 6 de ce même document, il précise que les « juifs » qui vivaient en Palestine de façon permanente avant les débuts de l’invasion sioniste « seront considérés comme Palestiniens ». Comme les « débuts » de « l’invasion sioniste » sont fixés par ailleurs à 1917 (déclaration Balfour) la conséquence est facile à tirer. Il est vrai que des déclarations récentes ont corrigé ces affirmations et que les dernières publications d’Al Fatah évoquent une Palestine dont feraient partie tous les habitants du pays, juifs, arabes, israéliens, personnes vivant dans les territoires occupés, exilés ou réfugiés, mais ces textes n’ont jamais eu le caractère solennel du « pacte national » de 1968.
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