• « On va bientôt battre des records d’abstention dans les classes populaires » par Daniel Gaxie
    https://qg.media/2022/01/27/on-va-bientot-battre-des-records-dabstention-dans-les-classes-populaires

    À la veille d’une présidentielle où des records d’abstention devraient être battus, Daniel Gaxie, auteur du « Cens caché », classique de la science politique paru à la fin des années 70, livre les raisons de la mise à l’écart des classes populaires, hors du champ politique. Un éloignement qui ressemble souvent à une auto-exclusion émanant de précaires convaincus que personne ne règlera leurs problèmes. Interview par Jonathan Baudoin

    Est-ce que voter a encore un sens, quand on est issu des milieux populaires ? Voilà une question qui se pose à l’approche d’une élection présidentielle comme celle dont le premier tour arrive en avril prochain. Pour QG, le politologue Daniel Gaxie, auteur du livre Le Cens caché, soulignant l’auto-exclusion des classes populaires du vote, et de la vie politique, considère que la présidentielle de 2022 pourrait voir un niveau d’abstention record, avec le contexte sanitaire, et surtout le sentiment de défiance à l’égard de la politique, lié à une absence d’espoir, d’utopie, de vraie alternative idéologique.

    QG : En 1978, vous écriviez « Le Cens caché » (allusion au suffrage censitaire qui ne laissait voter que les notables), soulignant combien le degré de participation au vote diffère selon les classes sociales, les classes populaires se sentant moins concernées par le vote que la bourgeoisie. Les échéances électorales de ces dernières années illustrent-elles cette réflexion ?

    Daniel Gaxie : Je dirais que non seulement elles illustrent, mais aussi que, pour diverses raisons, elles renforcent la pertinence de cette analyse. Les mécanismes d’exclusion des catégories populaires, qui sont pour la plupart des mécanismes d’auto-exclusion, se sont renforcés pour diverses raisons. Il faut commencer par rappeler que la participation électorale est le résultat de trois facteurs : les dispositions individuelles, le contexte et les mobilisations.

  • La gauche vaut-elle une grève de la faim ? par Aude Lancelin
    https://qg.media/2022/01/13/la-gauche-vaut-elle-une-greve-de-la-faim-par-aude-lancelin

    On apprend donc qu’une poignée de militants, dont certains évidemment à peine sortis de l’œuf et fort ingénus, viennent d’entamer une grève de la faim afin que « la gauche » se mette en ordre de bataille pour 2022 derrière une candidature unique. « On espère que cette violence qu’on inflige à nos corps fera réagir les candidats » affirme l’une d’entre elles, interrogée le 7 janvier dernier par nos confères de Libération. « On pousse un cri du corps, un cri du ventre. On crie famine parce qu’on a faim d’autre chose », complète son camarade gréviste, un jeune militant climat. Après la gauche du cœur des années 1990, la gauche du corps des années 2020, donc. Deux façons d’échouer avec les meilleures intentions du monde depuis plus de trente ans. Ce qu’on attend toujours, et qui n’est toujours pas venu, c’est la gauche du peuple. Celle qui renouerait avec les aspirations des classes populaires, et gagnerait à nouveau leur confiance. Une opération prendrait il est vrai plus de trois mois, et aurait dû a minima commencer aux lendemains de la victoire d’Emmanuel Macron en 2017.

    À quoi bon en effet s’affamer pour obtenir aux forceps une manœuvre politicienne de dernière minute, contraignant des carpes et des lapins à produire une nouvelle chimère ? Un monstre politique condamné à échouer quel que soit le cas de figure en 2022 : soit au moment de l’élection au printemps prochain, car ce candidat unique n’a désormais quasiment plus aucune chance d’être au second tour ; soit en aval de l’élection, vautré dans le reniement et l’imposture comme Syriza hier en Grèce, plateforme de gauche qui se vit condamnée à appliquer avec de plus en plus de zèle les purges de la Troïka, ou comme Hollande en France, bienfaiteur du CAC 40 cyniquement élu sur une déclaration de guerre à la finance.

    Car de quelle « gauche » française au juste parle-t-on aujourd’hui, en ce début d’année 2022 ? Qui sont ces gens que l’on veut voir communier œcuméniquement pour que des processions entières d’électeurs, qui n’attendraient plus que ce signal, se précipitent dans l’isoloir afin de la porter au firmament élyséen ? La gauche bifteack-pinard de Fabien Roussel, secrétaire général du PC, qui défila en mai dernier aux côtés de syndicats de police violents et corrompus, ayant applaudi au martyre des Gilets jaunes ? La gauche d’Olivier Faure, secrétaire général du PS, qui se disait prêt à rejoindre Macron en vue de mettre en place, là encore, « une grande coalition », et a les yeux de Chimène pour le racisme anti-arabe à fleur de peau du Printemps Républicain, sous couvert de défense des valeurs laïques ? La gauche d’EELV, qui a produit des piliers du régime macroniste comme François De Rugy, ex-candidat à la primaire socialiste en 2017, ou Barbara Pompili, ex-secrétaire d’État de Manuel Valls ? Est-ce ce genre de pot-pourri constitué de tout ce qui s’est fait de pire en France depuis trente ans que l’on veut voir porté à la tête de notre pays ? Est-ce un nouveau François Hollande que l’on aspire à voir gouverner, lui qui nomma Emmanuel Macron conseiller à l’Élysée, puis ministre de l’économie, sous les injonctions directes du patronat (Voir l’interview vidéo de Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur QG, « Macron, un quinquennat fatal ») ?...

  • Mondialisation et libre échange : on vous explique tout ! – La Chronique de Farah
    https://www.les-crises.fr/mondialisation-et-libre-echange-on-vous-explique-tout-la-chronique-de-far

    Pour cette chronique économique, l’économiste Frédéric Farah revient sur la question de la mondialisation et du libre-échange. Bien qu’indépendantes l’une de l’autre, ces deux notions économiques rassemblées ont dessiné le paysage économique tel qu’on le connait aujourd’hui. La mondialisation et le libre-échange ont-ils été profitables à l’économie globale, ou faut-il au contraire en limiter les […]

    #Vidéo

    • Le 1er janvier 2002, il y a tout jute 20 ans, l’euro entrait en circulation. Aujourd’hui, après un bilan globalement catastrophique pour les travailleurs français et ceux des pays du sud, personne n’évoque cette question dans les débats de la présidentielle. Peur d’éloigner l’électeur, sentiment d’impuissance, cécité totale ? L’économiste Frédéric Farah dresse le bilan de vingt ans de mensonges, d’aveuglement et d’occasions ratées. Une interview puissante à retrouver sur QG !
      https://qg.media/2022/01/15/leuro-est-un-instrument-de-la-lutte-du-capital-contre-les-peuples-par-frederic

      Dans un grand entretien accordé à QG, il souligne combien l’euro est un échec global, y compris sous l’angle de la pensée économique dominante. Il insiste aussi sur le fait que cette monnaie ne tient désormais que par la peur, et est effaré du renoncement de la gauche à s’attaquer à ce sujet, signe à ses yeux de l’abandon de son « âme » par un camp qui était censé défendre la classe laborieuse. Interview par Jonathan Baudoin

      Lorsque vous couplez l’euro à la mobilité des capitaux, vous avez un rapport de classe qui devient complètement favorable au capital et défavorable au travail, à la protection sociale.

      QG : Dans le Figaro du 29 décembre dernier, il est affirmé qu’il y a une adhésion « irréversible » à l’euro en France comme ailleurs dans les pays de la zone monétaire. Partagez-vous cette vision ?

      Évidemment que non ! C’est une certaine façon de se rassurer sur l’irréversibilité de l’euro. Sur quoi se fondent ces discours ? Je verrais plus des raisons négatives que positives à cela. Lorsqu’il s’agit de défendre l’euro, l’orthodoxie nous dit : « Attention, les amis. Si vous voulez sortir de cette affaire, c’est l’apocalypse qui vous attend ». En gros, on va finir comme le Venezuela. C’est forcément l’effondrement économique qu’on nous prédit, mais tout cela n’est pas très sérieux. Un monde après l’euro, ça fait peur. Et puis, les jeunes générations, comme mes étudiants, sont des bébés euro. C’est-à-dire que les gens qui sont nés à la fin des années 1990, au début des années 2000, n’ont eu que l’euro. On a tellement fait peur que certains ont adhéré. L’euro donne un sentiment de stabilité. On fait avec.

      Est-ce que derrière il y a malgré tout une adhésion positive ? Je n’y crois pas. À part le discours européen, efficace mais très contestable, s’accaparant les catégories du « bien ». C’est-à-dire, « l’Europe, c’est la paix », « l’Europe, c’est la solidarité », etc. Même si dans les faits, c’est loin d’être le cas. La paix en Europe, c’est pour des raisons géopolitiques qu’elle a eu lieu. Lors de la guerre froide, la paix était assurée essentiellement par les Etats-Unis et la dissuasion nucléaire française qui a joué un rôle clé. L’UE est surtout un projet de la guerre froide. Croire que la monnaie unique a rapproché les gens, ce n’est pas vrai. Ça n’a pas accru le sentiment d’appartenance européen. Il suffit de voir un billet d’euro, sans âme, ne respirant aucune culture commune, pour voir le problème. Ces billets posent trois questions qui n’ont jamais trouvé de réponse : quelle unité, quelles frontières, quelle légitimité ? Ces questions centrales dans la construction européenne attendent toujours leurs réponses. On aurait pu mettre des poètes, des artistes ou des architectes, sur ces billets. Cela aurait été une occasion de se connaître vraiment. Si on avait eu un billet avec le visage d’un architecte portugais ou italien par exemple, on se serait interrogé pour en savoir plus. On n’a même pas fait ça.

      QG : Peut-on penser que l’euro est un choc asymétrique positif pour l’Allemagne, et le nord de l’Union européenne, et a contrario négatif pour la France et le Sud de l’UE ?

      Indiscutablement ! On peut dire que l’euro, c’est un mark déguisé sans les défauts du mark. L’Allemagne a eu l’intelligence de défendre ses intérêts personnels, nationaux. Aucun reproche n’est à lui faire. L’Allemagne vit avec avec une monnaie sous-évaluée. Les pays du Sud, et nous, vivons avec une monnaie surévaluée. L’euro fort a considérablement coûté en termes de désindustrialisation à la France. Tout comme la Grèce, quand elle se retrouve en 2008 avec un euro à 1,60 dollar, c’est insoutenable pour son économie. Sans compter qu’à l’époque, elle devait subir le boycott des produits russes par l’Union européenne alors que pour la Grèce, son principal client agricole était la Russie. C’était la double peine...

      ... Tous les candidats, effectivement, ne mettent plus en avant la question de l’euro. Chez Mélenchon et la France insoumise, il y avait eu un effort réflexif, politique, sur ça. Que doit-on en conclure ? Est-ce que ça ne paie plus ? Est-ce qu’on pense que ça éloigne l’électeur ? Est-ce que c’est de la tactique politique ? Je dirais que les autres candidats déclarés n’en parlent pas non plus, parce qu’ils s’en accommodent. Comme l’euro est le bras armé du capital, les candidatures de droite ou d’extrême-droite s’accommodent de l’ordre économique qui existe, leur permettant de désigner d’autres cibles pour la population, en leur disant que le problème est ailleurs. Ils n’ont aucune raison de mettre ce sujet au cœur de leurs préoccupations. Ils sont les candidats du néolibéralisme. Pourquoi iraient-ils perturber son fonctionnement ?

      Si ce n’est pas la gauche, telle que je l’entends, qui place la question sociale et celle de la répartition du capital en position centrale, je ne sais pas qui va le faire. Or l’euro est une arme du capital contre le travail. Il faut que les Français comprennent que ce qui arrive à l’hôpital est en lien avec les questions européennes. S’ils ne le voient pas, il est urgent au niveau médiatique que la gauche le dise. Je vais en faire la démonstration cinglante. 1992, on dit « oui » à Maastricht. 1993, la réforme Balladur, où on modifie le calcul des points de retraite. On crée des distorsions public/privé. On calcule les retraites de manière moins généreuse. 1995, la réforme Juppé, avec le fameux ONDAM, l’objectif national des dépenses maladie. Même si les belles grèves de 1995 font échouer une partie du projet Juppé, l’ONDAM demeure et on en perçoit toute la nocivité avec la crise du Covid par rapport aux capacités hospitalières. On continue avec la Tarification à l’activité de Jean Castex. On poursuit avec la réforme Touraine et l’ensemble des réformes de la protection sociale qui se sont faites dans ce cadre européen. Aujourd’hui, ce rationnement budgétaire qu’a connu l’hôpital public est intimement lié à nos choix européens. Les Français doivent le savoir. Et penser qu’entre l’hôpital et l’euro, il n’y a pas de lien, c’est passer à côté de l’essentiel.

      Pour le dire avec des mots qui ont du sens pour moi, l’euro est un instrument de la lutte des classes ! Couplé à la libre circulation du capital, c’est une arme de destruction massive des droits des travailleurs...