« La narration politique, c’est de la mauvaise litt... — Mediapart

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  • Éric Vuillard : « (…) comme si l’#histoire avait pu juger la #littérature tandis que la littérature, elle, n’aurait disposé d’aucun savoir. Sa position [celle de Paxton] impliquait fatalement que la littérature était une sorte d’activité ornementale, sur laquelle un historien pouvait poser un jugement historique, mais ne pouvait rien apprendre. »

    L’écrivain est en quelque sorte prisonnier de son monde social, et plus la société se fragmente, plus la société devient hiérarchique, inflexible, plus il est difficile de savoir ce qui se passe dans d’autres classes sociales que la sienne, d’où le recours au passé, aux archives, qui permettent de trouver des documents, des informations, et notamment sur les classes dominantes qui savent parfaitement dissimuler leur manière de vivre et leurs intérêts.

    Il me semble que c’est l’un des mérites de la littérature, au moment où nous sommes à la fois privés de ce savoir, coupés d’une partie du monde, et en même temps plongés dans une vie sociale très inégalitaire, d’essayer de raconter « en même temps » les coolies vietnamiens et les banquiers, « en même temps » le travail forcé et les dividendes, raconter à la fois Saccard et Coupeau, L’Argent et L’Assommoir, essayer de les juxtaposer. Cela fabrique une sorte de savoir, très particulier. C’est une chose que de lire L’Assommoir d’un côté, de voir le destin terrible de Gervaise, puis de lire, plus tard, la vie de Saccard, et de voir la haute finance à l’œuvre. C’en est une autre de les voir « en même temps », d’un chapitre à l’autre, se frôler.

    Cela fabrique un savoir par contraste qui peut nous être salutaire. D’où le fait de mettre les coolies et la banque dans le même livre. Ces deux mondes sociaux ne sont pas étrangers l’un à l’autre : ce dont parle la banque, ce sont les dividendes issus des plantations dans lesquelles travaillent les coolies. Il faut donc une forme de montage. C’est l’intérêt de la littérature et du cinéma : essayer de mettre en rapport des choses. Et ce rapport révèle des significations qu’on ne peut plus refouler. https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/160122/eric-vuillard-la-narration-politique-c-est-de-la-mauvaise-litterature