• ENTRETIEN. Violences policières : l’auteur nantais Pierre Douillard enquête et témoigne
    Presse Océan Recueilli par Laurent Huou Publié le 18/01/2022
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    L’auteur nantais Pierre Douillard vient de publier « Nous sommes en guerre », un ouvrage dans lequel il entend analyser les rapports entre la police « et sa militarisation » et les manifestants.

    Presse Océan : comment a germé l’idée de ce livre qui aborde les violences policières sur une quinzaine d’années ?

    Pierre Douillard-Lefèvre : « Lors d’une manifestation lycéenne en 2007, j’ai été blessé à l’œil par un tir de LBD (lanceur de balles de défense). C’était l’une des premières fois que ce type d’arme était utilisé. Depuis, cela, c’est généralisé et les victimes se sont multipliées. J’avais déjà écrit un livre en 2016, intitulé L’arme à l’œil. Je pensais le réactualiser, mais entre 2016 et 2021, la situation s’est aggravée, la militarisation du maintien de l’ordre s’est accélérée et j’ai choisi d’écrire un nouveau livre complet d’analyses historique, sociologique et même philosophique ».

    En quoi la situation s’est-elle aggravée ?

    « On le vit au quotidien, la répression s’amplifie : Gilets jaunes et ses blessés, rave party et mort de Steve à Nantes, grapheurs… À chaque fois, ces rassemblements sont sévèrement réprimés. »

    Vous pointez la hausse du nombre de blessés comparée aux années 1990. Comment expliquez-vous cela ?

    « Au moment de l’expulsion de la Zad : 13 000 grenades ont été tirées en une semaine, 10 000 le 1er décembre 2018 contre les Gilets jaunes. On est là dans des quantités industrielles par rapport aux manifestations contre le CPE, ou Le Pen en 2002, où il y avait plus de monde pourtant. Nous vivons dans des sociétés de plus en plus inégalitaires et nous avons des gouvernements autoritaires, incapables d’écouter les attentes de la population. Ils répondent par la force. »

    Certains manifestants ne sont-ils pas plus violents aujourd’hui qu’il y a 20 ans ?

    « C’est factuellement faux : on remarque que les dernières décennies ont connu des moments de violences de rues très importantes. Il y a les grèves insurrectionnelles de Nantes et Saint-Nazaire en 1955, l’explosion de Mai 1968, les mobilisations contre le nucléaire, avec des affrontements très durs, les marins à Rennes en 1994, les émeutes à Nantes, contre le CIP ou lors des grèves de 1995. Pourtant, il n’y a pas de LBD, quasiment jamais de grenades explosives et encore moins de personnes tuées ou mutilées à vie. Alors même que l’équipement de protection des policiers était beaucoup plus léger. Je cite Mandela : “C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence”. »

    Vous évoquez également la disparition des corps intermédiaires…

    « Oui, les gouvernements actuels ne les écoutent plus. Il y a donc un rapport direct entre le pouvoir et la rue. [...] Il y a un pouvoir qui se durcit, une police qui se radicalise. »

    Comment expliquer qu’il y a des différences entre certaines villes, par exemple Nantes et Saint-Nazaire ?

    « Je pense que le pouvoir met en place, dans des bastions comme Nantes, des commissaires et préfets durs. Cette stratégie se répand en France. Regardez Paris. »

    Vous mettez en avant cette phrase : « En blesser un pour en terroriser 100 ».

    « C’est de la stratégie. On a tous entendu autour de nous des gens dire : “Je ne vais plus aux manifs car j’ai peur, je n’irais pas avec mes enfants”. Il y a 15 ans, tout le monde allait manifester avec ses enfants. L’idée de faire peur pour dissuader d’aller manifester fonctionne. »

    Quelles seraient les solutions pour apaiser tout cela ?

    « Un, la fin de l’impunité. Dans les affaires que je suis, elles sont quasi toutes classées. Dénoncer les fabricants de ces armes. Revenir à une gestion du conflit sans répression ».

    « Nous sommes en guerre » de Pierre Douillard-Lefèvre, Éd. Grevis, 12 €.

    #Violences_policières