Overdispersion in COVID-19 increases the effectiveness of limiting nonrepetitive contacts for transmission control

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  • Aujourd’hui, on va s’épancher sur les limites du R0 : qu’est-ce qu’il ne nous dit pas sur la propagation d’un virus ?
    https://threadreaderapp.com/thread/1485202069325848577.html

    Ce sera l’occasion pour vous de faire connaissance avec le kappa (SPOILER : il ne s’agit pas de l’équipementier sportif).

    En guise de préambule, souffrez que j’énonce deux ou trois rappels.

    Le R0, ou nombre de reproduction, c’est le nombre de personnes qu’un cas positif va infecter au tout début d’une épidémie, c’est-à-dire dans une population susceptible
    (susceptible = sans immunité préalable contre l’agent infectieux), et qui n’applique pas les mesures barrières ni ne procède à l’isolement des cas positifs.
    Si ce R0 < 1, cela veut dire qu’une personne va en contaminer moins d’une autre.

    Résultat : chaque nouvelle génération va produire de moins en moins de cas, et l’épidémie s’éteindra d’elle-même, progressivement.
    Un virus au R0 < 1 ne peut donc produire de graves épidémies sur le long terme.

    Le MERS-CoV actuel, avec son R0 estimé à 0.9, l’a appris à ses dépens.
    Si R0 = 1, cela implique un nombre constant de nouveau cas.

    La progression de l’épidémie est alors linéaire (une personne en contaminera une autre à chaque fois), ce qui la rend encore maîtrisable.
    Mais si le R0 excède la valeur seuil de 1, ça se complique : le porteur du virus va alors infecter plus d’une personne, ce qui fait que la nouvelle génération produira toujours plus de cas que la génération précédente.

    Si on n’intervient pas, l’épidémie va s’étendre.
    Naturellement, plus le R0 est élevé, plus grande devient la menace épidémique.

    bbc.com/news/health-52… Image
    Coronavirus : What is the R number and how is it calculated ?
    The R number is a simple but crucial figure at the heart of lockdown decisions across the UK.
    https://www.bbc.com/news/health-52473523
    Le R0 de SARS-CoV-2 en janvier 2020 (je veux bien sûr parler de la souche ancestrale de Wuhan) a fait l’objet de nombreuses estimations donnant parfois des valeurs très différentes (de 2 à 8), mais à l’arrivée, il s’est établi un certain consensus autour de 3. Plus ou moins.
    Ainsi, à Wuhan, au début de l’épidémie, sans mesures barrières et dans une population naïve (non-immunisée), un cas positif contaminait trois personnes.

    C’était bien plus que nécessaire pour provoquer une flambée massive.
    S’agissant du variant Delta, son R0 serait compris entre 6 et 8 !

    Heureusement qu’il a débarqué dans une population rompue aux gestes barrières (laissez-moi y croire, merci) et qui commençait à se faire vacciner.

    (Sans oublier l’immunité acquise par infection mais c’est caca.)
    En effet, et comme je l’ai dit, le R0 vous donne simplement une idée du pouvoir de propagation d’un virus au début d’une épidémie.
    Une fois que l’épidémie s’installe, qu’on applique des mesures barrières et que la population s’immunise petit à petit (ou meurt), le R0 tel quel ne vous sert plus à grand-chose : il ne rend pas compte de la progression du virus en temps réel.
    On va donc le remplacer par un autre indicateur : le R-eff(ectif), qui est le nombre de reproduction de notre virus à un moment donné (pas exactement en temps réel : en effet, il y a toujours un certain décalage)
    Contrairement au R0, ce R-eff subit l’influence, notamment des mesures barrières, de l’isolement des cas positifs ou des cas contacts, de la densité de population mais aussi bien sûr de l’immunité acquise au fil du temps, qu’elle soit vaccinale ou malheureusement infectieuse.
    Néanmoins, c’est bien le R-eff qui rend compte de la situation épidémique à un moment donné, et qui, selon sa position par rapport à la valeur seuil de 1, nous annonce (avec un temps de décalage parce qu’il faut bien le calculer !) si l’épidémie stagne, régresse ou s’étend.
    Oui, la valeur du R-eff détermine la dynamique de l’épidémie.

    Alors je sais qu’on se demande parfois si les variations, et plus précisément les augmentations du taux d’incidence ont pour effet d’impacter (euh, je veux dire influencer, pardon @cialdella01) le R-eff.
    Par exemple : une augmentation du taux d’incidence peut-elle entraîner celle du R-eff ?

    Eh bien non !
    Des taux d’incidence effroyables ne provoquent pas la croissance du R-eff.

    On le voit bien en ce moment grâce à (ou plutôt, à cause de) la vague Omicron en France : avec un taux d’incidence supérieur à 3 000, le R-eff devrait s’envoler, pourtant il est resté fort loin de 2,5.
    Pourquoi ? Tout simplement car le R-eff ne correspond qu’à la probabilité pour un infecteur (enfin, un mec ou une femme qui a le virus, quoi) de trouver des personnes susceptibles.

    Et non au risque pour une personne susceptible de se faire contaminer !
    En fait, si un taux d’incidence astronomique doit exercer un effet sur le R-eff, ce sera plutôt dans le sens inverse.
    Supposons un taux d’incidence si élevé (j’espère qu’on n’en arrivera pas là IRL) qu’il devienne de plus en plus difficile, presque impossible pour des infecteurs de trouver des personnes à contaminer.

    Dans ce cas-là, forcément, ils vont transmettre le virus à moins de personnes
    et le R-eff va alors baisser, permettant peu à peu le reflux épidémique.

    Néanmoins, le R-eff reste aux commandes.
    Alors, que nous reste-t-il à comprendre de la propagation d’un virus si le R0 tout d’abord, et le R-eff peu après, nous disent avec justesse s’il faut s’inquiéter ou pas ?

    C’est ce que nous allons voir dans la seconde partie de ce thread.
    Mais avant, laissez-nous déguster un petit en-cas. Image
    Nous revoilà !
    Désolée pour l’attente.

    Comme promis, voici quatre paramètres qui vous permettront d’affiner votre compréhension du mode de propagation d’un virus !
    1⃣ La période contagieuse.

    D’après les estimations, le virus SARS-CoV-1 (responsable du SRAS) présentait un R0 de 3 environ. C’est-à-dire à peu près le même que celui de SARS-CoV-2 sauce Wuhan.
    Pourtant, SARS-CoV-1 a fait pschitt, là où SARS-CoV-2 a créé une pandémie centennale.
    Pour quelle raison des fortunes si diverses ?

    Tout simplement car ces deux virus ne se transmettent pas au même stade de l’infection.
    C’est tout le malheur de SARS-CoV-1 : comme il ne se transmettait qu’après l’apparition des symptômes, ça nous laissait tout le temps d’isoler les cas positifs avant qu’ils ne contaminent. Image
    Au contraire, ce diable de SARS-CoV-2 se transmet, lui, avant même l’apparition des symptômes : c’est d’ailleurs à ce stade de l’infection que débute le pic de contagiosité !

    Dans ces conditions, on ne peut plus repérer tous les cas positifs avant qu’ils ne contaminent.
    Conclusion : si le R0 d’un virus détermine son pouvoir de propagation, notre marge de manoeuvre face à lui dépend également de la période contagieuse.
    2⃣ La sévérité de la maladie

    Pour illustrer ce paramètre, je vais encore m’appuyer sur la comparaison SARS-CoV-1 / SARS-CoV-2.
    SARS-CoV-1 descendait vite dans les poumons pour se répliquer.

    Il avait donc une forte propension à causer des formes très symptomatiques (voire sévères avec hospitalisation à la clé) qui ne passaient pas inaperçues, facilitant ainsi le travail des autorités sanitaires.
    SARS-CoV-2, lui, est friand des voies respiratoires supérieures, et génère volontiers des formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques qui ne poussent pas les gens à se (faire) tester.

    D’où le maintenant célèbre : « Oui, j’ai un rhume, et non, ce n’est pas le COVID tkt. »
    Le constat est donc sans appel : exception faite du R0, tout sépare les deux SARS-CoV. L’un est clairement (et définitivement) plus insaisissable que l’autre.
    3⃣ Le temps de génération

    Oublions provisoirement SARS-CoV-1, et passons à la rougeole.
    Il est arrivé que les réfractaires aux mesures de santé publique se servent de son R0 pour démontrer (dans leurs rêves) qu’il n’y avait pas besoin de confiner à cause du COVID.
    « Nous étions obligés de confiner.
    – Mensonge ! Faux d’État ! Perroquet ! La rougeole est bien plus transmissible et pourtant on n’a pas confiné à cause d’elle ! »

    Si l’on s’en tient aux chiffres du R0, oui, il y a une part de vrai : la rougeole est bien plus contagieuse.
    R0 de la rougeole : bien supérieur à 10 (pour donner une fourchette très large, les estimations oscillent entre 12 et 20).

    R0 de SARS-CoV-2 : inférieur à 10 quel que soit le variant (au 23/01/2022).
    Pourtant, si on veut comparer la vitesse de propagation de ces deux virus, et donc la violence des épidémies induites, il faut tenir compte d’un autre paramètre : le temps de génération.
    Le temps de génération correspond au nombre de jours (en moyenne) entre le moment où une personne est infectée et le moment où elle infecte à son tour.

    Pour le variant Delta, ce temps de génération est de 5 jours.
    Pour la rougeole, on est plutôt, environ, sur 15 jours.
    Pour illustrer l’effet du temps de génération sur la violence d’une épidémie, je vais donc calculer le nombre d’infections causées en un mois par l’un et l’autre virus à partir d’un seul cas index.
    J’ai dit que pour Delta, le temps de génération était de 5 jours.

    Son R0, lui, se situe entre 6 et 8, mais je vais prendre la plus basse valeur : 6.
    Commençons.
    Une personne vient d’attraper le variant Delta.
    Cinq jours plus tard, elle a transmis le virus à 6 personnes.
    Ces 6 personnes vont en contaminer à leur tour 6 autres au terme d’un nouveau délai de cinq jours.
    Et ainsi de suite.
    Au bout de 30 jours, cela fait donc 46 656 contaminations (6 x 6 x 6 x 6 x 6 x 6) à partir du seul cas index (ou patient zéro).
    Reproduisons ce calcul avec la rougeole, en choisissant arbitrairement un R0 de 20 (la plus haute valeur estimée).

    Son temps de génération est de... 15 jours.
    Quinze jours plus tard, le cas index aura transmis le virus à 20 personnes, lesquelles en auront infecté 20 autres au terme d’un nouveau délai de 15 jours.

    Au bout de 30 jours, on obtient donc... 400 cas (20 x 20) à partir du patient zéro.
    Comme on peut le voir, et nonobstant son R0 (très) inférieur, c’est bien le COVID-19 qui pulvérise la rougeole sur la vitesse de propagation.

    D’où ce besoin de freiner la circulation du virus pour ne pas saturer les hôpitaux.
    Celui ou celle qui vous dit : « Oui mais la rougeole est plus contagieuse et on n’a pas confiné à cause d’elle, même sans vaccin », soit ignore ce qu’est un temps de génération et devrait donc s’abstenir de pérorer, soit cherche à vous manipuler en toute connaissance de cause.
    4⃣ Le kappa

    Le R0 (tout comme le R-eff) n’est qu’une moyenne !
    Et comme toute moyenne, il ne rend pas compte des disparités qui existent (ou pas) d’une personne à l’autre.
    Pour se faire une idée plus exacte du mode de propagation d’un virus, il faut vérifier si la plupart des gens sont resserrées autour de la moyenne ou pas.

    Dans ce but, on fait intervenir un nouveau paramètre : le Kappa (ou paramètre k) du virus.
    Le paramètre k, c’est le facteur de dispersion. Il vous informe si la transmission d’un virus est homogène d’un infecteur à l’autre (dans ce cas, tout le monde infecte à peu près le nombre de personnes indiqué par le R0), ou, au contraire, hétérogène (on trouvera alors un certain
    nombre de personnes qui contaminent beaucoup plus que la moyenne, alors que d’autres seront beaucoup moins contaminatrices).

    Estimer le k d’un virus n’est pas aisé, mais il faut savoir que plus on obtient un résultat proche de 0, plus la transmission d’un virus est hétérogène.
    A l’inverse, plus on approche de 1, plus la diffusion du virus est homogène.
    Voyez ce tableau.

    Si k = 0.1, alors 10% des cas actuels seront à l’origine de 80% des nouvelles infections.

    Corollaire : les 90% qui restent ne seront responsables que de 20% des nouvelles infections ! Image
    Tout ça n’est pas sans rappeler la loi de Pareto : 20% des causes à l’origine de 80% des conséquences. ^^
    Mais prenons un exemple concret : la grippe espagnole de 1918.
    Son k est estimé à 0.94, soit très proche de 1.
    La progression du virus est donc relativement homogène. La plupart des cas ne vont infecter ni beaucoup plus, ni beaucoup moins que la moyenne.

    academic.oup.com/aje/article/17…
    SARS-CoV-1, lui, affichait un k de 0.16.

    Là, ça signifie qu’un petit nombre de cas infecte beaucoup plus que la moyenne, et sera responsable de la plupart des contaminations.

    Superspreading and the effect of individual variation on disease emergence - Nature
    From Typhoid Mary to SARS, it has long been known that some people spread disease more than others. But for diseases transmitted via casual contact, contagiousness arises from a plethora of social and…
    https://www.nature.com/articles/nature04153
    Pendant ce temps, les autres - qui constituent l’écrasante majorité des cas - vont beaucoup moins transmettre ce virus que la moyenne, voire pas du tout.

    Il y a un réel déséquilibre. Une dispersion.
    Les personnes qui transmettent beaucoup plus que la moyenne sont appelées « superspreaders », ou, en français, super-contaminateurs (super-propagateurs).

    Ce qualificatif a été propulsé sur le devant de la scène par l’épidémie de SRAS en 2002-2003. Image
    Néanmoins, les superspreaders ne sont pas la chasse gardée du SRAS.

    Le virus Ebola, pour ne citer que lui, en produit également des redoutables : au cours de l’épidémie de 2014-2015 en Afrique de l’Ouest, 3% des cas ont généré 61% des contaminations !

    Spatial and temporal dynamics of superspreading events in the 2014–2015 West Africa Ebola epidemic
    For many infections, some infected individuals transmit to disproportionately more susceptibles than others, a phenomenon referred to as “superspreading.” Understanding superspreading can facilitate d…
    https://www.pnas.org/content/114/9/2337
    Quid de SARS-CoV-2 ?

    Au début, on pouvait tabler sur une diffusion homogène de ce virus étant donné qu’il se réplique largement dans les voies respiratoires supérieures et se transmet abondamment en phase pré-symptomatique
    (NDLB : j’ai dit que le pic de contagiosité commençait avec SARS-CoV-2 avant le début des symptômes, mais ça ne semble plus vrai avec Omicron).
    Pourtant, les premières estimations du k de SARS-CoV-2 ont fait état de valeurs oscillant souvent entre 0.1 et 0.5, suggérant, là aussi, plutôt une diffusion hétérogène.
    Et désormais, on affirme que 10 à 20% des cas seraient responsables de 80% des nouvelles infections (ce qui situerait le k entre 0.1 et 0.3), tandis que 60 à 75% des cas n’infecteraient personne !

    Understanding why superspreading drives the COVID-19 pandemic but not the H1N1 pandemic
    Two epidemiological parameters often characterise the transmissibility of infectious diseases : the basic reproductive number (R0) and the dispersion parameter (k). R0 describes, on average, how many i…
    https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(21)00406-0/fulltext
    Nantis de ces résultats, on comprend mieux pourquoi ce virus a tardé à produire une flambée épidémique (fin février - début mars 2020) alors même qu’il était déjà sur notre territoire en novembre 2020.

    Evidence of early circulation of SARS-CoV-2 in France : findings from the population-based “CONSTANCES” cohort - European Journal of Epidemiology
    Using serum samples routinely collected in 9144 adults from a French general population-based cohort, we identified 353 participants with a positive anti-SARS-CoV-2 IgG test, among whom 13 were sample…
    https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10654-020-00716-2
    En effet, si, au lieu de tomber très vite sur un superspreader (denrée rare), ce virus ne trouve que des personnes (majoritaires) qui vont peu le transmettre, voire pas du tout, sa progression sera laborieuse ou même empêchée.
    Dans ce dernier cas, on parle d’auto-extinction.
    Cela nous explique aussi pourquoi la progression du virus n’a pas été la même d’une région à l’autre (alors qu’un virus comme celui de la grippe, pourtant moins contagieux, envahit rapidement tout le territoire français chaque année). Tout ça est une affaire de hasard.
    Sur 10 cas positifs, il n’y a qu’un ou deux superspreaders. Quand ce virus a l’heur de tomber très vite sur l’un d’entre eux, l’épidémie prospère, flambe.

    Dans le cas inverse, elle peut très bien s’éteindre. Jusqu’à la prochaine introduction du virus sur le territoire.
    Ainsi, il faut généralement plusieurs introductions à ce virus pour vraiment s’implanter sur un territoire, au moins quatre.
    Les superspreaders nourrissent pratiquement à eux seuls cette épidémie.

    Si on pouvait mettre la main sur eux avant qu’ils ne contaminent, on résoudrait la plus grande partie du problème, en tout cas à l’échelle de la société. De la santé publique.
    Les superspreaders. Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Comment les repérer ? Ma classe doit en abriter un ou deux si je m’en tiens aux statistiques. Mais alors, de qui s’agit-il ? Image
    Mon Adrien ? Impossible, il est tellement parfait ! 😍 ImageImageImageImage
    Quant à cette peste de Chloé, je suis sûre qu’elle contaminerait la moitié de la ville. ImageImageImageImage
    Tikki : « Il ne faut pas raisonner comme ça, Marinette ! Ce n’est pas du fond de l’âme que dépend la contagiosité intrinsèque ! » Image
    – Tu as raison Tikki, je vais trop vite en besogne quand il s’agit de Chloé.
    – Et si le superspreader c’était toi, Marinette ?
    – Je m’enfermerais à triple tour, hahaha.
    Blague à part, il n’existe pas, à ce jour, de solution miracle pour identifier les superspreaders à l’avance : ce n’est pas écrit sur leur front !

    Nous savons juste que pour infecter un grand nombre de personnes, au moins deux facteurs entrent en ligne de compte.
    1⃣ La composante biologique

    On me reprochera d’enfoncer une porte ouverte, mais la condition sine qua non pour être un super-infecteur, c’est un haut niveau d’excrétion virale.
    Comment repérer ces forts excréteurs ?
    La tentation est grande d’utiliser le test PCR comme un test de contagiosité... Alors, voyons un peu comment marche un test PCR.

    Ce test, comme chacun sait, ne permet pas la détection du virus lui-même, mais celle de son matériel génétique. L’ARN.
    Or, si on dispose de méthodes sensibles pour détecter l’ADN à haut débit chez de nombreux patients, cela n’existe pas pour l’ARN.
    Une première étape sera donc de rétrotranscrire l’ARN en ADN à l’aide d’une enzyme appelée transcriptase inverse (c’est-à-dire une ADN polymérase ARN dépendante qui va donc synthétiser un brin d’ADN complémentaire à partir d’un ARN matrice, ou si vous préférez, modèle)
    de sorte qu’au final, on ne recherchera pas vraiment l’ARN du virus, mais l’ADN issu de sa copie.

    microbiologie-clinique.com/RT-PCR-SARS-Co… Image
    À ce stade, nous n’avons qu’un seul brin d’ADN.
    On va donc synthétiser, à partir de ce brin, le brin complémentaire en s’appuyant cette fois-ci sur le travail d’une ADN polymérase ADN dépendante.
    Ensuite, on va faire en sorte de multiplier (amplifier) cet ADN recherché jusqu’à ce qu’il se trouve en quantité détectable (encore une fois, s’il était bien présent dans l’échantillon).
    Pour amplifier l’ADN recherché, on introduit, dans le tube de la PCR, une très grande quantité de petits ADN de synthèse qui sont des copies d’une région de l’ADN (issu de la copie de l’ARN) viral : on les appelle les amorces (j’aurais dû en parler plus tôt !)
    Se trouvera aussi dans le tube de la PCR une enzyme, la Taq polymérase.

    Extraite de Thermus aquaticus, une bactérie découverte dans des sources chaudes, cette Taq polymérase peut tolérer de très hautes températures
    et va assurer la fonction d’ADN polymérase dépendante de l’ADN (c’est-à-dire qu’elle va utiliser un ADN simple brin déjà existant comme matrice pour synthétiser le brin d’ADN complémentaire).
    Si ce n’est pas encore très clair, ne vous inquiétez pas, vous allez finir par comprendre.
    Une fois qu’on a réuni tous les "ingrédients", on chauffe l’échantillon à 95-100 °C.

    Cette chaleur va provoquer la séparation des deux brins de l’ADN viral recherché (dit l’ADN d’intérêt).

    Crédit : Université de Strasbourg. Image
    Peu après, on fait redescendre la température jusqu’à retrouver des conditions qui permettent aux brins d’ADN de se réapparier.

    Mais cette fois, les amorces vont intervenir...
    J’ai dit que les amorces étaient des copies d’une région de l’ADN (issu de la copie de l’ARN, mais je ne vais pas l’écrire à chaque fois) viral.

    Elles sont donc complémentaires de l’un ou l’autre brin du grand ADN viral qu’on recherche.
    Du coup, au lieu de laisser les deux brins du grand ADN se réapparier entre eux, les amorces vont se jumeler avec le brin qui leur correspond, en respectant les complémentarités entre bases azotées. Image
    Comment font les amorces pour se fixer à un brin A avant qu’il ne se réassocie au brin B ?

    Comme souligné plus haut, c’est la force du nombre. Les amorces se trouvent en excès dans le tube de la PCR, ce qui leur permet de gagner la compétition face aux brins d’ADN concurrents.
    Une fois les amorces appariées aux longs brins d’ADN, la Taq polymérase entre en jeu pour allonger nos amorces en prenant comme modèle la séquence du long ADN complémentaire.

    A-T, G-C. Image
    Voilà, on vient de doubler le nombre de copies de l’ADN d’intérêt.
    C’est la fin du premier cycle.
    Il ne nous reste plus qu’à recommencer.

    On chauffe à nouveau, les brins d’ADN se séparent, et, comme les amorces sont toujours majoritaires dans le tube, elle vont encore gagner la compétition, se fixer au longs brins d’ADN, et la Taq polymérase va allonger tout ça.
    Et ainsi de suite.

    Théoriquement, à chaque cycle, la quantité d’ADN bicaténaire (double brin) va doubler.

    Je dis théoriquement, parce que dans les faits, la quantité d’ADN n’est pas doublée de cycle en cycle.
    D’abord, parce que la Taq polymérase est moins fonctionnelle à force de se faire chauffer et refroidir, ensuite parce que le stock d’amorces n’est pas inépuisable : au fil des cycles, elles vont se raréfier tandis que la quantité d’ADN bicaténaires ne fera qu’augmenter.
    Résultat : nos amorces vont de moins en moins devancer les ADN bicaténaires, et l’amplification va donc ralentir, puis cesser.

    Cependant, au bout d’un certain nombre de cycles, si l’échantillon était positif, l’ADN viral finira par se trouver en quantité détectable.
    On appelle ce nombre de cycles la valeur Ct.

    Plus la quantité d’ADN dans l’échantillon est grande, moins il faut effectuer de cycles pour que le signal soit détectable. À l’inverse, plus grand est le nombre de cycles nécessaires, moins il y avait d’ADN viral dans l’échantillon.
    Peut-on alors déduire de la valeur Ct la présence ou l’absence d’un superspreader selon qu’elle soit petite ou élevée ?

    Eh bien, pas exactement.
    Déjà, les valeurs Ct dépendent du stade de l’infection.

    Si on ne se fait pas tester au moment du pic de contagiosité, mais, par exemple, plus tard, il se peut qu’on obtienne une valeur Ct (élevée) faussement rassurante.
    Parfois, le test PCR va détecter des personnes qui ont été massivement contagieuses, et qui ne le sont plus beaucoup au moment du test !
    Ensuite, il faut bien se rappeler qu’on ne contrôle pas, hélas, la quantité de l’échantillon recueilli d’une personne à l’autre.

    Si on prélève plus ou moins de matériel biologique, ça va fausser la valeur Ct.
    Insaisissables superspreaders ! Image
    2⃣ La composante sociale

    Le fort excréteur qui reste à la maison devant l’ancêtre d’internet, il va contaminer dégun, comme on dit à Marseille.
    La deuxième condition pour infecter beaucoup de gens, c’est donc d’en rencontrer un maximum.

    Ou, plutôt, qu’un maximum de personnes se trouvent à portée de vos aérosols.
    Cela est possible dans des lieux clos (qui permettent la rétention des aérosols), mal aérés et très fréquentés.

    Cependant, un certain nombre de ces lieux sont encore plus à risque que d’autres. Voyons lesquels.
    On va définir trois types de contacts entre individus.

    1) Proches (entre personnes d’un même foyer)
    2) Réguliers (qui ont lieu dans une entreprise ou à l’école)
    3) Aléatoires (ex : deux inconnus qui passent une soirée au même endroit puis retournent à leurs vies respectives)
    Eh bien ! D’après cette étude de modélisation, les rencontres aléatoires sont les plus dangereuses, les plus promptes à faire décoller l’épidémie.

    (Ce n’est pas le rassemblement religieux de Mulhouse en février 2020 qui va contredire cette estimation.)

    Overdispersion in COVID-19 increases the effectiveness of limiting nonrepetitive contacts for transmission control
    Evidence indicates that superspreading plays a dominant role in COVID-19 transmission, so that a small fraction of infected people causes a large proportion of new COVID-19 cases. We developed an agen…
    https://www.pnas.org/content/118/14/e2016623118
    Récapitulons.

    Le lieu idéal pour un évènement de superspreading remplit les critères suivants :

    1) Il est mal ou pas aéré.
    2) Les gens s’y entassent.
    3) Y demeurent un certain temps.
    4) Y font des rencontres aléatoires.
    Vous pensez au métro ? Moi aussi.

    Mais l’on peut gravir encore des degrés sur l’échelle du risque, en songeant à des lieux qui répondent non seulement aux critères suscités, mais où, en plus de ça, on retire son masque.

    Oui, je parle des restaurants et des bars.
    D’autant mieux que les bars diffusent des rencontres sportives allant de pair avec les cris et les chants.

    Or, nous savons bien que crier ou chanter multiplie l’éxcrétion de micro-gouttelettes aérosolisées qui peuvent contenir du virus.

    Mais j’y pense, Tikki : si un jour l’irascible Chloé venait à s’infecter, elle exploiterait le maximum de sa contagiosité intrinsèque : elle parle fort, s’agite en permanence, et lorsqu’elle se met à crier, on l’entend jusque sur la planète Namek !
    C’est une plaie ambulante... Image
    – ... Ce n’est pas faux, je te l’accorde.
    – Un point pour moi ! ImageImage
    Mais crier ou chanter ne sont pas les seules actions qui produisent beaucoup d’aérosols.

    Le simple fait de se dépenser physiquement nous amène à respirer plus vite, et du coup, à émettre une plus grande quantité d’aérosols.
    Quels sont les lieux fermés où on crie, chante et danse avec des contacts aléatoires ? Les discothèques.

    Vous comprenez bien que si on y tombe le masque, les conséquences peuvent être catastrophiques.
    Enfin, je voudrais citer les salles de sport, où les gens n’ont pas l’habitude de se ménager, et cela, sans masque.

    On me rétorquera que les salles de sports sont un peu une zone grise entre un lieu de rencontres aléatoires et un lieu de rencontres régulières. En effet,
    on s’abonne à une salle de sport, et quand on est motivé, on y va plusieurs fois par semaine, et plutôt à heure fixe pour les personnes actives.

    Néanmoins, on y produit des efforts sans masque...
    Bref ! Voilà en gros les lieux susceptibles de faire exploser cette épidémie.

    D’ailleurs, il serait finalement plus juste de parler de clusterémie.

    Et point de salut contre une clusterémie en utilisant les mêmes armes que contre une épidémie de grippe !
    Si la plus grande partie du problème vient des 10 ou 20% de superspreaders, et notamment des lieux clos où ils sévissent, il est impératif - comme je l’ai suggéré plus haut - de concentrer nos efforts de surveillance sur eux.
    Arrêtons de voir ce virus comme s’il se propageait de façon homogène quels que soient les personnes et les lieux impliqués.

    Il est grand temps que nos décideurs changent de logiciel ! Image
    Mettre fin aux évènements de superspreading, c’est couper les jambes de cette clusterémie.

    Comment s’y prendre ?
    On sait que dans la plupart de ces endroits clos, l’aération est au mieux insuffisante, au pire, impossible.
    Il faudrait donc s’attacher au traitement de l’air dans tous les lieux à risque, en installant des purificateurs (NDLB : le collège Françoise Dupont, toujours à l’avant-garde, en est déjà équipé).

    Cela nous profiterait bien au-delà de cette pandémie, du reste.
    Malheureusement, comme ce n’est pas pour demain, il se produira toujours des contaminations.
    Il faut donc s’y prendre autrement.

    C’est là qu’intervient la méthode japonaise, fondée sur ce que l’on appelle le traçage rétrospectif.
    Traçage rétrospectif ? Kézako ?
    On va reprendre depuis le début.
    Il existe deux manières de tracer des contacts.

    La première, c’est le traçage dit prospectif. Il consiste à rechercher les cas contacts d’un patient positif pour les tester et, si besoin, les isoler.
    Ici, pas de distinction : tous les cas positifs sont présumés contaminants.
    Or, on a vu que 70% des cas n’infectaient personne, et que le plus gros de la clusterémie était drivée par 10 à 20% des cas.
    Riche de cette information, le Japon a privilégié le traçage dit rétrospectif, qui vise non pas à chercher les contacts d’un nouveau cas positif, mais à identifier la personne qui l’a contaminé.
    Autrement dit, au lieu de se concentrer sur ce nouveau cas, qui a peu de chances d’être un superspreader, on focalise ses efforts sur le contaminateur avéré (en effet, le risque d’avoir affaire à un superspreader est bien plus élevé le concernant).
    Une fois qu’on a réussi à mettre la main sur un suspect, si ce dernier est bel et bien positif, on cherche alors à identifier ses contacts afin de les convoquer, les tester puis les isoler si positifs.
    En agissant très vite (c’est d’autant plus nécessaire si nous sommes confrontés à des variants au temps de génération très court), en agissant très vite, disais-je, on peut alors éteindre un cluster avant qu’il n’essaime.

    Alors oui, il faut se montrer réactifs...
    Attention : rien n’empêche d’appliquer les traçages prospectifs et rétrospectives ensemble.

    Dans l’idéal, il faudrait pouvoir combiner les deux, car le traçage prospectif permet d’éviter un certain nombre de transmissions malgré tout (d’autant mieux que je pars du principe
    qu’aucune infection n’est anodine jusqu’à preuve du contraire, n’en déplaise au covidiot Pujadas).

    Mais quand ça n’est pas possible, la priorité revient (en tout cas, ça le devrait) au traçage rétrospectif.
    Problème : plus l’incidence est élevée, plus le traçage devient difficile.

    Et au-delà de... 50, c’est Mission impossible.

    En effet, comment retrouver qui vous a infecté si vous avez rencontré 120 cas positifs en trois jours dans plein de lieux différents ? Bon courage !
    Au point où nous en sommes actuellement, il n’y a donc pas 36 solutions :

    1⃣ Soit on regarde la maison brûler sans rien faire en attendant que ça passe
    2⃣ Soit on rétablit de lourdes restrictions qui peuvent aller de la fermeture des lieux de superspreading jusqu’au confinement
    Nous avons opté pour le premier choix et ce n’est donc pas demain qu’on reprendra le contrôle de la clusterémie, sous réserve que la volonté soit toujours bien présente.

    Attendons que ça baisse tout seul...
    Mais d’ici là, je conseillerais bien à tous ceux qui veulent encore faire preuve de civisime à leur petite échelle d’utiliser les tests rapides avant de rejoindre un lieu potentiel de superspreading.
    Malgré leur défaut de sensibilité (comparés à la PCR), ils pourront débusquer une partie des plus contagieux et donc motiver l’auto-isolement (avant confirmation ultérieure de la positivité par PCR).
    Malheureusement, les faux négatifs n’étant pas rares, ils peuvent aussi entraîner des comportements bien plus à risque que si vous n’aviez pas fait de test du tout...
    Encore une fois, aucune mesure n’est parfaite, il n’y a que des solutions imparfaites dont seule la combinaison peut dresser une barrière solide devant ce virus.

    Pensez Emmental.